Mohammad Iqbal (1877-1938) dont les ancêtres étaient des brahmanes du Cachemire convertis à l’islam était un philosophe, un poète indien qui influa sur les événements politiques de l’époque. Élu à l’assemblée législative du Pendjab en 1927, Iqbal joua un rôle important dans l’idée d’un État musulman dans le Nord-Ouest de l’Inde : ce sera le Pakistan en 1947. La Ligue musulmane le désigna, hâtivement, comme son théoricien. Mais selon l’écrivain Naipaul son idée de république était d’abord « une abstraction poétique. »
Quel était le contexte ?
A l’inverse des réformistes hindous qui évoluaient dans un univers religieux ouvert et fluide, les musulmans indiens restaient dans le périmètre tracé par le premier islam arabe. L’intériorisation de ce dernier était intense dans cette période de reconfiguration majeure. L’évolution des musulmans indiens au XIXe et au début du XXe siècle fut en prise directe sur les changements qui affectaient l’ensemble du monde musulman, qu’il s’agisse du wahhabisme dans la péninsule arabique ou dans l’évolution du califat ottoman. Avec Iqbal, l’islam indien devient même central pour l’ensemble du monde musulman. Son œuvre Reconstruire la pensée religieuse de l'islam l’exprime parfaitement. Dans les extraits de Le Livre de l’éternité édité en 1932, Iqbal s’adresse, en fait, à son fils, Djâvid et lui dit:
[…]
« J'ai peur de cette époque qui t'a vu naître; elle est noyée dans la matière, et sait peu de chose de l'âme. Comme le corps perd sa valeur quand l'âme en est absente, l'homme de Dieu se cache en lui-même. La recherche ne réussit pas à le trouver, bien qu'elle le voie face à face. Ne renonce pas au goût de la recherche, même si cent difficultés arrivent dans ta vie. Si tu ne trouves pas la compagnie d'un homme sage, prends de moi ce qui me vient de mon père et de mes ancêtres. Choisis mon maître Rûmî comme compagnon de route, afin que Dieu t'accorde le désir et la ferveur; car Rûmî distingue et connaît l'écorce et le noyau. Son pied se pose fermement sur la route qui mène à l'Ami. On a donné sur lui bien des explications, mais nul ne l'a vraiment compris. Son véritable sens nous a échappé, comme la gazelle. Les hommes ont appris à danser, avec leur corps, en récitant ses paroles, mais leurs yeux ne se sont pas ouverts à la danse de l'âme! La danse du corps fait tourbillonner la poussière, la danse de l'âme bouleverse les cieux; la science et la sagesse proviennent de la danse de l'âme, la terre et le ciel proviennent eux aussi de cette danse. Elle procure à l'individu le ravissement de Moïse; et grâce à elle la communauté devient l'héritière du Royaume! Apprendre la danse de l'âme, voilà ce qui importe; brûler tout ce qui n'est pas Dieu, cela importe seul. Tant que le coeur est enflammé de cupidité et de soucis, l'âme ne parvient pas à danser, ô mon fils! Le souci, c'est la faiblesse de la foi et la mélancolie; ô jeune homme, «le souci est la moitié de la vieillesse »! Le sais-tu? La cupidité « est la pauvreté présente ». Je suis l'esclave de celui qui sait se dominer lui-même. 0 toi qui es la paix de mon âme impatiente, si tu prends part à la danse de l'âme, je te dirai le secret de la religion de Mohammad; pour toi, jusque dans ma tombe, j'adresserai à Dieu des prières! »
La fin est puissante :
©copyright Jean Vinatier 2007
Œuvres :
Reconstruire la pensée de l’islam, trad. Eva de Meyerovich. Ed. A. Maisonneuve - Paris 1955.
Message de l’Orient, trad. Eva de Meyerovitch et Mohammed Achena, Les Belles Lettres - Paris 1956.
Le Livre de l’Eternité, trad. Eva de Meyerovitch, Collection «Spiritualités Vivantes» Ed. A. Michel - Paris 1962.
Lien :
http://seriatim1.blogspot.com/2007/11/pakistan-nous-ne-savons-pas-o-nous.html