Georges Corm vient de publier un fort passionnant ouvrage, La question religieuse au XXIe siècle. L’aller/retour de Nicolas Sarkozy au Vatican où il a dit « son souhait de remettre la religion au cœur de la cité » n’est pas anodin. Son propos s’inscrit en droite ligne dans les idées néo-conservatrices qui parcourent l’ensemble de la planète.
Je propose à votre réflexion l’extrait ci-dessous :
« Il est donc temps d’ouvrir des espaces d’aération, de sortir de l’archétype biblique, religieux ou sécularisé, du modèle grec idolâtré ou des paradigmes pervers de Nietzsche, Heidegger et Léo Strauss. Ces paradigmes stériles de la modernité et de la contre-modernité ont contribué à forger les projets de puissance les plus fous, sans avoir réussi à résoudre la moindre des contradictions entre traditionalistes et progressistes ayant déchaîné, depuis les guerres de religion, une violence quasi-permanente.
Aujourd’hui, la globalisation économique achève de déstructurer le milieu socioéconomique de milliards de paysans dans le monde, surtout en Asie et en Afrique, et remet en cause la stabilité socioéconomique des pays européens les plus avancés. Les fables fondamentalistes, traditionalistes et nihilistes trouvent dans ce contexte un terreau fertile à la propagation des angoisses de type millénariste, à l’origine des terribles violences des siècles passés, appelés ainsi à se répéter de nos jours. La renaissance de terrorismes divers et les manipulations géopolitiques et idéologiques dont ils sont l’objet ne constituent qu’une des expressions de ce contexte de désintégration générale, qui favorise aussi l’extension irrésistible de la puissance américaine et le zèle de ses idéologues promoteurs d’un ordre musclé.
[…]Aussi, la tâche urgente qui nous appelle est d’en finir avec ce nombrilisme hypocrite qui règne dans les systèmes politiques nationaux comme dans le système international, pour trouver par consensus de véritables normes de comportement international, mais aussi pour restaurer le prestige et la fonction des Etats. Le libre-échange débride et l’hostilité à toute intervention régulatrice des déséquilibres sociaux, économiques ou financiers, nationaux ou internationaux, sont de véritables recettes pour que la catastrophe advienne. L’agenda intellectuel et économique du monde ne peut pas continuer d’être exclusivement celui fixé par quelques intellectuels médiatiques américains ou européens ou par des politiques et hauts fonctionnaires dans les réunions du G8, de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international, suscitant chaque année les mêmes manifestations d’altermondialistes et les mêmes déploiements de forces de l’ordre, sans que rien de substantiel ne change.
Le Brésil, l’Inde, la Chine et tant d’autres pays ne peuvent pas continuer d’être ignorés ; le sort de la Palestine ne doit pas rester ce drame permanent ; l’Irak doit être évacué par les occupants américains et britanniques ; et, s’il faut compléter la liste des lieux de mémoire, il est urgent d’établir celle qui concerne les souffrances provoquées par le colonialisme, l’esclavage et les guerres de décolonisation.
Tout cela remettrait évidemment eu cause l’évolution inquiétante du monde, ce qui n’est pas pour demain, tant que nous nous trouvons face à une tendance lourde qui rien ne semble pouvoir arrêter. Au moins faut-il identifier correctement les douleurs du monde et l’envers des décors qui nous entourent […] Œuvrer à changer l’état actuel du monde suppose de sortir de l’agenda intellectuel et des grands paradigmes philosophiques du néo-conservatisme triomphant, qui habille et légitime les désintégrations sociales et culturelles provoquées par la crise multiforme affectant plus particulièrement les sociétés monothéistes. Une « refondation » du monde, au sens que Hannah Arendt donnerait à ce terme, est évidemment une œuvre de très longue haleine, au cours de laquelle de nombreux bouleversements et déstabilisations sociales, politiques et militaires, peuvent survenir.
Une telle refondation exige une réconciliation des pensées traditionalistes et progressistes, en Occident comme hors-Occident […] Pour être fructueux, ce dialogue doit sortir du cercle fermé des politiques et penseurs occidentaux et s’ouvrir totalement aux grands systèmes de pensées hors d’Occident, eux-mêmes le plus souvent en crise depuis que les vents de la culture et de l’industrie européennes les ont touchés. Ce n’est que dans un tel dialogue que les problèmes jusqu’ici insolubles de l’antisémitisme occidental, du statut de l’état d’Israël et des Palestiniens toujours sans Etat, des fondamentalismes religieux américains et islamiques pourraient trouver des solutions raisonnables et consensuelles.Dans un monde désormais globalisé, où la rencontre entre « Occident » et « Orient » reste difficile depuis quatre siècles, la crise de légitimité est globale et le besoin de refondation ne peut l’être aussi. Car la crise ronge non seulement l’ordre interne des sociétés, mais aussi l’ordre international qui, de ce fait, repose de plus en plus sur le déploiement impérial américain. Et cela d’autant plus que, de façon paradoxale, les résistances ouvertes ou feutrées à ce déploiement suscitent encore plus de globalisation et d’interventionnisme américain, et la soumission intellectuelle et politique quasi complète des Nations unies aux Etats-Unis.
Le monde n’est pas près de sortir de ce cercle vicieux. Mais au moins peut-on œuvrer à une prise de conscience des enjeux profanes de cette situation. Ce n’est que par cette prise de conscience que l’on peut affronter à la fois la globalisation économique déstructurante, que prétend justifier la thèse de la guerre des civilisations, et le terrorisme qui lui fait écho. »
Sources :
Georges Corm, La question religieuse au XXIe siècle, Paris, La Découverte/Poche, 2007, pp. 202-205.
http://www.georgescorm.com/
©copyright Jean Vinatier 2007
« Il est donc temps d’ouvrir des espaces d’aération, de sortir de l’archétype biblique, religieux ou sécularisé, du modèle grec idolâtré ou des paradigmes pervers de Nietzsche, Heidegger et Léo Strauss. Ces paradigmes stériles de la modernité et de la contre-modernité ont contribué à forger les projets de puissance les plus fous, sans avoir réussi à résoudre la moindre des contradictions entre traditionalistes et progressistes ayant déchaîné, depuis les guerres de religion, une violence quasi-permanente.
Aujourd’hui, la globalisation économique achève de déstructurer le milieu socioéconomique de milliards de paysans dans le monde, surtout en Asie et en Afrique, et remet en cause la stabilité socioéconomique des pays européens les plus avancés. Les fables fondamentalistes, traditionalistes et nihilistes trouvent dans ce contexte un terreau fertile à la propagation des angoisses de type millénariste, à l’origine des terribles violences des siècles passés, appelés ainsi à se répéter de nos jours. La renaissance de terrorismes divers et les manipulations géopolitiques et idéologiques dont ils sont l’objet ne constituent qu’une des expressions de ce contexte de désintégration générale, qui favorise aussi l’extension irrésistible de la puissance américaine et le zèle de ses idéologues promoteurs d’un ordre musclé.
[…]Aussi, la tâche urgente qui nous appelle est d’en finir avec ce nombrilisme hypocrite qui règne dans les systèmes politiques nationaux comme dans le système international, pour trouver par consensus de véritables normes de comportement international, mais aussi pour restaurer le prestige et la fonction des Etats. Le libre-échange débride et l’hostilité à toute intervention régulatrice des déséquilibres sociaux, économiques ou financiers, nationaux ou internationaux, sont de véritables recettes pour que la catastrophe advienne. L’agenda intellectuel et économique du monde ne peut pas continuer d’être exclusivement celui fixé par quelques intellectuels médiatiques américains ou européens ou par des politiques et hauts fonctionnaires dans les réunions du G8, de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international, suscitant chaque année les mêmes manifestations d’altermondialistes et les mêmes déploiements de forces de l’ordre, sans que rien de substantiel ne change.
Le Brésil, l’Inde, la Chine et tant d’autres pays ne peuvent pas continuer d’être ignorés ; le sort de la Palestine ne doit pas rester ce drame permanent ; l’Irak doit être évacué par les occupants américains et britanniques ; et, s’il faut compléter la liste des lieux de mémoire, il est urgent d’établir celle qui concerne les souffrances provoquées par le colonialisme, l’esclavage et les guerres de décolonisation.
Tout cela remettrait évidemment eu cause l’évolution inquiétante du monde, ce qui n’est pas pour demain, tant que nous nous trouvons face à une tendance lourde qui rien ne semble pouvoir arrêter. Au moins faut-il identifier correctement les douleurs du monde et l’envers des décors qui nous entourent […] Œuvrer à changer l’état actuel du monde suppose de sortir de l’agenda intellectuel et des grands paradigmes philosophiques du néo-conservatisme triomphant, qui habille et légitime les désintégrations sociales et culturelles provoquées par la crise multiforme affectant plus particulièrement les sociétés monothéistes. Une « refondation » du monde, au sens que Hannah Arendt donnerait à ce terme, est évidemment une œuvre de très longue haleine, au cours de laquelle de nombreux bouleversements et déstabilisations sociales, politiques et militaires, peuvent survenir.
Une telle refondation exige une réconciliation des pensées traditionalistes et progressistes, en Occident comme hors-Occident […] Pour être fructueux, ce dialogue doit sortir du cercle fermé des politiques et penseurs occidentaux et s’ouvrir totalement aux grands systèmes de pensées hors d’Occident, eux-mêmes le plus souvent en crise depuis que les vents de la culture et de l’industrie européennes les ont touchés. Ce n’est que dans un tel dialogue que les problèmes jusqu’ici insolubles de l’antisémitisme occidental, du statut de l’état d’Israël et des Palestiniens toujours sans Etat, des fondamentalismes religieux américains et islamiques pourraient trouver des solutions raisonnables et consensuelles.Dans un monde désormais globalisé, où la rencontre entre « Occident » et « Orient » reste difficile depuis quatre siècles, la crise de légitimité est globale et le besoin de refondation ne peut l’être aussi. Car la crise ronge non seulement l’ordre interne des sociétés, mais aussi l’ordre international qui, de ce fait, repose de plus en plus sur le déploiement impérial américain. Et cela d’autant plus que, de façon paradoxale, les résistances ouvertes ou feutrées à ce déploiement suscitent encore plus de globalisation et d’interventionnisme américain, et la soumission intellectuelle et politique quasi complète des Nations unies aux Etats-Unis.
Le monde n’est pas près de sortir de ce cercle vicieux. Mais au moins peut-on œuvrer à une prise de conscience des enjeux profanes de cette situation. Ce n’est que par cette prise de conscience que l’on peut affronter à la fois la globalisation économique déstructurante, que prétend justifier la thèse de la guerre des civilisations, et le terrorisme qui lui fait écho. »
Sources :
Georges Corm, La question religieuse au XXIe siècle, Paris, La Découverte/Poche, 2007, pp. 202-205.
http://www.georgescorm.com/
©copyright Jean Vinatier 2007
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