1719: Jonathan Swift, le futur auteur des Voyages de Gulliver et Lord Bolingbroke, un des esprits les plus distingués de son temps ont une correspondance régulière depuis leur départ contraint d’Angleterre en 1714. Ils paient leur engagement politique du côté des tories.
Retour en arrière. En 1710, les tories arrivent au pouvoir avec pour intention de terminer la guerre de Succession d’Espagne débutée en 1702. Lord Bolingbroke est secrétaire d’état aux affaires étrangères, il sera l’un des signataires des traités d’Utrecht en 1713. Jonathan Swift, polémiste irlandais de talent dirige le journal The Examiner. Sa mission, convaincre l’opinion anglaise de la nécessité de la paix. En 1714, le parti rival, Whig remporte les élections et pourchasse les tories suspects de vouloir redonner le trône aux Stuarts, au lendemain de la mort de la Reine Anne (1702-1714) alors que l’électeur de Hanovre est appelé à ceindre la couronne sous le nom de George Ier (1714-1727) ; la Reine Elisabeth II est sa descendante..
Peu de temps avant de connaître l’amertume de la défaite, Bolingbroke, Swift ainsi que Pope, Gay, Parnell et Arbuthnot décident de former un club littéraire informel dénommé le Scriblerus Club pour moquer les clubs trop précieux. Trente années durant, ils échangeront une relation épistolaire unique en son genre. Quoi d’étonnant, ils étaient les plus distingués de leur temps !
La lettre proposée ci-dessous évoque l’amitié, l’histoire, la politique et la santé autour de quelques réflexions. Il faut adresser ici un coup de chapeau à l’historien David Bosc qui a si remarquablement traduit cette correspondance.
“Milord,
Je ne me souviens plus si je vous ai dit autrefois que j’avais observé chez Cicéron, alors qu’il était en exil, une sorte de plaisir mélancolique, qui est merveilleusement émouvant. Je crois que la raison en est que, dans ces circonstances de la vie, l’amitié est plus à même de se déployer, sans aucun mélange d’envie, d’intérêt ou d’ambition. Toutefois, il me semble qu’il en était surtout ainsi lorsqu’il écrivait à ses frères d’exil, ou eux à lui ; parce que la détresse commune encourage et l’amitié et la réflexion. Je crois en effet que le malheur et la prospérité sont trop en désaccord pour souffrir jamais une alliance étroite de leurs élus respectifs.
Retour en arrière. En 1710, les tories arrivent au pouvoir avec pour intention de terminer la guerre de Succession d’Espagne débutée en 1702. Lord Bolingbroke est secrétaire d’état aux affaires étrangères, il sera l’un des signataires des traités d’Utrecht en 1713. Jonathan Swift, polémiste irlandais de talent dirige le journal The Examiner. Sa mission, convaincre l’opinion anglaise de la nécessité de la paix. En 1714, le parti rival, Whig remporte les élections et pourchasse les tories suspects de vouloir redonner le trône aux Stuarts, au lendemain de la mort de la Reine Anne (1702-1714) alors que l’électeur de Hanovre est appelé à ceindre la couronne sous le nom de George Ier (1714-1727) ; la Reine Elisabeth II est sa descendante..
Peu de temps avant de connaître l’amertume de la défaite, Bolingbroke, Swift ainsi que Pope, Gay, Parnell et Arbuthnot décident de former un club littéraire informel dénommé le Scriblerus Club pour moquer les clubs trop précieux. Trente années durant, ils échangeront une relation épistolaire unique en son genre. Quoi d’étonnant, ils étaient les plus distingués de leur temps !
La lettre proposée ci-dessous évoque l’amitié, l’histoire, la politique et la santé autour de quelques réflexions. Il faut adresser ici un coup de chapeau à l’historien David Bosc qui a si remarquablement traduit cette correspondance.
“Milord,
Je ne me souviens plus si je vous ai dit autrefois que j’avais observé chez Cicéron, alors qu’il était en exil, une sorte de plaisir mélancolique, qui est merveilleusement émouvant. Je crois que la raison en est que, dans ces circonstances de la vie, l’amitié est plus à même de se déployer, sans aucun mélange d’envie, d’intérêt ou d’ambition. Toutefois, il me semble qu’il en était surtout ainsi lorsqu’il écrivait à ses frères d’exil, ou eux à lui ; parce que la détresse commune encourage et l’amitié et la réflexion. Je crois en effet que le malheur et la prospérité sont trop en désaccord pour souffrir jamais une alliance étroite de leurs élus respectifs.
L’amitié, disons-nous, naît d’une ressemblance de tempérament. Vous admettez que l’adversité vous a appris à penser et à raisonner différemment ; au lieu que, je puis vous l’assurer, tous ceux qui se sont démenés pour rester où ils étaient, et garder ce qu’ils avaient, n’ont pas changé du tout, et ils boivent quelquefois à la santé d’un ami absent, ils pensent avoir rempli tous leurs devoirs envers lui. Voici un certain temps que je nourris une observation, qui pourrait avoir quelque justesse : personne n’est aussi mal traité, lors d’un changement de pouvoir, que ceux qui ont agi en vue du bien public, sans considération pour eux-mêmes. Et rien ne sert de comparer les sommes qu’ont pu amasser les uns et les autres, parce que je tiens pour acquis que le même soupçon de calcul qui dispose un homme à remplir ses coffres, lui apprendra aussi comment les préserver contre tout événement. J’ose tenir le pari que le Duc de Malborough, au cours de toutes ses campagnes, n’a jamais perdu une seule fois son bagage. Je suis extrêmement heureux de cette offre inconditionnelle dont vous parlez, parce que je sais par expérience qu’il y a peu de bonnes choses à attendre d’eux. Et si leur offre est sincère, je ne vois pas pourquoi elle n’a pas encore abouti, puisque tout est accordé de ce qui pouvait être demandé. A moins qu’il y ait une exception pour les actions bonnes & généreuses. Lorsque je pense à vous par rapport à sir Roger, j’imagine un jeune homme de seize ans épousant par amour une femme de trente : elle se fane chaque année un peu plus, tandis qu’il gagne la vigueur à l’âge d’homme, et quand il est trop tard, il se demande comment il a pu s’engager dans une alliance aussi inégale, ou bien ce qu’est advenue la beauté dont il était épris.- J’ai appris qu’il se surpassait dans toutes les qualités pour lesquelles nous avions l’habitude de nous quereller avec lui. Je crois que ce grand loisir et cette tranquillité d’esprit, que vous ont donnés la Fortune et votre propre sagesse, ne pourraient être mieux employés qu’à tracer de très exactes mémoires de ces événements, dans lesquels, à ma connaissance, vous avez eu la part la plus difficile et la plus lourde. Et j’ai souvent songé, en comparant les époques, qu’aucune ne fut aussi importante en Angleterre que celle qui a marqué les quatre dernières années de feu la Reine. Ainsi, je pense que rien ne serait plus utile, ou plus intéressant, que son récit exact et complet, avec des observations, un esprit et un style et une méthode que vous êtes capable de lui donner. L’une des raisons pour lesquelles nous avons eu si peu de mémoires écrits par les principaux acteurs de l’Histoire, c’est qu’une trop grande familiarité avec les affaires diminue la considération qu’on a pour elles. Et pourtant ces mêmes personnages liront Tacite et Commines avec une délectation merveilleuse. Je dois vous demander deux choses à ce propos : d’abord, de n’omettre aucun épisode sous prétexte que vous le jugez de peu d’importance ; ensuite, d’écrire pour un monde ignorant, et sans supposer que vos lecteurs seront de l’époque présente, ni tous des habitants de Londres ou de ses environs immédiats. Il n’y a rien qui me fâche davantage dans les anciens historiens que lorsqu’ils me laissent dans l’obscurité au sujet d’événements qu’ils supposent connus de tous. C’est la paresse, l’orgueil ou l’incapacité des grands hommes qui a permis aux impertinents de la Nation où vous êtes de nous empoisonner avec des mémoires pleins de sottises et de romance. Qu’un Français parle deux fois avec un ministre d’Etat, et il ne demande rien de plus pour vous fournir un volume. Et moi, qui ne suis pas Français, désespérant de voir jamais ce que vous m’annoncez maintenant, il y avait un certain temps que je rassemblais des matériaux pour un tel travail, sans autre force que d’avoir toujours été parmi vous, traité avec plus de bonté et de confiance qu’il n’arrive d’ordinaire aux gens de mon état et de ma condition. Mais je suis sincèrement heureux d’avoir une si bonne raison de ne pas aller plus avant dans cette voie, quoique je pourrais dire bien des choses que vous ne vous permettrez jamais d’écrire. J’ai déjà fait un long portrait de vous dans cette brochure, et rien qu’une esquisse dans une autre. Mais je vois bien que lorsque César décrit l’une de ses batailles, l’idée que nous en concevons de lui dépasse de beaucoup tous les éloges des autres écrivains à son sujet.
J’ai lu votre Paraphrase avec un grand plaisir, et la qualité du poème me convainc de la vérité de votre philosophie. Je suis d’accord qu’une grande part de nos besoins est imaginaire, toutefois les vrais besoins eux-mêmes sont en proportion différentes d’un homme à l’autre. On admettra le manque réel d’un Roi privé de son royaume, eût-il dix mille livres de rente ; et toute l’échelle des conditions nous offre des cas parallèles. Lorsque je raisonne ainsi sur la situation de quelques amis absents, j’en perds fréquemment toute la tranquillité de mon esprit. Je trouve indécent d’être joyeux, ou de me plaire à quoi que ce soit, tandis que ceux qui ont dirigé des Conseils, ou des armées, et de qui j’ai eu l’honneur d’être aimé, se trouvent soit dans une humble solitude, soit, comme Hannibal, auprès d’une cour étrangère, donec Bithyno libeat vigilare tyranno.¹ Ma santé (une chose sans importance) s’est un peu améliorée ; mais, dans le meilleur des cas, j’ai le cœur dolent et mal à la tête. Que Dieu vous rende bientôt à votre pays, dans la paix et l’honneur, pour que je puisse voir à nouveau celui cum quo morantem saepe diem fregi,&². “
©Jean Vinatier 2008
Personnages :
Jonathan Swift (1667-1745)
Henry Saint John, Lord Bolingbroke (1678-1751)
John Churchill, duc de Malborough (1650-1722) général en chef de l’armée anglaise pendant la guerre de Succession d’Espagne.
Robert (Roger) Harley, Lord Oxford (1661-1724)
John Gay (1685-1732) poète et dramaturge
John Arbuthnot (1667-1735) écrivain et mathématicien écossais
Alexander Pope (1688-1744), poète.
Thomas Parnell (1679-1718) poète irlandais
Scriblerus vient de l’anglais scribbler : griffonner , écrivassier.
©Jean Vinatier 2008
Personnages :
Jonathan Swift (1667-1745)
Henry Saint John, Lord Bolingbroke (1678-1751)
John Churchill, duc de Malborough (1650-1722) général en chef de l’armée anglaise pendant la guerre de Succession d’Espagne.
Robert (Roger) Harley, Lord Oxford (1661-1724)
John Gay (1685-1732) poète et dramaturge
John Arbuthnot (1667-1735) écrivain et mathématicien écossais
Alexander Pope (1688-1744), poète.
Thomas Parnell (1679-1718) poète irlandais
Scriblerus vient de l’anglais scribbler : griffonner , écrivassier.
Notes :
La lettre est extrait de Correspondance avec le Scriblerus Club, traduit de l’anglais et présenté par David Bosc, Paris, Editions Alia, 2005, pp.93-96.
1-in Juvenal, Satyrae : « Jusqu’à ce qu’il prenne fantaisie au tyran de Bithynie de demeurer éveillé [pour recevoir la salutation matinale d’Hannibale]
2-in Horace, Odes : « et avec qui, souvent, j’ai abrégé la longueur des jours ».
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