Info

Nouvelle adresse Seriatim
@seriatimfr
jeanvin22@gmail.com



mardi 20 mai 2008

Erythrée : une « Palestine de la Corne de l'Afrique »¹ ? N°208 - 1ere année

« La position géostratégique exceptionnelle de l’Ethiopie, point de rencontre de l’Afrique et de l’Orient, en fait pour la France un partenaire stratégique très important. » rapportait, en 2000, Jacques Dewatre ambassadeur de France en Éthiopie et ancien directeur de la DGSE.
Et l’Erythrée également ! Ce pays s’étire sur plus de mille kilomètres du Soudan à Djibouti le long de la Mer Rouge. Derrière l’Ethiopie.
Deux Etats distincts ? Les appétits européens s’aiguisent après l’ouverture du canal de Suez en 1869 ; ils bouleversent la Corne de l’Afrique. Français, Anglais, Italiens se livrent à une concurrence forte. Les premiers sont à Djibouti, les seconds en Egypte, à Aden, sur la côte somalienne, les troisièmes prennent pied en Somalie et débarquent en Erythrée, province alors sous la domination nominale des Ottomans depuis le milieu du XVIe siècle.
Et avant les années 1550 ? L’Erythrée relevait complètement du royaume d’Aksoum qui deviendra l’Ethiopie. Les souverains d’Aksoum lutteront longtemps contre l’arrivée des Arabes depuis Harar (Arthur Rimbaud y vécut) qui veulent contrôler les routes commerciales de la mer Rouge. Le rapport de force faillit basculer définitivement en faveur des Arabes aux XVIe siècle si les Ethiopiens n’avaient reçu le secours des soldats portugais. Les Arabes, à leur tour, demandent l’aide des ottomans installés au Yémen. Ils débarquent en 1551, prennent le port de Massawa et de là tenteront de conquérir, outre l’Erythrée, l’Ethiopie elle-même avant de s’incliner définitivement en 1578. A la fin du XIXe siècle, les Italiens reprendront le projet ottoman depuis l’Erythrée. Leur but : atteindre par l’intérieur leur colonie somalienne ; mais, ils seront sévèrement battus à Amba Alaghi et à Adoua par l’armée de Ménélik II en1895/1896³. Le traité signé tracera, à peu de choses prés, les frontières actuelles entre l’Erythrée et l’Ethiopie. La défaite, en 1941, des troupes du Duce dans la corne de l’Afrique, devant les Anglais entraîne une occupation de l’Erythrée jusqu’au début des années 50. Londres propose de la partager entre l’Ethiopie et le Soudan. Les Etats arabes veulent au contraire un Etat indépendant tandis que la France et l’URSS plaident pour un retour dans le giron italien. Pourquoi ? La première craignait un effet de contagion à Djibouti, la seconde misait sur une victoire électorale du parti communiste italien qui lui aurait permis d’installer une base à Massawa, principal port du pays.
En septembre 1952, l’ONU fait admettre l’union fédérale entre l’Ethiopie et l’Erythrée. Le Négus Hailé Selassié (1892-1975) n’aura de cesse de revenir sur ce fédéralisme jusqu’à sa dissolution en 1962. Les premiers mouvements indépendantistes érythréens commencent à la fin des années 1950 avec le soutien matériel de plusieurs états arabes dont la Syrie et l’Irak. La proclamation de la loi martiale en 1971 est le prélude à une guerre d’indépendance qui durera presque vingt ans (1972-1991). L’Erythrée est un état souverain depuis 1993. Les disputes autour du tracé des frontières durent toujours malgré la signature des accords d’Alger (2003).
L’ancien leader du Front de Libération de l’Erythrée (FLE), Isaias Afwerki dirige le pays depuis 15 ans. L’Ethiopie n’a toujours pas fait son deuil de ce territoire et guette la moindre occasion. Ainsi ces jours-ci observe-t-elle la tension entre Djiouti et Asmara (capitale érythréenne) à propos d’une prétendue violation du territoire djiboutien. Addis-Abeba, fort de son alliance avec les Etats-Unis, a conquis Mogadiscio mais sans être en mesure de sécuriser la Somalie. Washington a installé une base puissante à Djibouti et guigne l’île de Socotra, située à 400 kilomètres des côtes yéménites. On l’a compris le contrôle de la mer Rouge ne souffre pas trop de partage.
L’Erythrée est donc dans une position fragile sans allié de poids : la ligue arabe ne peut intervenir puisque l’Erythrée n’est pas un des siens. Le Président Afwerki plaide la bonne foi dans le dossier frontalier avec l’Ethiopie. Il pense les Américains derrière le prolongement du contentieux : « Il n'y a rien à débloquer tant d'un point de vue légal que pratique. Dans le cadre des accords d'Alger, une commission neutre a rendu son verdict concernant le tracé de la frontière il y a déjà six ans, en avril 2002. Mais l'application de la décision - dont toutes les parties avaient accepté qu'elle serait "définitive et contraignante" - se heurte aux obstacles mis par les Etats-Unis à l'ONU.
Les Etats-Unis sont devenus partie prenante du conflit. Depuis 2002, ils n'ont eu de cesse de bloquer au Conseil de sécurité la mise en oeuvre du tracé de la frontière retenu par la commission. Ils n'ont aucun droit de se comporter ainsi. Mais les Etats-Unis, c'est de notoriété publique, sont devenus l'un des pays qui violent le plus les droits de l'homme et la légalité internationale sous l'influence des néoconservateurs, que je préfère appeler les "seigneurs du nouvel ordre mondial". Aucun respect pour la légalité internationale, aucun respect pour les institutions internationales... Voilà leur comportement. Nous, nous tenons nos engagements et nous avons une parole. »²
La crainte érythréenne serait de faire les frais d’un pacte conclu entre l’Ethiopie et les Etats-Unis. L’Erythrée compte 45% de musulmans, autant de chrétiens coptes. Il serait tentant de susciter des querelles. Le régime autoritaire d’Afwerki permet-il ce calcul ? Son pays peut-il devenir "une Palestine de la Corne de l’Afrique" ?
L’Ethiopie dispose-t-elle des forces nécessaires pour reconquérir ce pays alors qu’elle compte dans sa population 40% de musulmans ? Pour l’heure, elle est embourbée en Somalie et cela est une excellente nouvelle pour les Erythréens tandis que l’Arabie Saoudite veille sur eux tout comme sur le Soudan.


©Jean Vinatier 2008

Commentaires : Si vous n’avez pas de compte Gmail, et pour éviter le noreply-comment veuillez envoyer vos commentaires à :
jv3@free.fr
3- en 1889, l’Italie signe avec le Négus Ménélik II le traité d’Ucciali. Mais le gouvernement italien fait une traduction « différente » dans la version en langue amharique. Par ce subtertuge l’Italie instaurait un protectorat sur l’ensemble du territoire érythréen. Le Négus s’en aperçut rapidement ; d’où la guerre de 1895.
Voir l’ouvrage de Carlo Zaghi, Crispi e Menelich nel Diario inedito del conde Augusto Salimbeni, Turin, 1956.

In Seriatim :

http://seriatim1.blogspot.com/2007/11/somalie-une-guerre-hors-camras.html
http://seriatim1.blogspot.com/2008/02/soudantchad-eufor-et-plus.html
http://seriatim1.blogspot.com/2007/08/puissance-cherche-qg-en-afrique.html

Aucun commentaire: