Cette année les captures temporaires des bateaux français, Le Ponant et Carré d’as, en avril et septembre, ont rappelé l’existence d’une piraterie somalienne. En 2007, le BMI (Bureau Maritime International) a recensé 263 attaques au large de la Corne de l’Afrique ! L'abordage du cargo ukrainien, Le Faina, parce qu’il contient une trentaine de chars T-72 et de nombreuses armes à destination du Kenya, souleve la peur d’une capacité d’action plus puissante des pirates somaliens.¹ Henry de Monfreid signalait déjà leur bravoure et leur audace ! Souvenons-nous, le 18 mars 2006 ces pirates-pêcheurs sur leurs barques et dhows (boutres) défièrent deux navires de guerre US : le croiseur Saint-George et le destroyer Gonzales dont l’armement s’élevait à quelques 226 missiles et 36 canons. Le 4 avril suivant, les mêmes prenaient d’assaut le cargo chinois, Dong Won, à la barbe des deux destroyers américain et néerlandais !²
Le citoyen lambda ne saisit pas comment de simples boutres peuvent tenir tête à une armada ! Officiellement aucun navire de guerre étranger ne peut entrer dans les eaux territoriales somaliennes sans l’accord dudit gouvernement. Le Président somalien élu et reconnu par le communauté internationale, Abdullaï Youssouf Ahmed qui est à Nairobi affirme avoir donné son accord mais les navires étrangers restent prudents. Pourquoi ?
La Somalie a une histoire compliquée. Les Egyptiens l’appelaient le pays de Pount, les Arabes débarquèrent au VIIe siècle et échouèrent à arabiser la Corne de l’Afrique à l’inverse, les chiites venus de Perse parvinrent à islamiser un grand nombre de Somaliens (les autres restant coptes ou animistes). L’Ethiopie manque de peu de conquérir la Somalie. C’est, finalement, l’Italie, qui réussira à placer le territoire somalien sous son joug malgré sa défaite de 1907 à Bahalley.
La Seconde guerre mondiale bouleverse les cartes. En 1949 la Somalie italienne fait place au nord à la Somalie britannique (Somaliland), l’Ogaden est cédée à l’Ethiopie tandis que la partie sud avec Mogadiscio accèdera à l’indépendance en 1959. En 1960 le protectorat britannique prenant fin, le Somaliland s’unit à la Somalie. Les tensions entre Addis Abeba et Mogadiscio amplifieront à propos de l’Ogaden majoritairement peuplée de somaliens et de l’ethnie Omoro. La guerre éclate en 1977. L’URSS qui soutenait le régime du Président Mahommad Siad Barre(il a pris le pouvoir en 1969) et l’Ethiopie de Mengistu choisit d’aider la seconde en lui fournissant 15 000 Cubains, Nord-coréens et Yéménites du Nord. En 1978, la Somalie est défaite. Le pansomalisme du Président Siad Barre a vécu ! Du coup ce dernier se rapproche des Etats-Unis avant d’être renversé en 1991.
En 1991 après des bombardements de l’aviation somalienne, le Somaliland se déclare indépendant. En 1998, c’est tout le nord de la Somalie qui se déclare autonome sous le nom de Puntland. Pendant ce temps, l’instabilité politique grandit à Mogadiscio. Les casques bleus pakistanais mandatés par l’ONU subissent de lourdes pertes face aux différents clans qui se substituent à l’Etat somalien. En 1992-1993, Washington lancera l’opération « Restore Hope » qui échouera (voir le film La Chute du faucon noir de Ridley Scott). Les Nations Unies se retireront à leur tour en 1995. Chaos !
En 2006, une alliance d’islamistes somaliens, l’Union des Tribunaux islamiques (UTI), s’empare de toutes les principales villes du pays. Addis-Abeba, devenu un allié régional de poids des Etats-Unis et avec le Kenya au nom de la lutte contre le terrorisme, vainc les islamistes. Etait-ce, enfin, la paix ? Pas du tout. L’hostilité ancestrale contre l’Ethiopie renaît. Le Premier ministre éthiopien, Meles Zenawi reconnaît aujourd’hui sa défaite. Chaos !
Le Somaliland et le Puntland ont des querelles frontalières, le Puntland qui ne revendique pas l’indépendance ne conteste pas moins un territoire à la Somalie, sous le joug de multiples clans. Malgré sa défaite, Addis Abeba dispose sur le papier de deux alliés, les dirigeants du Somaliland et du Puntland ceux-ci se détestent ! Nairobi se remet à grand peine des dernières élections présidentielles pour pouvoir inciter l’actuel Président somalien, Abdullaï Youssouf Ahmed, à rentrer dans sa capitale. En 2007, le déploiement de troupes de l’Union africaine dans le cadre de l’IGASOM*, approuvé par le conseil de sécurité de l’ONU, ne résout aucunement le problème. Les pays africains membres de l’IGAD (Djibouti, Erythrée, Kenya, Somalie, Soudan, Ouganda) connaissent, entre eux, des rivalités !
En réalité plus aucune puissance, régionale ou étrangère, ne veut se risquer sur ce territoire. Les pirates justifient leurs attaques contre des navires étrangers au nom de la défense des pêcheurs confrontés aux razzias commises par les navires-usines dans leurs eaux poissonneuses : ils ont l’appui de la population et peuvent tranquillement rentrer à Eyl, le port du Puntland. Dernier détail pour souligner la complexité de la situation : nombre de ces pirates sont du clan Majeerteen comme le président somalien, Abdullaï Youssouf Ahmed ….. !
Roland Marchal du CERI parle, à juste titre de la Somalie comme d’un Irak africain : l’enchevêtrement des tribus, des clans et des sous-clans d’une part, et l’intervention des puissances européennes depuis la fin du XIXe siècle, d’autre part, ont bouleversé toutes les populations. Christian Bader dans son dernier ouvrage Le sang et le lait, n’écrit-il pas :
« Concept totalement étranger à la tradition somali, l’État apparaît comme une entité parasitaire, incapable de transcender les clivages lignagers, comme une simple coalition d’intérêts qui, sans avoir la légitimité que le droit coutumier confère aux clans et aux anciens, ne contribue d’aucune manière au bien public et n’a pour seul objet que le détournement, à son profit exclusif, des ressources nationales »³
Alors que la Corne de l’Afrique est un point stratégique et une route commerciale primordiaux, n’est-il pas inquiétant de voir, sur terre, sur mer, les Somaliens déjouant tous les calculs, tous les pronostics de la communauté internationale ?
Jean Vinatier
©SERIATIM 2008
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Note :
*IGASOM : mission de soutien de la paix de l’IGAD en Somalie.L’IGAD institué en 1986 par l’Union africaine est une organisation de coopération économique inter-régionale entre 7 états de l’Est africain.
Cartes :
http://www.icc-ccs.org/extra/display.php?yr=2008
http://fr.wikipedia.org/wiki/Image:Somali-war-12252006-1952.svg
http://www.afrique-planete.com/ethiopie/carte_ethiopie.htm
Sources :
1-http://tempsreel.nouvelobs.com/actualites/international/20080926.OBS2832/pirates_en_somalie__un_patrouilleur_russe_envoye.html?idfx=RSS_notr
http://www.ledevoir.com/2008/09/20/206505.html
http://www.20minutes.fr/article/257044/Monde-Somalie-des-pirates-dirigent-un-cargo-et-ses-armes-vers-une-zone-islamiste.php
2-Jean-Christophe Girard (2006)
http://www.grands-reporters.com/Somalie-Les-nouveaux-pirates.html
3-Christian Bader, Le sang et le lait, Paris, Maisonneuve & Larose, 1999, p.167
Autres sources :
http://www.lesnouvelles.org/P10_magazine/16_analyse03/16141_somalis_karieh3.html
http://www.ceri-sciencespo.com/publica/etude/etude135.pdf
http://www.monde-diplomatique.fr/2000/08/BRUNEL/14133
In Seriatim :
Somalie :
http://www.seriatimonline.com/2007/11/somalie-une-guerre-hors-camras.html
Erythrée :
http://www.seriatimonline.com/2008/05/erythre-une-palestine-de-la-corne-de.html
Kenya :
http://www.seriatimonline.com/2008/01/kenya-une-mditerrane-dorient.html
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