Angleterre et Pacte de Famille²
« Si après avoir parcouru le continent, nous tournons nos regards du côté de la mer, y trouvons-nous de plus grands motifs de sécurité ? Nous voyons à côté de nous une nation inquiète et avide, plus jalouse de la prospérité de ses voisins que de son propre bonheur, puissamment armée et prête à frapper au moment même où il lui conviendra de menacer. Ne nous y trompons pas : quelque parade que les ministres anglais fussent de leurs inclinaisons pacifiques, nous ne pouvons compter sur cette disposition qu’autant que leurs embarras domestiques se prolongeront. Ceux-ci peuvent cesser, ils peuvent même croître au point de déterminer le gouvernement à diriger l’inquiétude des esprits contre les objets extérieurs. Il n’est pas sans exemple que le cri de guerre contre la France a été le signal du ralliement des partis qui divisaient l’Angleterre. Ajoutons que nous pouvons nous trouver engagés dans une guerre de mer contre le vœu de la cour de Londres de même que contre le nôtre ; nous avons un traité avec l’Espagne [Pacte de Famille] qui doit nous rendre commune toute guerre, soit qu’elle soit offensive ou défensive. A combien d’occasion de guerres les vastes possessions d’outre-mer de l’Espagne ne l’exposent-elles pas plus que la France ? L’engagement est sans doute très onéreux mais tout onéreux qu’il paraît, peut-être, cependant, est-il plus dangereux à la France qu’à l’Espagne ? Le commerce utile que l’Angleterre fait avec cette dernière où elle trouve le débouché de ses manufactures une source de travail et de richesse, la rend moins avide à lui ravir des propriétés qu’elle ne fertilise pas pour les autres tandis que n’ayant rien à proposer avec la France pour l’exploitation d’un commerce légitime, elle ne voit qu’avec une jalouse cupidité l’essor prodigieux de nos plantations en Amérique et de notre industrie en Europe, si quelque chose la retient et lui impose, c’est la représentation de la France et de l’Espagne unie, c’est la certitude que le premier coup de canon qu’elle tirera contre l’une ou l’autre sera répondu par toutes les deux.
Si la représentation de ce pacte nous est utile, ce qui ne semble pas devoir être mis en question, il importe donc de pouvoir en remplir les obligations, que ce soit le défaut de volonté ou l’impuissance des moyens qui en interceptent l’exécution, celle-ci manquant, l’acte devient nul par le fait. A Dieu ne plaise que ce soit jamais la sorte du Pacte de Famille, la France serait la première qui en ressentirait le funeste contre-coup ; mais s’il lui importe d’être fidèle et exacte aux conditions de cette alliance, il n’est pas moins essentiel de la maintenir avec l’égalité, en sorte qu’un de ses alliés ne se mette pas dans la position abusive d’exiger tout de l’autre sans se croire tenu de compter avec lui… »
Un avant-goût de conclusion
« La considération et l’influence de toute puissance se mesurent et se règlent sur l’opinion sentie que l’on a de ses forces intrinsèques ; c’est donc d’établir cette opinion dans le sens le plus avantageux que la prévoyance doit s’attacher.
On respecte toute nation qu’on voit en mesure d’une vigoureuse résistance et qui, n’abusant point de la supériorité de ses forces, ne veut que ce qui est juste et qui peut-être utile à tout le monde : la paix et la tranquillité générales.
Ici la politique s’arrête, [se] contente d’indiquer le but vers lequel il est [un] instant de tendre, elle ne se permet pas de fixer exclusivement le choix des routes pour y arriver. Mais une vérité qu’elle ne peut se dispenser de recommander quoique triviale, est que plus une paix a duré, moins il y a apparence qu’elle durera ; la paix subsiste depuis 12 ans [traité de Paris, fin de la guerre de Sept ans 1763], c’est un grand préjugé que d’insister sur la nécessité de se tenir prêt à tout événement [allusion aux tensions entre les colonies américaines (Canada méridional) et Londres] ; d’ailleurs, on n’est jamais plus assuré de la paix lorsqu’on est en situation de ne pas craindre la guerre ; l’opinion est, dit-on, la reine du monde. Le gouvernement qui l’établira à son avantage double avec l’idée de ses forces réelles la considération et le respect qui furent et seront toujours le salaire d’une administration bien dirigée et le garant le plus certain de sa tranquillité. »
Jean Vinatier
©SERIATIM 2008
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Notes :
2-Pacte de Famille ou traités et conventions signés entre les différentes branches de la maison de Bourbon (France, Espagne, Parme, Naples) :
convention de Florence, 25 juillet 1731,
traité de l’Escorial, 7 novembre 1733,
traité de Fontainebleau, 25 octobre 1743,
convention d’Aranjuez, 5 juin 1760,
traité de Paris, 15 août 1761.
« Si après avoir parcouru le continent, nous tournons nos regards du côté de la mer, y trouvons-nous de plus grands motifs de sécurité ? Nous voyons à côté de nous une nation inquiète et avide, plus jalouse de la prospérité de ses voisins que de son propre bonheur, puissamment armée et prête à frapper au moment même où il lui conviendra de menacer. Ne nous y trompons pas : quelque parade que les ministres anglais fussent de leurs inclinaisons pacifiques, nous ne pouvons compter sur cette disposition qu’autant que leurs embarras domestiques se prolongeront. Ceux-ci peuvent cesser, ils peuvent même croître au point de déterminer le gouvernement à diriger l’inquiétude des esprits contre les objets extérieurs. Il n’est pas sans exemple que le cri de guerre contre la France a été le signal du ralliement des partis qui divisaient l’Angleterre. Ajoutons que nous pouvons nous trouver engagés dans une guerre de mer contre le vœu de la cour de Londres de même que contre le nôtre ; nous avons un traité avec l’Espagne [Pacte de Famille] qui doit nous rendre commune toute guerre, soit qu’elle soit offensive ou défensive. A combien d’occasion de guerres les vastes possessions d’outre-mer de l’Espagne ne l’exposent-elles pas plus que la France ? L’engagement est sans doute très onéreux mais tout onéreux qu’il paraît, peut-être, cependant, est-il plus dangereux à la France qu’à l’Espagne ? Le commerce utile que l’Angleterre fait avec cette dernière où elle trouve le débouché de ses manufactures une source de travail et de richesse, la rend moins avide à lui ravir des propriétés qu’elle ne fertilise pas pour les autres tandis que n’ayant rien à proposer avec la France pour l’exploitation d’un commerce légitime, elle ne voit qu’avec une jalouse cupidité l’essor prodigieux de nos plantations en Amérique et de notre industrie en Europe, si quelque chose la retient et lui impose, c’est la représentation de la France et de l’Espagne unie, c’est la certitude que le premier coup de canon qu’elle tirera contre l’une ou l’autre sera répondu par toutes les deux.
Si la représentation de ce pacte nous est utile, ce qui ne semble pas devoir être mis en question, il importe donc de pouvoir en remplir les obligations, que ce soit le défaut de volonté ou l’impuissance des moyens qui en interceptent l’exécution, celle-ci manquant, l’acte devient nul par le fait. A Dieu ne plaise que ce soit jamais la sorte du Pacte de Famille, la France serait la première qui en ressentirait le funeste contre-coup ; mais s’il lui importe d’être fidèle et exacte aux conditions de cette alliance, il n’est pas moins essentiel de la maintenir avec l’égalité, en sorte qu’un de ses alliés ne se mette pas dans la position abusive d’exiger tout de l’autre sans se croire tenu de compter avec lui… »
Un avant-goût de conclusion
« La considération et l’influence de toute puissance se mesurent et se règlent sur l’opinion sentie que l’on a de ses forces intrinsèques ; c’est donc d’établir cette opinion dans le sens le plus avantageux que la prévoyance doit s’attacher.
On respecte toute nation qu’on voit en mesure d’une vigoureuse résistance et qui, n’abusant point de la supériorité de ses forces, ne veut que ce qui est juste et qui peut-être utile à tout le monde : la paix et la tranquillité générales.
Ici la politique s’arrête, [se] contente d’indiquer le but vers lequel il est [un] instant de tendre, elle ne se permet pas de fixer exclusivement le choix des routes pour y arriver. Mais une vérité qu’elle ne peut se dispenser de recommander quoique triviale, est que plus une paix a duré, moins il y a apparence qu’elle durera ; la paix subsiste depuis 12 ans [traité de Paris, fin de la guerre de Sept ans 1763], c’est un grand préjugé que d’insister sur la nécessité de se tenir prêt à tout événement [allusion aux tensions entre les colonies américaines (Canada méridional) et Londres] ; d’ailleurs, on n’est jamais plus assuré de la paix lorsqu’on est en situation de ne pas craindre la guerre ; l’opinion est, dit-on, la reine du monde. Le gouvernement qui l’établira à son avantage double avec l’idée de ses forces réelles la considération et le respect qui furent et seront toujours le salaire d’une administration bien dirigée et le garant le plus certain de sa tranquillité. »
Jean Vinatier
©SERIATIM 2008
Commentaires : Si vous n’avez pas de compte Gmail, et pour éviter le noreply-comment veuillez envoyer vos commentaires à : jv3@free.fr
Notes :
2-Pacte de Famille ou traités et conventions signés entre les différentes branches de la maison de Bourbon (France, Espagne, Parme, Naples) :
convention de Florence, 25 juillet 1731,
traité de l’Escorial, 7 novembre 1733,
traité de Fontainebleau, 25 octobre 1743,
convention d’Aranjuez, 5 juin 1760,
traité de Paris, 15 août 1761.
L’alliance conclue, entre Vienne et Versailles en 1756, par le futur cardinal de Bernis et le chancelier Kaunitz, s’ajoutant au Pacte de Famille, il s’établissait de facto un regroupement de puissances catholiques.
La Révolution française détruisit d’abord le Pacte de famille lors de l’affaire de la Nootka (1790). L’Espagne demandait à la France de la soutenir, au nom du pacte de famille et du traité d’Aranjuez (avril 1779), dans sa querelle qui l’opposait à l’Angleterre au sujet de la délimitation de frontière en Amérique (Californie/Colombie Britannique). C’est Mirabeau qui se fit l’avocat de la destruction du pacte de famille (« obsolète ») et recommanda de ne pas attaquer Londres. L’Espagne s’inclina et l’Angleterre acquit ainsi un grand terrtoire, la future Colombie Britannique ! Londres pouvait remercier le service rendu par le tribun révolutionnaire..... C'est un bel exemple d'aveuglement idéologique!
L’union avec l’Autriche disparut en 1792 lors de la déclaration de guerre de la France au « roi de Hongrie ».
-Charles Gravier de Vergennes (1719-1787) pour un aperçu :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Charles_Gravier_de_Vergennes
Vergennes a joué un rôle prépondérant dans les affaires intérieures comme président du comité des finances. Sa mort en février 1787 sera un choc pour Louis XVI qui redoutait les fortes oppositions des privilégiés aux réformes qu’il se proposait d’accomplir avec Calonne.
Nul doute qu’un Vergennes vivant, l’Assemblée des Notables n’aurait sans doute pas eu cet échec qui plongea le souverain dans la dépression. Lires les travaux de l’historien Munro Price, professeur à Bradford, in Preserving the monarchy : the Comte de Vergennes, 1774-1787, Cambridge, CUP,1995
Et surtout :
Louis XVI and the comte de Vergennes: correspondence 1774-1787, ed. and with an introd. by John Hardman and Munro Price, Oxford, Voltaire foundation, 1998
Source :
1-AMAE : MD France 584
AN : série K 164 – Travail du Roi-, n°1
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