Faisant la lecture attentive du dernier ouvrage de Marc Fumaroli, Paris-New York et retour, je tombe sur cet extrait superbe tiré d’un livre de Mark Twain (le père de Tom Sawyer), The Innocent abroad (Les innocents en voyage) qui conte sa pérégrination en Europe.
Milan 1869
« Nous avons descendu et remonté à loisir l’une des rues les plus fréquentées de la ville, nous régalant du bien-être de ces gens et rêvant d’en exporter un peu dans les centres commerciaux de chez nous, remuants, précipités, dévoreurs de vitalité. C’est exactement sur ce terrain que réside le charme principal de la vie en Europe, le bien-être. En Amérique, nous sommes pressés, ce qui va bien, mais quand le jour de travail prend fin, nous le poursuivons en calculant nos pertes et nos gains, nous faisons le programme du lendemain, nous emportons même au lit nos soucis d’affaires, et nous nous torturons les méninges au lieu de restaurer par le sommeil notre corps et notre tête tourmentés. Nous brûlons nos énergies à force de répéter ces excitations, et du coup, ou bien nous mourrons tôt, ou bien nous tombons dans un grand âge maigre et faible à un stade de la vie qu’ils appellent en Europe première jeunesse [….] J’envie le bien-être que les Européens savent se donner. Quand le jour de travail est terminé, ils n’y pensent plus. Beaucoup d’entre eux, avec femmes et enfants, vont au café, et là, assis tranquillement et buvant gentiment un pot ou deux de boisson, ils écoutent de la musique ; d’autres badaudent à pied dans les rues, d’autres se promènent en voiture dans les avenues, d’autres s’assemblent au début de la soirée sur une grande place ornementée où ils jouissent du spectacle, respirent le parfum des fleurs, et écoutent le concert d’un orchestre militaire, aucune ville d’Europe n’étant dépourvue au coucher du soleil d’excellente musique militaire. D’autres encore, appartenant au bas peuple, sont assis en plein air devant des buvettes, se régalent de glaces et boivent des rafraîchissements qui ne feraient pas de mal à un enfant. Ils vont au lit ni trop tôt ni trop tard, et ils dorment bien. Ils sont toujours calmes, toujours polis, toujours de bonne humeur, bien dans leur peau, appréciant la vie et ses bienfaits de toutes sortes. On ne voit jamais d’ivrogne parmi eux. La transformation opérée dans notre petit groupe d’Américains est surprenante. Jour après jour, nous nous affranchissons de notre agitation, et nous nous imprégnons de cet esprit de quiétude et d’aisance dont respire la tranquille atmosphère qui nous entoure et qui émane de la manière d’être des gens. Nous croissons en sagesse à toute allure. Nous commençons à comprendre pour quoi la vie est faite. »¹
Jean Vinatier
©SERIATIM 2009
Commentaires : Si vous n’avez pas de compte Gmail, et pour éviter le noreply-comment veuillez envoyer vos commentaires à : jv3@free.fr
Source :
Mark Twain, The Innocent abroad, The Library of America, 1984, ch. XIX, p.146-147 in Marc Fumaroli, Paris-New York et retour – Voyage dans les arts et les images, Paris, Fayard, 2009, p.31
Milan 1869
« Nous avons descendu et remonté à loisir l’une des rues les plus fréquentées de la ville, nous régalant du bien-être de ces gens et rêvant d’en exporter un peu dans les centres commerciaux de chez nous, remuants, précipités, dévoreurs de vitalité. C’est exactement sur ce terrain que réside le charme principal de la vie en Europe, le bien-être. En Amérique, nous sommes pressés, ce qui va bien, mais quand le jour de travail prend fin, nous le poursuivons en calculant nos pertes et nos gains, nous faisons le programme du lendemain, nous emportons même au lit nos soucis d’affaires, et nous nous torturons les méninges au lieu de restaurer par le sommeil notre corps et notre tête tourmentés. Nous brûlons nos énergies à force de répéter ces excitations, et du coup, ou bien nous mourrons tôt, ou bien nous tombons dans un grand âge maigre et faible à un stade de la vie qu’ils appellent en Europe première jeunesse [….] J’envie le bien-être que les Européens savent se donner. Quand le jour de travail est terminé, ils n’y pensent plus. Beaucoup d’entre eux, avec femmes et enfants, vont au café, et là, assis tranquillement et buvant gentiment un pot ou deux de boisson, ils écoutent de la musique ; d’autres badaudent à pied dans les rues, d’autres se promènent en voiture dans les avenues, d’autres s’assemblent au début de la soirée sur une grande place ornementée où ils jouissent du spectacle, respirent le parfum des fleurs, et écoutent le concert d’un orchestre militaire, aucune ville d’Europe n’étant dépourvue au coucher du soleil d’excellente musique militaire. D’autres encore, appartenant au bas peuple, sont assis en plein air devant des buvettes, se régalent de glaces et boivent des rafraîchissements qui ne feraient pas de mal à un enfant. Ils vont au lit ni trop tôt ni trop tard, et ils dorment bien. Ils sont toujours calmes, toujours polis, toujours de bonne humeur, bien dans leur peau, appréciant la vie et ses bienfaits de toutes sortes. On ne voit jamais d’ivrogne parmi eux. La transformation opérée dans notre petit groupe d’Américains est surprenante. Jour après jour, nous nous affranchissons de notre agitation, et nous nous imprégnons de cet esprit de quiétude et d’aisance dont respire la tranquille atmosphère qui nous entoure et qui émane de la manière d’être des gens. Nous croissons en sagesse à toute allure. Nous commençons à comprendre pour quoi la vie est faite. »¹
Jean Vinatier
©SERIATIM 2009
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Source :
Mark Twain, The Innocent abroad, The Library of America, 1984, ch. XIX, p.146-147 in Marc Fumaroli, Paris-New York et retour – Voyage dans les arts et les images, Paris, Fayard, 2009, p.31
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