Voici la reproduction des principaux extraits d’une lettre envoyée depuis Fontainebleau le 31 octobre 1775 par Lord Stormont, ambassadeur du Royaume-Uni en France à Lord Rochford, secrétaire d’Etat au Foreign Office.
Son contenu reprend les propos tenus par le comte de Vergennes, nouveau ministre des Affaires Etrangères de Louis XVI alors que les colonies du Canada méridional (plus tard les Etats-Unis) entrent en révolte contre Londres.
L’intérêt de cette lettre est de faire apparaître que les hommes politiques et les diplomates européens appréhendaient bien les singularités du conflit en gestation et de son côté révolutionnaire. On est très loin de tous ces ouvrages qui nous ressassent depuis deux siècles l’apathie des puissances européennes….
On appréciera la beauté du style….
Dernière précision, à cette date, Louis XVI a déjà pris la décision de soutenir les Insurgents.
" Mylord,
Ma première conversation avec M . de Vergennes a été longue et assez aimable… ; […] ensuite et de lui-même, il entra dans la généralité du sujet, et s’y étendit beaucoup. Il commença par me dire : « loin de vouloir augmenter vos embarras, nous les voyons avec analogue peine. » Ce furent ses propres expressions et après une pause, il ajouta : « Ce qui vous arrive en Amérique n’est de la convenance de personne. » Je répondis que j’étais sur que les conséquences d’un tel fait n’échappaient pas à un homme ayant autant que lui de réflexion et de pénétration, et qui savait aussi bien diriger ses vues. Il répondit à cela qu’il osait affirmer qu’en effet ces conséquences ne lui échappaient pas : « Dans le fait –ajouta-t-il – sont très évidentes, aussi évidentes que celles que pour vous a eues la cession entière du Canada. J’étais à Constantinople quand fut faite la dernière paix [1763, traité de Paris]. Quand j’ai connu les conditions, je dis à plusieurs de mes amis que j’étais persuadé que l’Angleterre ne serait pas longtemps sans avoir des raisons pour se repentir d’avoir ôté la seule barrière qui pût contenir ses colonies dans l’obéissance. Ma prédiction n’a été que trop bien vérifiée. Maintenant, je vois également les suites qu’auraient nécessairement l’indépendance du nord de l’Amérique si vos colonies emportaient ce point auquel, aujourd’hui, elles tendent trop visiblement. Dans ce cas, elles s’occuperaient immédiatement à se former une grande marine ; et comme elles possèdent tous les avantages imaginables pour construire des vaisseaux, il ne se passerait pas beaucoup de temps avant qu’elles eussent des flottes capables de se mesurer avec toutes celles de l’Europe, quand même toutes les puissances s’uniraient contre elles. Avec cette supériorité et tous les avantages de leur situation, elles pourraient quand elles le voudraient s’emparer de vos Antilles et des nôtres. Je suis persuadé que même elles ne voudraient pas s’en tenir à cela mais que dans la suite des événements, elles avanceraient mûrement chez elles ; en sorte que, finalement, elles ne laisseraient pas une lieue de cet hémisphère dans la possession d’une puissance quelconque de l’Europe. Sans doute toutes ces conséquences ne se produiront pas immédiatement. Ni vous, ni moi ne vivrions assez pour les voir accomplies ; mais pour être éloignées, elles ne seraient pas moins certaines. Une politique étroite et à vues courtes pourrait, sans doute, se réjouir des embarras d’un rival sans regarder au-delà de l’heure présente ; mais celui qui regarde en avant et qui pèse les conséquences doit considérer ce qui maintenant vous arrive en Amérique comme un mal général, dont toutes les nations qui ont des établissements en Amérique peuvent avoir leur part ; c’est je vous assure, sous ce point de vue que j’ai toujours envisagé la question. »
Tout ceci, Mylord, m’a été dit par M. de Vergennes spontanément et de lui-même avec l’air et les manières d’un homme qui exprime une opinion véritable. Vous croirez aisément que je lui ai témoigné ma grande satisfaction des sentiments dans lesquels je le trouvais, que j’ai approuvé tout son raisonnement, et cela d’autant meilleur…qu’il envisage la question sous le point de vue dont j’ai été toujours frappé….Je suis convaincu autant qu’il est possible de l’être que non seulement notre propre destinée mais encore une grande partie de la destinée générale de l’Europe sont engagées dans la fatale guerre que nous supportons, en sorte que la France et tous les autres peuples qui ont des possessions en Amérique doivent souhaiter notre réussite soit qu’ils le disent sinon comment, soit qu’ils le pensent autrement que ce point…Je ne prétends pas décider. "
Jean Vinatier
Copyright©SERIATIM 2009
Tous droits réservés
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Source :
George Bancroft : Histoire de l’action commune de la France et de l’amérique pour l’indépendance des Etats-Unis, 12 volumes. Trad. comte Adolphe de Circourt (volumes 10-12), Paris, F.Vieweg, 1876
Note :
David Murray, 2e marquis de Mansfield, Lord Stormont (1727-1796) : ambassadeur,en Autriche puis en France (1775-1778). Il devint, ensuite, secrétaire d’Etat pour le Nord
Internautes : Afrique du Sud, Albanie, Algérie, Arabie Saoudite, Argentine, Australie, Biélorussie, Bénin, Bolivie, Bosnie Herzegovine, Brésil, Cambodge, Cameroun, Canada, Chili, Chine (+Hongkong & Macao), Chypre, Colombie, Congo-Kinshasa, Corée du Sud, Côte d’Ivoire, Djibouti, EAU, Egypte, Etats-Unis (30 Etats & Puerto Rico), Gabon, Géorgie, Guinée, Haïti, Inde, Irak, Iran, Islande, Israël, Kenya, Liban, Libye, Liechtenstein, Macédoine, Madagascar, Malaisie, Mali, Maurice, Maroc, Mauritanie, Mexique, Moldavie, Monaco, Népal, Norvège, Nouvelle Zélande, Oman, Ouzbékistan, Palestine, Pakistan, Pérou, Qatar, République Centrafricaine , République Dominicaine, Russie, Sénégal, Serbie, Somalie, Suisse, Thaïlande, Tunisie, Turquie, Union européenne (27 dont France + DOM-TOM & Nouvelle-Calédonie, Polynésie), Ukraine, Uruguay, Venezuela, Vietnam
Son contenu reprend les propos tenus par le comte de Vergennes, nouveau ministre des Affaires Etrangères de Louis XVI alors que les colonies du Canada méridional (plus tard les Etats-Unis) entrent en révolte contre Londres.
L’intérêt de cette lettre est de faire apparaître que les hommes politiques et les diplomates européens appréhendaient bien les singularités du conflit en gestation et de son côté révolutionnaire. On est très loin de tous ces ouvrages qui nous ressassent depuis deux siècles l’apathie des puissances européennes….
On appréciera la beauté du style….
Dernière précision, à cette date, Louis XVI a déjà pris la décision de soutenir les Insurgents.
" Mylord,
Ma première conversation avec M . de Vergennes a été longue et assez aimable… ; […] ensuite et de lui-même, il entra dans la généralité du sujet, et s’y étendit beaucoup. Il commença par me dire : « loin de vouloir augmenter vos embarras, nous les voyons avec analogue peine. » Ce furent ses propres expressions et après une pause, il ajouta : « Ce qui vous arrive en Amérique n’est de la convenance de personne. » Je répondis que j’étais sur que les conséquences d’un tel fait n’échappaient pas à un homme ayant autant que lui de réflexion et de pénétration, et qui savait aussi bien diriger ses vues. Il répondit à cela qu’il osait affirmer qu’en effet ces conséquences ne lui échappaient pas : « Dans le fait –ajouta-t-il – sont très évidentes, aussi évidentes que celles que pour vous a eues la cession entière du Canada. J’étais à Constantinople quand fut faite la dernière paix [1763, traité de Paris]. Quand j’ai connu les conditions, je dis à plusieurs de mes amis que j’étais persuadé que l’Angleterre ne serait pas longtemps sans avoir des raisons pour se repentir d’avoir ôté la seule barrière qui pût contenir ses colonies dans l’obéissance. Ma prédiction n’a été que trop bien vérifiée. Maintenant, je vois également les suites qu’auraient nécessairement l’indépendance du nord de l’Amérique si vos colonies emportaient ce point auquel, aujourd’hui, elles tendent trop visiblement. Dans ce cas, elles s’occuperaient immédiatement à se former une grande marine ; et comme elles possèdent tous les avantages imaginables pour construire des vaisseaux, il ne se passerait pas beaucoup de temps avant qu’elles eussent des flottes capables de se mesurer avec toutes celles de l’Europe, quand même toutes les puissances s’uniraient contre elles. Avec cette supériorité et tous les avantages de leur situation, elles pourraient quand elles le voudraient s’emparer de vos Antilles et des nôtres. Je suis persuadé que même elles ne voudraient pas s’en tenir à cela mais que dans la suite des événements, elles avanceraient mûrement chez elles ; en sorte que, finalement, elles ne laisseraient pas une lieue de cet hémisphère dans la possession d’une puissance quelconque de l’Europe. Sans doute toutes ces conséquences ne se produiront pas immédiatement. Ni vous, ni moi ne vivrions assez pour les voir accomplies ; mais pour être éloignées, elles ne seraient pas moins certaines. Une politique étroite et à vues courtes pourrait, sans doute, se réjouir des embarras d’un rival sans regarder au-delà de l’heure présente ; mais celui qui regarde en avant et qui pèse les conséquences doit considérer ce qui maintenant vous arrive en Amérique comme un mal général, dont toutes les nations qui ont des établissements en Amérique peuvent avoir leur part ; c’est je vous assure, sous ce point de vue que j’ai toujours envisagé la question. »
Tout ceci, Mylord, m’a été dit par M. de Vergennes spontanément et de lui-même avec l’air et les manières d’un homme qui exprime une opinion véritable. Vous croirez aisément que je lui ai témoigné ma grande satisfaction des sentiments dans lesquels je le trouvais, que j’ai approuvé tout son raisonnement, et cela d’autant meilleur…qu’il envisage la question sous le point de vue dont j’ai été toujours frappé….Je suis convaincu autant qu’il est possible de l’être que non seulement notre propre destinée mais encore une grande partie de la destinée générale de l’Europe sont engagées dans la fatale guerre que nous supportons, en sorte que la France et tous les autres peuples qui ont des possessions en Amérique doivent souhaiter notre réussite soit qu’ils le disent sinon comment, soit qu’ils le pensent autrement que ce point…Je ne prétends pas décider. "
Jean Vinatier
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Source :
George Bancroft : Histoire de l’action commune de la France et de l’amérique pour l’indépendance des Etats-Unis, 12 volumes. Trad. comte Adolphe de Circourt (volumes 10-12), Paris, F.Vieweg, 1876
Note :
David Murray, 2e marquis de Mansfield, Lord Stormont (1727-1796) : ambassadeur,en Autriche puis en France (1775-1778). Il devint, ensuite, secrétaire d’Etat pour le Nord
Internautes : Afrique du Sud, Albanie, Algérie, Arabie Saoudite, Argentine, Australie, Biélorussie, Bénin, Bolivie, Bosnie Herzegovine, Brésil, Cambodge, Cameroun, Canada, Chili, Chine (+Hongkong & Macao), Chypre, Colombie, Congo-Kinshasa, Corée du Sud, Côte d’Ivoire, Djibouti, EAU, Egypte, Etats-Unis (30 Etats & Puerto Rico), Gabon, Géorgie, Guinée, Haïti, Inde, Irak, Iran, Islande, Israël, Kenya, Liban, Libye, Liechtenstein, Macédoine, Madagascar, Malaisie, Mali, Maurice, Maroc, Mauritanie, Mexique, Moldavie, Monaco, Népal, Norvège, Nouvelle Zélande, Oman, Ouzbékistan, Palestine, Pakistan, Pérou, Qatar, République Centrafricaine , République Dominicaine, Russie, Sénégal, Serbie, Somalie, Suisse, Thaïlande, Tunisie, Turquie, Union européenne (27 dont France + DOM-TOM & Nouvelle-Calédonie, Polynésie), Ukraine, Uruguay, Venezuela, Vietnam
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