Avril 2010 : des Turcs d’Istanbul voudraient que leur pays reconnaisse le génocide arménien intervenu en 1915 : c’est une première ou presque. La nation turque oserait-elle faire un voyage rétrospectif dans sa mémoire ?
Dans les années qui précédent le début de la Première guerre mondiale, l’empire ottoman baigne dans une atmosphère ultra-nationaliste qui se renforce au fur et à mesure des défaites militaires : devant la Bulgarie, pertes, de Rhodes, de la Tripolitaine où sert le futur Atatürk en 1912. Pour les Jeunes-Turcs, arrivés au pouvoir en 1913, que fallait-il faire : « ottomaniser » l’empire ou éclore le panturquisme ? Au début, ce parti, symbolisé par les trois pachas, Talaat, Enver et Djemal, pense fonder un empire fédéral où tous les peuples auraient leur place mais les revers de l’armée ottomane en 1915 et les querelles internes les conduiront à se trouver des boucs émissaires.
Les populations chrétiennes seront les plus visées : quelles sont-elles ? D’abord tous les Grecs d’Orient ( de Cappadoce, de Thrace orientale, du Pont-Euxin ou Pontique) ensuite les Assyriens qui regroupent des peuples comme les Araméens, les Chaldéens et des chrétiens minoritaires tels les nestoriens et bien évidemment les Arméniens dont certains furent les traducteurs officiels du Sultan, de la Sublime Porte.
En avril 1915 les déplacements des Arméniens et des Assyriens devancèrent ceux des Grecs du Pontios. On évalue à plus de 2 millions de morts les déportations de tous ces peuples jusqu’à la fin de l’Empire Ottoman (1922) et les débuts de la République en 1923.
Dans un article paru en 2003, Michel Bruneau et Kyriakos Papoulidis, géographe et historien, n’hésitent pas à parler d’un « Auschwitz en mouvement » pour caractériser l’ensemble de cette période.¹
Longtemps occultés et contestés par les autorités turques qui opposeront les massacres opérés par les Grecs et les Arméniens contre les Turcs et les Kurdes, ces faits historiques reviennent périodiquement à la surface telle une ombre maléfique. Dernièrement, sous l’influence du riche lobby arménien, la commission du sénat américain a condamné Ankara obligeant le Président Obama à calmer la colère du Premier ministre Erdogan.
La Turquie du Président Gul aimerait prendre une place incontournable à la fois en Asie, vis-à-vis de l’Union européenne et même rejoindre les pays du B.R.I.C. Les efforts déployés par le ministre des Affaires Etrangères, Ahmet Davotoglu dont le rêve serait, dit-on, de placer l’ensemble des 850 millions de turcophones sous l’égide d’Ankara amènent, inévitablement la Turquie à regarder en face les événements des années 1915-1923.
L’excellence de sa situation géographique place la Turquie au centre des enjeux énergétiques. Elle remet en cause l’alliance (peu ancienne) avec Israël tandis qu’à l’intérieur le pouvoir a marqué des points contre les mouvements d’extrême droite et a évité que les généraux ne fomentent un énième coup d’Etat. Cependant, elle se montre toujours aussi intransigeante avec les Kurdes et les Arméniens anatoliens ; elle ne parvient toujours pas à conclure une véritable paix avec la république arménienne et, Ankara se voit toujours dénier la possibilité d’entrer dans l’Union européenne.
Qu’est-ce qui fait que les Turcs refusent de courber l’échine ? En 1920, le traité de Sèvres consacrant le dépècement de l’Empire Ottoman a nourri la peur de se voir réduits à la portion congrue coincés entre un Etat kurde, une république grecque du Pont ou pire une confédération ponto-arménienne allant de la mer Noire jusqu’à Erevan ? D’où le succès fulgurant d’Atatürk : En 1923, le traité de Lausanne actait la victoire du nouveau leader turc sur tous les ennemis susnommés !
Dans les capitales européennes, on ne semble pas saisir la complexité de cette Anatolie turque préférant la regarder comme une terre d’islam, forcément obscurantiste et arriérée
En fait la Turquie n’a pas tranché, elle est toujours mal à l’aise face aux « patries perdues » : d’un côté, elle revendique un nationalisme turc exclusif (elle ne se hâte guère de sauver les archives d’avant 1922 et d’encourager à réapprendre l’ottoman ou le turco-persan), de l’autre, elle renouerait pour une forme d’empire. Les dynasties marchandes mises en place sous Atatürk ne sont-elles pas fières d’unir leurs enfants à des grands noms de l’ère ottomane, de financer les universités, les bibliothèques quand elles ne les créent pas ?
La Turquie s’acceptera-t-elle composée de peuples divers au sein d’une nation-monde turcophone ? S’il y a un message que les peuples des « patries perdues » lui laissent, c’est celui de l’encourager à faire son aggiornamento.
Jean Vinatier
Sources:
Dans les années qui précédent le début de la Première guerre mondiale, l’empire ottoman baigne dans une atmosphère ultra-nationaliste qui se renforce au fur et à mesure des défaites militaires : devant la Bulgarie, pertes, de Rhodes, de la Tripolitaine où sert le futur Atatürk en 1912. Pour les Jeunes-Turcs, arrivés au pouvoir en 1913, que fallait-il faire : « ottomaniser » l’empire ou éclore le panturquisme ? Au début, ce parti, symbolisé par les trois pachas, Talaat, Enver et Djemal, pense fonder un empire fédéral où tous les peuples auraient leur place mais les revers de l’armée ottomane en 1915 et les querelles internes les conduiront à se trouver des boucs émissaires.
Les populations chrétiennes seront les plus visées : quelles sont-elles ? D’abord tous les Grecs d’Orient ( de Cappadoce, de Thrace orientale, du Pont-Euxin ou Pontique) ensuite les Assyriens qui regroupent des peuples comme les Araméens, les Chaldéens et des chrétiens minoritaires tels les nestoriens et bien évidemment les Arméniens dont certains furent les traducteurs officiels du Sultan, de la Sublime Porte.
En avril 1915 les déplacements des Arméniens et des Assyriens devancèrent ceux des Grecs du Pontios. On évalue à plus de 2 millions de morts les déportations de tous ces peuples jusqu’à la fin de l’Empire Ottoman (1922) et les débuts de la République en 1923.
Dans un article paru en 2003, Michel Bruneau et Kyriakos Papoulidis, géographe et historien, n’hésitent pas à parler d’un « Auschwitz en mouvement » pour caractériser l’ensemble de cette période.¹
Longtemps occultés et contestés par les autorités turques qui opposeront les massacres opérés par les Grecs et les Arméniens contre les Turcs et les Kurdes, ces faits historiques reviennent périodiquement à la surface telle une ombre maléfique. Dernièrement, sous l’influence du riche lobby arménien, la commission du sénat américain a condamné Ankara obligeant le Président Obama à calmer la colère du Premier ministre Erdogan.
La Turquie du Président Gul aimerait prendre une place incontournable à la fois en Asie, vis-à-vis de l’Union européenne et même rejoindre les pays du B.R.I.C. Les efforts déployés par le ministre des Affaires Etrangères, Ahmet Davotoglu dont le rêve serait, dit-on, de placer l’ensemble des 850 millions de turcophones sous l’égide d’Ankara amènent, inévitablement la Turquie à regarder en face les événements des années 1915-1923.
L’excellence de sa situation géographique place la Turquie au centre des enjeux énergétiques. Elle remet en cause l’alliance (peu ancienne) avec Israël tandis qu’à l’intérieur le pouvoir a marqué des points contre les mouvements d’extrême droite et a évité que les généraux ne fomentent un énième coup d’Etat. Cependant, elle se montre toujours aussi intransigeante avec les Kurdes et les Arméniens anatoliens ; elle ne parvient toujours pas à conclure une véritable paix avec la république arménienne et, Ankara se voit toujours dénier la possibilité d’entrer dans l’Union européenne.
Qu’est-ce qui fait que les Turcs refusent de courber l’échine ? En 1920, le traité de Sèvres consacrant le dépècement de l’Empire Ottoman a nourri la peur de se voir réduits à la portion congrue coincés entre un Etat kurde, une république grecque du Pont ou pire une confédération ponto-arménienne allant de la mer Noire jusqu’à Erevan ? D’où le succès fulgurant d’Atatürk : En 1923, le traité de Lausanne actait la victoire du nouveau leader turc sur tous les ennemis susnommés !
Dans les capitales européennes, on ne semble pas saisir la complexité de cette Anatolie turque préférant la regarder comme une terre d’islam, forcément obscurantiste et arriérée
En fait la Turquie n’a pas tranché, elle est toujours mal à l’aise face aux « patries perdues » : d’un côté, elle revendique un nationalisme turc exclusif (elle ne se hâte guère de sauver les archives d’avant 1922 et d’encourager à réapprendre l’ottoman ou le turco-persan), de l’autre, elle renouerait pour une forme d’empire. Les dynasties marchandes mises en place sous Atatürk ne sont-elles pas fières d’unir leurs enfants à des grands noms de l’ère ottomane, de financer les universités, les bibliothèques quand elles ne les créent pas ?
La Turquie s’acceptera-t-elle composée de peuples divers au sein d’une nation-monde turcophone ? S’il y a un message que les peuples des « patries perdues » lui laissent, c’est celui de l’encourager à faire son aggiornamento.
Jean Vinatier
Sources:
1-Michel Bruneau et Kyriakos Papoulidis « La mémoire des « patries inoubliables » », Vingtième Siècle. Revue d'histoire 2/2003 (no 78), p. 35-57.
Toynbee (Arnold J.) The Western question in Greece and Turkey, Constable and Company, Londres, 1922
http://www.archive.gr/news.ph p?readmore=181
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