Les Editions Mercure de France ont eu l’heureuse initiative de rééditer¹ en 2006 les Mémoires du comte de Saint-Priest (1735-1821) sous la conduite de Nicolas Mietton qui a annoté le passionnant journal du dernier ambassadeur de France à Saint-Pétersbourg, Maurice Paléologue (Le crépuscule des Tsars)
La lecture des mémoires du comte de Saint-Priest, brillant chevalier de Malte puis officier général passé dans la diplomatie comme ambassadeur :à Lisbonne (1765-68), à Constantinople (1768-1770-1771-1785), à La Haye (1788) avant d’occuper un poste ministériel sous Louis XVI en qualité de dernier Ministre de la Maison du Roi (1789-1790). Il fut un spectateur attentif des premiers moments de la Révolution. Contraint d’émigrer, il sillonna une partie de l’Europe, servant le futur Louis XVIII (1797-2807); il ne revint en France qu’en 1814.
C’est lors de son retour que le comte rédigea de façon très alerte ses Mémoires tout à fait instructives pour comprendre à la fois les aléas des négociations diplomatiques, de sa mésentente avec Vergennes et de la vie de Cour. Le mémorialiste tracera des portraits intéressants et fins, notamment ceux de Louis XVI et de Marie-Antoinette ainsi que d’autres personnages dont La Fayette :
« Ces deux personnages (La Fayette, Bailly, 1er maire de Paris) entrèrent insolemment en fonction sans attendre l’agrément du roi. La tête leur tourna à l’un et à l’autre, ils abusèrent des circonstances, et on leur doit une bonne partie des maux de la Révolution dont ils ont été eux-mêmes victimes, l’un par son supplice (Bailly), l’autre (La Fayette) par sa ruine entière, une prison en pays étranger et le mépris public. J'avais connu particulièrement La Fayette avant la Révolution chez Mme de Tessé, sa tante, avec laquelle j’étais fort lié. La ridicule ambition de ce jeune homme, à qui ses succès en amérique avaient tourné la tête, était à un degré difficile à imaginer. On aura peine à croire qu’il est venu vingt fois m’entretenir, en un temps où je n’étais point employé, de ses projets pour atteindre une souveraineté. Sachant par moi que j’avais envoyé de Constantinople un mémoire pour l’acquisition de l’Egypte², il m’entretint de son désir d’y régner et des moyens à prendre, mais forcé de convenir qu’il n’en pouvait avoir de suffisants contre une contrée aussi considérable, il voulait se replier sur l’acquisition des Régences de Barbarie, comme dominées par une milice étrangère facile à déplacer et remplacer par une autre. Il n’y a jamais eu, je crois, tant d’ambition unie à si peu de caractère. »
L’objet de ma chronique est simplement de rapporter deux lettres recopiées par le comte de Saint-Priest. Elles datent de la fin octobre 1791. Elles marquent le terme de son premier séjour en Russie. Elles ont été rédigées en français par Catherine II et par son chancelier, l’éminent diplomate russe de cette époque, le futur prince Bezborodko (1747-1799).
L’Impératrice et son chancelier font un usage splendide de notre langue, aujourd’hui souvent dédaignée par des ministres (Lagarde, Pécresse, Kouchner, Sarkozy…etc) une grande partie du patronnat et des hauts fonctionnaires français pour lesquels notre langue n’est plus une langue de pensée mais seulement d’un usage fonctionnel.
« Monsieur le comte de Saint-Priest,
Ayant toujours compté pour un des devoirs les plus essentiels de ma place de n’oublier jamais aucun service rendu à l’Empire confié à mes soins ; en outre, comme grand-maître de l’ordre de Saint-andré, devant veiller au bien-être des chevaliers et conserver la dignité convenable au premier ordre de mon empire ; sachant d’ailleurs le malheureux état dans lequel se trouvent les finances des serviteurs fidèles du roi de France, au nombre desquels je ne doute pas que vous soyez, et les persécutions auxquelles vous êtes exposé ; à ce titre, je me crois en droit, et même dans la nécessité de vous prier d’accepter une pension annuelle que je vous destine pour suppléer aux pertes auxquelles vous avez dû vous soumettre. Mais comme je souhaite que mes bonnes intentions ne soient point interprétées d’une manière peu conforme à la vérité, et afin que la méchanceté des hommes présents n’en tire aliment nuisible, j’ai ordonné que ce que je vous destine vous parvienne sans y mettre la publicité accoutumée. Vous en toucherez la première année avant votre départ. Au reste, je serai toujours votre affectionnée,
Catherine »
« L’impératrice ayant été informée qu’elle ne verrait plus M. Le comte de Saint-Priest avant son départ de Pétersbourg a chargé le comte Bezborodko de lui souhaiter un bon voyage, mais comme Sa Majesté Impériale aime à pratiquer envers les étrangers qui ont mérité son suffrage, les usages de Russie, elle a voulu que M. le comte de Saint-Priest fût à même de suivre celui qui est établi de tous temps, qui est qu’un bon mari ne rejoint jamais sa femme après quelque séparation, mais lui apporter un gage du souvenir qu’il lui a gardé ; en conséquence j’envoie ci-joint une bague que je le prie d’offrir à madame la comtesse de Saint-Priest.
Le comte de Bezborodko profite de cette occasion pour renouveler à M. de Saint-Priest les assurances de sa haute considération et lui présente ses vœux pour le succès de ses voyages et sa prospérité. »
Jean Vinatier
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Notes :
1-la première édition datant de 1929 chez Calmann-Lévy.
2- C’est le rapport du comte de Saint-Priest lu par Talleyrand et Bonaparte : il décida de la conquête de l’Egypte.
Source :
Mémoires du comte de Saint-Priest, éd. par Nicolas Mietton, Paris, Mercure de France, 2006, pp. 204, 300, 301
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