La
signature d’un accord de cessez-le-feu entre la Russie et l’Ukraine pour régler
la question du Donbass sous égide franco-allemand a été le résultat d’une
longue nuit dont les principaux points, selon Jacques Sapir, sont les suivants :
« L’accord prévoit le retrait des armes lourdes dans un rayon de 50 à
150 km suivant la portée et la nature de ces armes, à partir de la ligne de feu
actuelle pour les troupes de Kiev et de la ligne de cessez-le-feu du 19
septembre 2014 pour les insurgés. Ceci ne concerne QUE les armes lourdes. Cela
signifie que la ligne de séparation réelle sera donc bien la ligne de feu
actuelle. C’est une victoire pour les Insurgés. En organisant un repli des
lance-roquettes multiples (LRM) et de l’artillerie, cet accord empêchera les
forces ukrainiennes de bombarder les zones insurgées, garantissant le retour à
la paix pour les populations de Donetsk, Lougansk et des régions environnantes.
Ceci constitue une seconde victoire pour les Insurgés. Ceci sera fait dans un
délai de 14 jours après e cessez-le-feu, sous la supervision de l’OSCE.
Une large amnistie est prévue pour l’ensemble des crimes et délits commis
en relation avec la situation et tous les prisonniers devront être
échangés (points 5 et 6). Les forces étrangères, et les mercenaires devront
quitter le territoire et être désarmés sous le contrôle de l’OSCE (point 1 Des
élections sont prévues « en accordance avec les lois de l’Ukraine »
dans les régions insurgées, mais le parlement ukrainien (la Rada) doit voter
dans les trente jours après la mise en œuvre de l’accord un texte sur le statut
spécial de ces régions. La nature précise de ce statut n’est pas précisée.
Mais, il est clair que l’on s’achemine vers un régime de grande autonomie. Il
est précisé qu’une nouvelle constitution devra être introduite en
Ukraine avant la fin de 2015 devant incorporer le principe de la
décentralisation comme un élément clé de cette constitution (points 9 et
11). Les discussions devront se faire avec les représentants des Insurgés. La « note
1 » annexée au document prévoit notamment :
1-Droits
linguistiques
2-Doits des
autorités locales de nommer les procureurs locaux.
3-Droit du
gouvernement central de passer des accords spécifiques avec ces régions concernant
leur développement socio-culturel et économique.
4-Reconnaissance
par le gouvernement central de la coopération transfrontière entre ces régions
et la Russie.
5-Etablissement
d’une milice dépendante des autorités de ces régions.
6-L’autorité
des élus ne pourra pas être remise en cause par le parlement ukrainien.
Une fois les élections passées, et la nouvelle Constitution votée (point
11), l’autorité du gouvernement sera restaurée sur la frontière avec la Russie.
Ce point pourrait donner lieu à de sérieux accrochages avec les autorités des
insurgés. »1
La
Russie obtiendrait, si le processus n’est pas interrompu, la rédaction et le
vote d’une nouvelle constitution ukrainienne avant la fin de cette année qui
inscrirait le statut d’autonomie du Donbass. Ce serait une façon diplomatique d’entériner
une fédéralisation de l’Ukraine et d’ouvrir, peut-être, des demandes de la part
des autres provinces à l’Ouest de cet Etat….La fermeté russe aurait donc payé.
De même pour garantie apportée par
Berlin et Paris que l’Ukraine n’intégrerait pas l’OTAN..
Pourtant
Angela Merkel et François Hollande se gardèrent bien de toute satisfaction,
leurs appréhensions seraient-elles fondées ? L’accord intervenu l’a été
dans le cadre dit « Normandie » sans la présence du Royaume-Uni et
des Etats-Unis, deux puissances qui ne cessent pas de marteler que Vladimir
Poutine est le tyran à abattre…L’actuel pouvoir ukrainien est obsédé par l’appétit
supposé de la Russie, de même que la Pologne et les pays Baltes. Pour Berlin et
Paris, se posent dès aujourd’hui des tâches importantes qui seraient tout à
fait évidentes dans le cadre d’une Europe puissance politique mais l’est bien
moins dans cette Union sans direction centrale hormis celle aimante de l’autre
côté de l’Atlantique. Que savons-nous du degré de décision et de volonté
politiques des dirigeants allemands et français ? Seront-ils en mesure d’imposer,
s’il le faut, une force armée dans la zone démilitarisée ukrainienne : la
brigade franco-allemande y serait un beau symbole ? Que feront-ils face
aux anglo-américains ? Washington envoie des signaux contradictoires selon
qu’ils émanent de la Maison Blanche démocrate ou du Congrès républicain :
la semaine passée les propos américains affirmant qu’il fallait fournir des
armes lourdes et bien davantage aux Ukrainiens font fait bondir l’Allemagne !
L’enjeu
principal pour les Européens via le tandem franco-allemand est d’éviter que se reproduise
le cas du Kosovo réglé par l’établissement d’un quasi-protectorat américain !
En l’espèce, si l’Ukraine n’entre pas dans l’OTAN rien ne l’empêcherait de nouer
un traité d’alliance et d’assistance permanente avec les Etats-Unis. L’Union
européenne doit œuvrer pour « finlandiser l’Ukraine » et non laisser
s’établir une kyrielle de bases américaines, les Russes ne les accepteraient
pas. C’est peu dire que Berlin et Paris s’engagent sur un chemin parsemé de pièges :
temporiser Washington, contrôler l’exécutif ukrainien, imposer aux pays
frontières avec la Russie un code de conduite, borner Bruxelles et surtout
Donald Tusk, biffer les sanctions contre la Russie (la France livrerait le
Mistral début mars). C’est, en définitive, auprès de leur principal allié (suzerain),
l’empire du Potomac, que les coups fourrés surgiraient en raison de leur
objectif majeur contrôler l’Eurasie. Si le tandem franco-allemand tenait bon, l’Union
européenne entamerait, sans mot dire, l’Europe puissance : croisons les doigts !
Jean Vinatier
Copyright©SERIATIM
2015
Source :
1-« Accord
au Donbass par Jacques Sapir » :
http://russeurope.hypotheses.org/3430