L’entretien
accordé par l’ancien Chef de l’État, Valéry Giscard d’Estaing, ne manque pas
d’allure même, s’il cède à cette fascination pour le Royaume-Uni qu’il croit
inséré en Europe et dont il n’imagine pas l’éloignement…Ce point souligné, tout
son propos obéit à un bon sens laissé en jachère par les dirigeants de l’Union
européenne. Le Président Giscard d’Estaing plaide, sans le dire, en faveur d’une
Europe puissance et dans ce cadre ne craint pas de dire que la Crimée est
Russe, que l’Ukraine va droit à la catastrophe, par Américains interposés (c’est
moi qui l’ajoute)
« Cet entretien a été conduit par Isabelle Lasserre**
** Rédactrice en chef adjointe au service étranger du Figaro.
Dans ce stimulant entretien exclusif, Valéry Giscard d'Estaing a accepté, pour Politique Internationale, de décrypter les turbulences qui agitent la planète. De la crise ukrainienne au conflit israélo-palestinien en passant par l'avancée de Daech en Irak et en Syrie, l'ancien président livre son interprétation des principaux dossiers du moment. Comme le lecteur s'apprête à le découvrir, celui qui est également le maître d'oeuvre de l'ambitieux projet Europa - la création, au sein de l'UE, d'un ensemble fort et fédératif qui permettra à l'Union de progresser sur la voie tracée il y a soixante ans par les Pères fondateurs (1) - n'a rien perdu de sa profondeur de vues, de sa force de conviction et de son humour.
I. L.
Isabelle Lasserre - Monsieur le Président, quelles sont les principales raisons qui vous ont poussé à concevoir Europa ?
Valéry Giscard d'Estaing - Mon projet repose, d'abord, sur un constat. Dans le monde actuel, caractérisé par la montée des grands États, la France est une puissance moyenne, tant par sa population que par sa taille. Elle a une histoire ancienne très glorieuse qui lui a valu, par le passé, une influence mondiale et une culture toujours vivante. Mais, aujourd'hui, son économie est très affaiblie ; son produit intérieur brut stagne ; et elle est, par surcroît, en cours de désindustrialisation rapide. L'une des raisons principales à cela, en dehors du laxisme économique et financier de sa politique, tient au fait que la trajectoire qu'avaient dessinée les créateurs français de l'Europe, Jean Monnet et Robert Schuman, a été interrompue au début des années 1990. Le traité de Maastricht a été signé en 1992 entre douze États membres, dont les six États fondateurs. Or le système européen s'est brusquement élargi à seize nouveaux États membres, sur un laps de temps relativement court, sans que ses structures aient été adaptées pour accueillir les nouveaux entrants et sans que les objectifs poursuivis par l'Union leur aient été précisés. Lorsqu'il avait été suivi, entre 1950 et 1992, le chemin tracé par les pères de l'Europe avait permis d'obtenir de brillants résultats, en particulier la mise en place d'une monnaie commune. Aujourd'hui, il faut impérativement reprendre la bonne voie. C'est le sens du projet Europa qui permet aux pays qui veulent poursuivre l'intégration européenne d'en franchir de nouvelles étapes.
I. L. - L'Europe manque de leaders charismatiques, de leaders d'envergure. Qui donc peut incarner ce projet Europa ?
V. G. E. - C'est bien le problème. De tels leaders n'existent pas de nos jours. Nous assistons à la fin d'une génération. Avec l'avènement de la société de consommation, les responsables politiques se sont détournés des grands objectifs pour se consacrer à la satisfaction des besoins individuels, à dimensions electorales. Les dirigeants d'exception ont disparu. Certes, on voit apparaître une nouvelle génération dans les élections locales, en Italie, en Pologne et même en France - une nouvelle génération qui produira en son temps des leaders d'envergure internationale. Mais, en attendant, nous pourrions quand même avancer. La carence est avant tout française dans la mesure où toutes les grandes initiatives européennes ont, jusque-là, été proposées par la France. L'Allemagne, elle, s'est plus rarement mobilisée pour fournir des idées. Voilà pourquoi la France devrait aujourd'hui proposer de réunir plus régulièrement le Conseil des chefs d'État de la zone euro et de le doter d'un indispensable secrétaire général, qui devrait être français. L'Europe possède la deuxième monnaie internationale - ce qui, dans un monde en crise, comme on le constate en ce moment avec les secousses du rouble, n'est pas sans importance. Or les plus hauts responsables des États de la zone euro ne se réunissent que rarement, deux fois par an tout au plus. La situation de la France est si faible aujourd'hui qu'elle n'ose plus avancer de propositions audacieuses. Elle traverse une crise de crédibilité. Il lui faut reprendre l'initiative.
I. L. - Ces dernières années, la France a-t-elle commis des erreurs en matière de politique européenne ?
V. G. E. - La principale erreur de la France, c'est de ne pas avoir réalisé les réformes indispensables, qui sont bien connues. L'autre est d'avoir refusé d'appliquer les accords qu'elle a signés et votés dans le domaine budgétaire. Nous refusons l'application du Pacte de stabilité et de croissance (2) et nous demandons des dérogations à nos partenaires pour pouvoir maintenir un déficit budgétaire excessif et accroître encore notre endettement, ce qui constitue pour nous une bombe à retardement dans la perspective confirmée de la hausse des taux d'intérêt américains en 2015 ! Si l'on met de côté la Grèce et l'Italie, la France est, dans ce domaine, le dernier pays du groupe de la zone euro. C'est une erreur grave : elle a affaibli notre crédibilité européenne, qui avait déjà été largement entamée par le non au référendum de 2005 sur la Constitution européenne (3).
[….]
La suite
ci-dessous :
Jean Vinatier
SERIATIM
2015
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