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Marion d’Allard : Vous parlez de « génial pressentiment
de la grandeur
révolutionnaire » en ce
qui concerne la Commune. Qu’en est-il aujourd’hui de ce pressentiment ?
Jean Vautrin. On vit une
période d’autocratie où le président de la République a tous les pouvoirs. Mais
ce qu’il y a de plus grave, et ce en quoi la période actuelle est terrible,
c’est qu’on a annihilé, anesthésié le peuple complètement. La télé, le crédit,
le consumérisme, tout ça a fabriqué des veaux. Les gens sont ligotés. Le
crédit, c’est diabolique pour le peuple. C’est une société qui a cloisonné les
individualités jusqu’à un monstrueux chacun-pour-soi. Je me sens profondément
révolutionnaire, je prône la révolution mais je ne suis pas très optimiste. Il
y a une poignée de fous qui y croient, mais même si j’en ai très envie, les
signes ne sont pas vraiment rassurants. Même les syndicats
s’entre-bouffent ! Ils ont été divisés... Pour qu’il y ait révolution, il
faut vraiment qu’il y ait un flux, un flot, comme une certitude. En France, il
y a toute une classe de la société qu’on a embourgeoisée et qui finalement,
maintenant, a quelque chose à défendre, une sorte de patrimoine si l’on veut.
Et puis, je regrette que les jeunes ne soient pas plus politisés. C’est
diabolique ce système. On les force à dire que le but suprême, c’est de gagner
de l’argent. On a fabriqué des gens pressés, qui monteraient sur n’importe qui
pour arriver les premiers, qui ont la dent dure, qui sont méchants avec le
monde entier. Voilà, on a fabriqué des teignes, des ordures il faut bien le
dire. Et tout ça mène à la spéculation, la surenchère, la brutalité. Il faut
consommer. On crée des victimes du consumérisme, aucun doute là-dessus. Et ça
commence dès l’enfance. On est nombreux et nourris de besoins. Quand on voit
les besoins qu’on crée notamment chez les enfants, c’est meurtrier. La société
libérale et le capitalisme jouent à fond là-dessus ! Quant à la politique
qu’on nous donne à voir en ce moment, franchement, il y a de quoi pleurer. La
France conserve un vieux fond de pétainisme. C’est la délation, le fiel, jamais
le partage. Je suis triste. Je suis à la fin de ma vie et je me dis
putain ! On n’a pas avancé d’un pouce et au contraire, on est en train de
rétrograder. On a même perdu le bon sens, cette simplification qui était une
spécificité française. Ce bon sens qui fait que l’on ne croit plus aux contes
et aux légendes. Les gens maintenant sont pieds et poings liés, comme tenus en
laisse. Ils sont dépendants, ne sont plus eux. Il ne peut pas y avoir de
révolution dans ces conditions-là. Et avec l’avancée des technologies, la
priorité est donnée au virtuel. Mais c’est concret une révolution ! C’est
fait avec du pain, du sang, du foutre et des idées ! Les idées ? On
les a bouffées à force de rendre les gens passifs. On les a mécanisées. La
télévision, par exemple, qui est absolument géniale en ce qu’elle est un miroir
permanent sur le monde, est utilisée comme un carcan, un lasso qu’on fout
autour du peuple. Il faut qu’on continue à se parler. Il y a tout le bla-bla
mais je ne parle pas de ça, ce qui compte, c’est ce que les gens se disent
entre eux, et je trouve qu’ils se parlent de moins en moins véritablement.
C’est très mauvais finalement, ce silence. Donc, je ne crois pas que les
conditions de la révolution soient proches en France, sauf grande colère,
ras-le-bol. Finalement, c’est ce qui s’est passé en Tunisie.
Marion d’Allard :Donc les pauvres d’aujourd’hui ne seront pas les
communards d’hier...
Jean Vautrin. Non. D’abord
parce que la France est un pays riche, qu’on le veuille ou non. Les communards
étaient démerdards, ils avaient de la vertu, il ne faut pas l’oublier. Tout ça
suppose beaucoup de modestie. Aujourd’hui, chacun essaye de s’en sortir
« le mieux possible », mais il n’y a pas de mouvement collectif. Et
puis, la Commune est une période d’action. Il ne faut pas se faire d’illusions,
la révolution n’a qu’un temps. On a vécu deux cent cinquante ans sur celle de
1789, ce qui est un exploit, il faut bien le dire. Mais pour qu’une révolution
fonctionne, et qu’on puisse s’y recommander le plus longtemps possible – même
si c’est avec hypocrisie –, il faut penser l’après quand on est dans l’action.
Je crois que l’homme est perpétuellement insatisfait et que la seule vraie
solution pour nos démocraties, c’est de ne pas perdre de vue que, de temps en
temps, il faut mettre un coup de pied. C’est la tâche du citoyen. Une vigilance
permanente pour ne pas s’endormir... Alors, bien sûr, il y a des gens
formidables sur le plan des solidarités, dans les associations, dans le
voisinage, les petits services que l’on se rend... Mais il n’y a pas ce
mouvement collectif qu’il y a eu précisément pendant la Commune, où les gens,
brusquement, fraternisent. C’est fabuleux. Même sous les bombes des
versaillais, même assiégés, menacés de toutes parts, la vie continue dans
Paris. Les théâtres sont ouverts, les bistrots fonctionnent, on danse, on
chante, on chahute, on caricature, on critique... La vie ne s’arrête pas, au
contraire, elle est fraternelle, elle est dans la rue. C’est un forum
perpétuel, les gens, pour la première fois, se côtoient.
[…]
La suite ci-dessous :
Jean Vinatier
SERIATIM 2015
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