« Paris, le 8 juin 2015
Compte rendu de l’assemblée
générale de Liberté pour l’histoire, tenue le samedi 30 mai 2015 à
l’amphithéâtre I de l’université Panthéon-Sorbonne, sous la présidence de Pierre
Nora
Rapport moral, présenté par Pierre Nora, président.
— Le président commence par remercier la trentaine de personnes
venues assister à l’assemblée générale de Liberté pour l’histoire, qui marque
le 10e anniversaire de sa création.
— Il explique qu’il ne s’est pas tenu d’assemblée générale en 2014
essentiellement pour des problèmes de santé du président et de la
vice-présidente et en raison de la situation de mise en demi-sommeil de
l’association en attendant que la Grande Chambre de la Cour européenne des
droits de l’homme rende sa décision concernant la pénalisation de la négation
du génocide arménien.
— Il rappelle que, malgré la faiblesse de ses ressources humaines et
financières, l’association a obtenu des résultats significatifs et a eu une
action décisive au cours de ces dix ans, en particulier en trois moments clés :
– En 2005, lors des affaires simultanées de la mise en cause de
l’ouvrage Les Traites négrières,
de notre collègue Olivier
Pétré-Grenouilleau, et du vote de la loi sur « le rôle positif
de la présence française outre-mer ». Trois ans plus tard, en 2008, l’initiative de Liberté pour l’histoire inspirera à Bernard Accoyer,
président de l’Assemblée nationale, la réunion d’une
mission d’information destinée à définir jusqu’où le Parlement
devait s’investir dans les problèmes d’enseignement de l’histoire et de qualification du passé. Cette mission a abouti à la
publication d’un rapport qui fera date (rapport
d’information n° 1262), intitulé Rassembler
la nation autour d’une mémoire partagée, voté à l’unanimité moins une voix (Mme Taubira) de la mission.
– En 2008, lors de l’adoption par le Conseil de l’Union européenne,
le 28 novembre 2008, de la décision-cadre votée en première lecture par le
conseil des ministres européens le 20 avril 2007, la vice-présidente Françoise
Chandernagor et le président avaient obtenu que la France, sur l’intervention
de Jean-Pierre Jouillet, alors secrétaire d’État aux Affaires européennes,
ajoute un mécanisme dit « d’option » permettant de ne reconnaître dans le droit
français comme génocides,
crimes contre l’humanité et crimes de guerre que ceux qui auraient
été déclarés tels par un tribunal international. C’était protéger de toute
intervention du politique l’ensemble de l’histoire de France, tout en sanctuarisant
la loi Gayssot.
– Toujours en 2008, à l’occasion des Rendez-vous de l’histoire, nous
avons lancé l’Appel de Blois pour alerter contre les risques de « moralisation
rétrospective de l’histoire et d’une censure intellectuelle » et aussitôt
recueilli les signatures de plus d’un millier de personnalités et historiens de
toute nationalité.
– Enfin, en 2012-2013, lors de la tentative du président de la
République Nicolas Sarkozy de faire voter par le Parlement une loi visant à
pénaliser la négation du génocide arménien, l’intervention publique et très relayée
de Liberté pour l’histoire n’a pas été étrangère à la décision finale rendue le
28 février 2012 par le Conseil constitutionnel, dont Robert Badinter, ici même
il y a deux ans a résumé les conséquences : « Plus de loi mémorielle en tant
que telle, plus de Parlement jouant le rôle de l’historien, mais la poursuite
du négationnisme dans la mesure où, à travers lui, on décèle une volonté
d’atteindre une communauté, de susciter la haine à son encontre. »
C’était peut-être s’avancer un peu loin. Le nouveau président,
François Hollande, n’a pas tardé à annoncer, lors de son voyage à Erevan à
l’occasion du centenaire du génocide arménien, en avril 2015, son intention de
légiférer à nouveau. Cette intention est toutefois suspendue à une décision de
la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) dans l’affaire
dite « Perinçek ». Dans cette affaire, un justiciable de nationalité turque,
Dogu Perinçek, avait été condamné le 3 mars 2007 par un tribunal vaudois à une
peine pécuniaire pour avoir nié publiquement sur le territoire suisse non les massacres
commis contre les Arméniens en 1915, mais leur qualification de « génocide ».
Il avait aussitôt déposé un recours devant la CEDH. Le 12 décembre 2013,
celle-ci a rendu un arrêt donnant raison à M. Perinçek et condamnant le, gouvernement
fédéral suisse pour « Violation de l’article 10 (liberté d’expression) de la
Convention européenne des droits de l’homme ». Le 11 mars 2014, la Suisse
déposait un recours contre cet arrêt devant la Grande Chambre de la CEDH, qui devrait
rendre sa décision avant la fin de 2015. Il est à noter que ce recours a été appuyé
par la France, qui s’y est associée, alors même que, dans les attendus de son
jugement de 1re instance, la CEDH s’était appuyée sur la décision du
Conseil constitutionnel français. La décision finale de la Grande Chambre
devrait intervenir avant la fin de l’année 2015. S’il devait invalider le
jugement de première instance et donner raison au gouvernement fédéral suisse,
la voie serait ouverte pour l’Élysée d’exiger son application à la France
puisque le droit européen prime sur le droit national.
[….]
Questions diverses
— Le président informe l’assemblée d’une nouvelle affaire qu’il est
déjà convenu d’appeler l’« affaire Niort ». Jean-François Niort, maître de
conférences habilité à diriger les recherches en histoire du droit la faculté
des sciences juridiques et économiques de la Guadeloupe, à Pointe-à-Pitre, est spécialiste
du droit colonial et de l’esclavage. Il a fait paraître récemment un ouvrage de
vulgarisation intitulé Le
Code noir. Idées reçues sur un texte symbolique (Le Cavalier bleu, 2015), après de nombreuses études scientifiques
sur celui-ci, notamment chez Dalloz en 2012. Cet édit de 1685 avait fait
l’objet il y a près de trente ans d’une publication de Louis Sala-Molins, Le Code noir ou le Calvaire de Canaan (PUF, 1987), qui en faisait le symbole
de la barbarie coloniale française. Les conclusions de Jean-François Niort vont
dans un autre sens, faisant de cet édit royal, texte juridique pétri de contradictions,
l’acte fondateur du droit colonial français. Non sans le qualifier par ailleurs
de « texte criminel », il n’en reconnaît pas moins qu’il ait pu tenter «
d’interposer la loi étatique entre l’esclave et la toute-puissance domestique
».
Jean-François Niort a immédiatement fait l’objet d’attaques en règle
de la part des mouvements indépendantistes guadeloupéens, en particulier de
Danick Sandronis, allant jusqu’à réclamer son départ du territoire. Néanmoins,
un manifeste en sa faveur a déjà réuni plus de trois cents signatures, outre le
soutien de la Ligue des droits de l’homme de Guadeloupe et de personnalités
intellectuelles incontestables, à commencer par l’historienne Myriam Cottias,
présidente du Comité national pour la mémoire et l’histoire de l’esclavage, et du
philosophe Jacky Dahomay.
Le président propose à l’assemblée de lui donner mandat d’adresser à
Jean-François Niort un message de soutien.
— À la demande du président, Guy Pervillé met au courant l’assemblée
des tensions intergouvernementales entre l’Algérie et la France à l’occasion de
la commémoration du 70e anniversaire des massacres de Sétif et
Guelma, le 8 mai 1945, à la veille de la visite en Algérie du président
Hollande.
— Olivier Salvatori, secrétaire général adjoint, résume une
communication de Luigi Cajani, retenu par un colloque, sur l’adaptation de la
décision-cadre dans le droit européen à partir de deux lois que tout oppose,
l’une grecque, l’autre italienne. La première, adoptée par le Parlement grec en
septembre 2014, est une loi mémorielle du pire exemple, puisqu’il suffit qu’un
génocide, crime contre l’humanité ou crime de guerre ait été déclaré tel par le
Parlement grec pour que sa « négation » soit pénalisable. Les historiens grecs
sont mobilisés contre cette loi, dont la première victime est un historien
allemand, Heinz Richter, qui passera en jugement en septembre 2015. La loi
italienne, à l’inverse, pourrait faire figure de modèle, puisque loin de créer
de nouveaux délits, tels que « la banalisation grossière » de crimes internationaux
comme le réclame la décision-cadre, elle se contente de faire de la négation d’un
crime de ce type un facteur aggravant d’une loi de 1975 visant la
discrimination raciale, ethnique ou religieuse (plus de détails sur ces deux questions sont à venir prochainement
sur notre site Internet).
— Le président ouvre un débat avec l’assemblée sur l’opportunité
d’élargir l’objet de l’association à la défense de l’enseignement de l’histoire
et plus généralement à la liberté d’expression des enseignants.
Conclusion du président
— On avait pu croire après les succès des combats de ces dernières
années à un apaisement. Tout porte à croire aujourd’hui à l’intérieur comme à
l’extérieur à la nécessité pour l’association de remobiliser ses forces de
façon à peser de plus de poids, à la fois par le nombre des adhérents et les
capacités financières. »
Site de Liberte Pour l’Histoire :
Jean Vinatier
SERIATIM 2015
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