« Passionné
d’archéologie, Jean-Pierre Payot est agrégé d’histoire géographie et formateur
au CEPEC International. Il a publié "La guerre des ruines. Archéologie et
géopolitique", Paris, Choiseul. »
« Ce qui se joue à
Palmyre s’inscrit dans un cadre géopolitique spécifique. Deux conceptions du
monde et de l’humanité s’affrontent au travers de l’usage des ruines
archéologiques.
LE 21 mai 2015, après une vaste offensive, DAESH s’empare de Palmyre.
L’antique cité syrienne, préservée jusque-là des assauts des djihadistes, se
trouve tout à coup submergée et occupée. Au-delà d’une certaine stupeur cet
événement ne va pas sans provoquer, à travers le monde, une inquiétude
légitime. Le souvenir des bouddhas de Bamyan au destin funeste refait
soudainement surface. Palmyre va-t-elle subir le même sort que celui que les
Taliban avaient infligé en 2001 aux célèbres monuments afghans ? Ce n’est
pas la première fois dans l’histoire de l’humanité que des « conquérants »,
au nom de leur dieu ou de leur idéologie particulière, mettent à mal des
trésors de l’humanité. On sait ce qu’il advint de nombre de statues, d’objets,
ou même de villes mises à sac sous les coups de boutoir des
« barbares », venant de contrées obscures et pénétrant sans coup
férir dans tel ou tel empire « civilisé », qu’il fût romain ou
chinois… On sait aussi les ravages que purent commettre, sur différents
patrimoines, toutes les formes historiques de colonisation dans le monde. Plus
récemment, des guerres intestines, en particulier dans le « Tiers
monde », et surtout des guerres conventionnelles de grande ampleur, menées
par exemple au Moyen Orient, ont été particulièrement néfastes pour les
richesses archéologiques et patrimoniales détenues par les pays victimes de ces
conflits. L’exemple syrien apparaît donc
comme un épisode supplémentaire dans la longue histoire des destructions
culturelles depuis sans doute l’origine de l’homme. Et pourtant ! A
observer de près ce qui est en train de se dérouler à Palmyre, on ne peut
manquer de constater l’originalité de la situation.
Les enjeux dont la cité fait l’objet, du fait de l’existence d’une certaine
profondeur historique et symbolique liée au site même, présentent en effet un
caractère très spécial. Cette profondeur explique pleinement les risques qui
pèsent désormais sur ce joyau syrien. Déjà, les populations sur place subissent
de terribles violences par les occupants. Mais outre le scandale provoqué par
ces violences et leur caractère inadmissible, se pose la question de savoir ce
qu’il pourrait advenir de la cité dans son intégrité physique et historique. Les
djihadistes n’ont pas manqué d’envoyer un signal fort de leurs intentions à
l’égard des monuments antiques, en détruisant deux sanctuaires après la prise
de la ville. Ils n’ont pas hésité par ailleurs à poser un grand nombre de
mines ; de quoi anéantir complètement le site. Et pourtant… L’essentiel
des colonnes, des pilastres et des murs de Palmyre est encore debout. Est-ce à dire que DAESH,
traversé par des scrupules aussi soudains qu’improbables, redoute tout à coup
de réduire en cendre les lieux ? Certainement pas. La destruction toute
récente de l’arc de triomphe de Palmyre prouve le contraire. Et ce n’est pas la
contre-offensive actuellement menée par les forces de la coalition qui
nourrissent d’une manière ou d’une autre d’éventuels atermoiements du tout
nouvel Etat Islamique. Il est certain que tant qu’il a la main mise sur ce
morceau de territoire, DAESH continue d’utiliser à son gré sa récente conquête.
En fait, l’usage qu’il en fait, nous le
verrons, est éminemment politique (d’aucuns diraient machiavélique). Ou,
dans la mesure où il est étroitement lié à des enjeux ayant trait à la
possession d’un territoire, il est essentiellement géopolitique. Quoi qu’il en
soit, pour nous occidentaux, la question est de savoir s’il faut réellement
craindre pour la survie de Palmyre. L’antique et honorable cité doit-elle être
sauvée ? Cette question est certes partagée par les deux camps mais les
spéculations sur lesquelles elle se base demeurent résolument opposées…
[….]
La suite ci-dessous :
Jean Vinatier
Seriatim2015