« Leçon inaugurale prononcée au Collège de France le jeudi
3 avril 2014 par François Bourguignon économiste français,
directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS). Il a été
d'octobre 2007 à 2013 le directeur de l'École d'économie de Paris après avoir été
économiste en chef et premier vice-président de la Banque
mondiale à Washington entre 2003 et 2007. »
« Introduction :
Si l’on doit juger du
développement par la capacité des pays moins développés à rattraper les pays
les plus avancés et, par conséquent à diminuer la pauvreté dans le monde, les
performances du dernier demi-siècle – soit depuis la grande vague
d’indépendance des anciennes colonies – doivent être qualifiées de
« mitigées ». Certains pays, notamment en Asie, et la Chine en
premier lieu, ont connu un indéniable succès. En revanche, les niveaux de vie
de l’Amérique latine sont restés à peu près au même niveau par rapport à la
moyenne mondiale, tandis que plusieurs pays d’Afrique subsaharienne ont vu
s’accentuer leur retard initial. En proportion de la population mondiale, la
pauvreté a diminué. Mais, en nombre absolu de personnes pauvres, ce n’est que
sur les toutes dernières années qu’elle a commencé de régresser. Et, dans les
deux cas, le progrès tient avant tout aux performances exceptionnelles de la
Chine. Aujourd’hui, 1,3 milliard d’habitants de la planète vivent encore
dans le dénuement, avec moins de un euro par personne et par jour.
Manifestement, la quête d’une
recette universelle assurant le décollage économique n’a pas abouti. Seuls
quelques pays peuvent faire état aujourd’hui d’un tel résultat. Cependant, la
façon dont économistes, praticiens et décideurs abordent les questions de
développement a profondément évolué au cours des dernières décennies.
L’économie et la pratique du
développement n’ont-elles donc été qu’une suite d’essais, dont certains ont
débouché sur des succès, parfois retentissants, mais dont la grande majorité
n’a eu que peu d’impact ? Faut-il penser, comme le font certains, que
l’économie du développement est purement et simplement un échec et que l’on a
peu appris des expériences nationales telles qu’elles se déroulent depuis
cinquante ans ? Le mieux que l’on puisse faire est-il simplement de venir
en aide aux plus pauvres du monde en leur apportant un complément de pouvoir
d’achat ou en garantissant l’éducation et la bonne santé de leurs
enfants ? Devons-nous renoncer à trouver le moteur qui permettra de créer
les emplois productifs grâce auxquels les individus et les familles pourront
améliorer leur bien-être, exercer leurs talents et effectuer leurs choix de vie
en toute liberté, pour reprendre l’analogie heureuse d’Amartya Sen entre
développement et liberté1 ?
Fort heureusement, nous n’en
sommes pas là. Un savoir s’est accumulé sur les mécanismes du développement et
la lutte contre la pauvreté. Il montre une extraordinaire variabilité, dans
l’espace et dans le temps, des contraintes auxquelles sont soumis les pays
pauvres et des politiques mises en œuvre, et par conséquent la formidable
difficulté de généraliser à partir d’expériences individuelles. L’objectif de
mon enseignement au Collège de France est d’évaluer ce savoir en revenant sur
les grands débats de l’économie du développement à la lumière des éléments
théoriques et empiriques dont on dispose aujourd’hui.
Cette leçon inaugurale est
divisée en trois parties. La première retrace la façon dont ce savoir a
progressé au cours du temps et à la faveur, ou à la défaveur, de la conjoncture
économique mondiale. La deuxième porte sur le rôle que la communauté
internationale du développement – au premier chef les pays développés,
mais aussi les pays émergents – peut jouer en faveur du développement des pays
les plus pauvres, notamment dans le contexte de la mondialisation. La dernière
partie examinera plus concrètement les défis qui pèsent aujourd’hui sur le
développement de l’Afrique subsaharienne, région dont on peut penser qu’elle
concentrera de plus en plus la pauvreté mondiale dans les décennies qui
viennent.
[….]
La suite de la leçon inaugurale ci-dessous
Jean Vinatier
Seriatim2016
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