« « Si
l’Europe ne peut pas agir de concert pour persuader une majorité de ses
citoyens qu’elle peut parvenir à contrôler sa crise des migrants, alors l’Union
européenne sera à la merci d’un soulèvement populiste, qui couve déjà ».
L’avertissement ne vient pas d’un quelconque tabloïd britannique, mais de Sir
Richard Dearlove, qui a consacré 38 ans de sa vie au service de renseignement
extérieur du Royaume-Uni (MI6) dont il a été le patron de 1999 à 2004. Il
s’exprimait le 16 mai dernier à la BBC (1), soulignant que l’impact du flot
d’arrivants (un million six cent mille en 2015) menaçait de « bouleverser le
paysage politique en Europe », alors que « dans le monde réel, il n’y a
pas de solution miracle à la James Bond » pour endiguer ce flot. « L’histoire
nous dit que les marées humaines sont irrésistibles, jusqu’à ce que la poussée
gravitationnelle qui les a provoquées ne disparaisse ». Or, ajoute-t-il,
s’il « ne faut pas confondre le problème de la migration avec la menace
terroriste, l’ampleur du mouvement d’immigration, en particulier depuis le
Moyen-Orient, couplé avec la liberté de circulation à l’intérieur de l’UE, rend
le contrôle des frontières difficile. Les terroristes peuvent exploiter ces
circonstances – et le font, comme nous l’avons vu récemment avec leurs
déplacements entre Bruxelles et Paris, et vers ou depuis la Syrie. Quand autant
de personnes se déplacent, quelques-unes d’entre elles seront inévitablement
porteuses du virus terroriste. Un certain nombre des terroristes les plus
dangereux sont à l’intérieur de l’Europe, y compris au Royaume-Uni. Ils sont
déjà parmi nous ».
Le ministre de la Défense français, Jean-Yves Le
Drian, ne disait pas autre chose le 1er février dernier, en évoquant les
djihadistes de l’Etat islamique installés en Libye – en se disant « très
inquiet » : ils « sont là, sur près de 300 kilomètres linéaires de
côtes, ils se répandent. Et ils sont à 350 kilomètres de Lampedusa. Lorsque le
beau temps va arriver en Méditerranée, il y a des risques de passage de
combattants qui pourraient se mélanger à des réfugiés. C’est un risque majeur
» (2). D’autant que, selon ses propres chiffres, 800 000 migrants attendraient
de pouvoir passer en Europe – sans compter ce qui pourrait advenir si l’UE
offre vraiment un accès libre aux Turcs. Et d’un côté et de l’autre de la
Manche, les rapports se sont succédés.
A Londres, c’est la Chambre des Lords qui publiait le
13 mai dernier un constat très pessimiste sur l’opération EUNAVFOR Med, dite
Sophia, chargée de lutter contre le trafic maritime des clandestins en
Méditerranée et mise en place après la noyade le 18 avril 2015 de 700 migrants
(3). Lord Tugendhat, le président de la commission chargée du rapport, s’est
très clairement exprimé (voir la vidéo) : non seulement l’opération n’a pas
réussi à interrompre le flot d’immigrants, mais « une mission navale ne peut
pas mettre en échec le modèle économique du trafic d’êtres humains, et dans ce
sens, elle a échoué. Les réseaux de trafic opèrent depuis la Libye, et ils se
prolongent en Afrique. Sans le soutien d’un gouvernement libyen stable,
l’opération est incapable de recueillir les renseignements nécessaires pour
s’attaquer aux trafiquants sur la terre ferme. Alors qu’il est prévu que, dans
des phases ultérieures, l’opération Sophia puisse agir dans les eaux
territoriales libyennes comme sur terre, nous ne pensons pas que le nouveau
gouvernement libyen de coalition sera en position de travailler étroitement
avec l’UE et ses Etats membres dans un proche horizon. Sur le point de la mise
en échec des trafiquants, le rapport établit que la destruction de leurs
navires a été jusqu’ici insignifiante en regard de l’échelle de leur industrie,
et nous avons vu qu’ils changent simplement leur réponse tactique. Lorsqu’ils
sont en haute mer, les trafiquants ne sont plus à bord, et seuls des seconds
couteaux ont été arrêtés ». Neuf mille personnes ont été sauvées de la
noyade en mars, un bilan très positif qui n’est pas le cœur de la mission de
Sophia et dont il faut bien reconnaître qu’il joue paradoxalement comme un « accélérateur
migratoire ».
La suite ci-dessous :
Jean Vinatier
Seriatim 2016
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