Les publicités intempestives m'amènent à reproduire in extenso le propos de Gaspard Koenig publié dans Les Echos:
« La semaine dernière, je me
suis rendu au Prix littéraire de la Porte Dorée qui récompense des ouvrages sur
l'exil, et pour lequel, par un malentendu sympathique, mon dernier roman avait
été sélectionné. Dans l'amphithéâtre du Musée de l'histoire de l'immigration,
la crème de la diversité culturelle était rassemblée. Il fut question de
sang-mêlé, d'origines enfouies, d'exil douloureux, d'intégration coupable, de
périples mortels, d'incompréhensions mutuelles. Des histoires venues de
Bulgarie, Egypte, Kosovo, Vietnam, Guinée, Haïti, Géorgie se mêlaient dans une
langue syncrétique : la nôtre. Tout cela sur fond de drame des migrants,
ces « misérables contemporains » comme l'a dit avec éloquence
l'historien Benjamin Stora dans son discours introductif. Parmi ce public
choisi, chacun pense que l'immigration est un cadeau des dieux - moi le
premier, qui vis entre deux pays et suis marié avec un troisième.
Les économistes ne diraient pas autre
chose. La célèbre étude de David Car sur l'Exode de Mariel a montré que
l'absorption de 125.000 réfugiés cubains par la ville de Miami en 1980 a
conduit, passé le choc initial, à une amélioration du marché de l'emploi. Plus
récemment, l'étude de Joakim Ruist sur l'impact des réfugiés en Suède aboutit à
des conclusions similaires. Et le FMI estime que le PNB européen devrait être
supérieur de 0,25 % à l'horizon 2020 grâce aux réfugiés. Les nouveaux
arrivants créent de l'activité économique et, souvent, déploient une forte
énergie entrepreneuriale. L'Allemagne vieillissante ne s'y est d'ailleurs pas
trompée, tandis que la France reste hélas sur le bas-côté des routes
migratoires.
Seulement voilà, il n'a échappé à
personne que les peuples ne l'entendent pas de cette oreille. Des Etats-Unis à
l'Autriche en passant par la Pologne, des discours autrefois réservés aux
marges d'extrême droite sont au centre du débat public. A lire les embryons de
programmes ici et là, comme Jean-François Copé qui fait campagne sur
« L'amour de la patrie », on comprend que la droite française
s'apprête à suivre le mouvement. Et, à l'inverse, les bonnes paroles des
humanistes restent impuissantes face aux réalités sordides du marché des
passeurs et des naufrages en mer.
Plutôt que de s'en tenir à la
rengaine de l'amour de l'autre, il faut donc combattre le non politiquement
correct des nationalistes par un non politiquement correct de l'ouverture.
C'est exactement ce qu'entreprend Emmanuelle Auriol, économiste de la Toulouse
School of Economics, dans un livre courageux : « Pour en finir avec
les mafias » (Armand Colin). Dans la lignée de Jean Tirole, qui prend
toujours soin de laisser la morale en dehors des réflexions de politique
publique, Emmanuelle Auriol propose de légaliser ce qui fait l'objet des
trafics illégaux, à commencer par le sexe et la drogue. S'agissant de
l'immigration économique (bien distincte du droit d'asile, sacré et universel),
sa solution est aussi simple et rationnelle : la vente des visas. « Puisque
les politiques répressives de contrôle des frontières et d'identités ne sont
pas efficaces contre les passeurs, écrit-elle, une idée naturelle est
d'utiliser des instruments tels que les prix et le marché pour les
éliminer. » A l'immigration clandestine se substituerait ainsi une
immigration légale et payante, qui aurait le double avantage d'évincer les
organisations criminelles, et de renflouer les caisses de l'Etat pour mieux
organiser l'accueil ou lutter contre le travail au noir. Des négociations avec
les entreprises et les partenaires sociaux permettraient d'identifier les
secteurs les plus demandeurs, tandis que des accords avec les pays d'origine
faciliteraient les processus, gérés par des agences de placement privées
(l'Espagne s'est déjà engagée dans cette voie).
Il est assez probable que mes
nouveaux amis du prix littéraire de la Porte Dorée s'étrangleraient
d'indignation à l'idée de vendre des visas, et m'accableraient de sermons sur
le thème de la « marchandisation ». Mais vaut-il mieux laisser un
Erythréen entre les mains de mafias sans scrupules ou plutôt lui permettre
d'acheter sa nouvelle vie à un prix raisonnable, et de prendre tranquillement
l'avion pour l'Europe ? Si le marché est un instrument de gestion de la
rareté, pourquoi ne pas le mettre au service d'une noble cause ? Pour
gagner la bataille face aux populismes, il est temps que les bien-pensants se
mettent à penser bien !
Gaspard Koenig »
Source :
Jean Vinatier
Seriatim 2016
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