« Le lancement du
nouveau jeu géolocalisé de Nintendo connaît une ampleur planétaire. Pour
François-Xavier Ajavon, quand des gens se mettent à chasser frénétiquement des
Pokémon virtuels, une réalité s'impose : le Rien a triomphé.
A quelques encablures du
chassé-croisé des juilletistes et des aoûtiens, en pleine torpeur estivale,
tandis que les français dilapident leurs congés payés sur des plages
surpeuplées pleines de touristes allemands en short, alors qu'un ennui palpable
gagne toutes les rédactions, une information de premier plan est tombée sur les
télescripteurs du monde entier: l'humain vient enfin d'accéder à un plein
accomplissement intellectuel grâce à un jeu: Pokémon Go. A l'heure où j'écris
ces lignes seuls le Pape François, Elvis Presley et Michel Rocard ne se sont
pas encore exprimés sur cette révolution dans la mutation de l'humain, créature
animale déjà élaborée, vers encore plus de sophistication. La plupart de ceux
qui ont une certaine mémoire des choses de la vie se souviennent de la précédente
vague de Pokémon-mania qui avait envahi les cours de récréation hexagonale ;
cette résurgence ne peut que nous rappeler les heures les plus sombres de notre
Histoire. Alors de quoi s'agit-il? D'une application ludique développée par
Nintendo pour les Smartphones, exploitant leurs capacités de géolocalisation et
leurs caméras intégrées, permettant d'incruster les Pokémons dans
l'environnement des joueurs. Le but est, comme à l'époque de leur lancement il
y a 20 ans, sous Alain Juppé, de les capturer et de les dresser. Au fil de leurs
déambulations dans la ville, téléphones en mains, les joueurs se livrent donc à
une «chasse» aux Pokémons virtuels. Il n'en fallait pas moins pour que des
titres terrifiants surgissent dans la presse, avec des mots du type:
«engouement planétaire», «folie», «buzz», «fureur», «frénésie», l'action
Nintendo «s'envole» et bien entendu l'imparable «phénomène de société»… On a
demandé leur avis à des psychologues, des sociologues, des experts de toute
sorte. Hollywood songe à faire un film sur le sujet. Et naturellement on a tiré
le signal d'alarme sur les périls auxquels s'exposent les joueurs, on a fait
jouer le principe de précaution… A l'instar de la pratique de la perche à
selfies, la chasse aux Pokémon n'est pas sans risque: elle peut en effet
entraîner les participants le long de routes ou de voies ferrées, et la presse
américaine signale déjà des cas de blessés. La radio-télévision belge a
solennellement mis en garde la population du royaume au sujet des risques que
présente la traque des Pokémons en voiture. Les autorités françaises n'ont pas
tardé à se saisir officiellement du dossier ; face au risque de bousculade, de
mouvement de foule, d'émeute, de Nuit debout ou de tout autre débordement, un rassemblement
qui devait regrouper plus de 3000 personnes au Jardin du Luxembourg a été
interdit par la Préfecture de Police de Paris. Et comme le moderne vit dans une
société sans Histoire, plusieurs points de rencontre de chasseurs de Pokémons
se sont trouvés dans le mémorial de l'Holocauste, à Washington. «Il est
inapproprié de jouer à Pokémon GO dans ce musée, qui est un mémorial aux
victimes du nazisme», a déclaré l'un des responsables des lieux. Des
zombies, portables en mains, arpentent - le regard hébété - musées, lieux de
culte, et hôpitaux. On sait encore peu de choses de leur vie intérieure. On ne
sait pas vraiment s'ils sont heureux. L'histoire dira s'ils finiront eux-mêmes
par devenir aussi virtuels que le monde qu'ils adulent. Ils auront, quoi qu'il
en soit, occupé leur temps. Un bel exercice pour l'examen d'entrée à l'ENA
serait de faire écrire aux futurs élèves une note expliquant ce prodigieux
progrès de l'humanité - l'un des plus décisifs après le moteur à explosion et
le Gin tonic - au Préfet Poubelle par exemple, ou à un quelconque type né au
XIX ème siècle.
Résumons la situation: la fin de l'Euro de football a laissé un tel vide
que l'actualité s'en trouve ainsi dominée par Emmanuel Macron, Jean-Marc
Morandini, le coiffeur de François Hollande et les Pokémons. (Quatre noms
désignant d'ailleurs la même chose: le grand Rien). C'est triste. Vivement le
siècle prochain. »
Source :
Jean Vinatier
Seriatim 2016
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