«Issus de la « révolution
des casseroles » islandaise, le Parti Pirate est aujourd’hui bien implanté
dans la vie politique locale de l’île. Les pirates sont-ils une exception, ou
leur succès témoigne-t-il d’une mutation plus générale des partis et de
l’engagement politique ?
[….]
Ne s’agit-il que d’un
état passager, d’un nouveau soubresaut de la crise qui avait touché le
pays ? Peut-on tirer des enseignements plus profonds sur l’existence du
parti pirate islandais ? L’Islande est souvent présentée comme un
laboratoire : laboratoire économique, d’une « économie geyser » [3]
qui avait montré les limites de la libéralisation financière ; laboratoire
politique, où l’on s’est intéressé aux tentatives de réécriture de la
constitution, à son usage atypique de nouvelles formes de démocratie directe et
participative. On compare parfois l’Islande à une petite frégate aux mouvements
rapides, à laquelle il serait plus facile de changer de direction qu’à de
grands paquebots de plusieurs millions d’habitants comme la France ou
l’Allemagne. Il semble que l’Islande peut être un indicateur précieux de motifs
et de transformations plus difficiles à percevoir, plus longues à repérer dans
d’autres pays. Pour comprendre ce que les Pirates islandais pourraient nous
apprendre sur les mutations de nos façons de faire de la politique, il sera
nécessaire d’abord d’expliciter le contexte de leur apparition, puis
d’esquisser les spécificités de ce parti, notamment vis-à-vis de son usage des
nouvelles technologies. Puis nous nous intéresserons davantage au profil de ses
élus et de ses électeurs, pour ensuite observer quelles déductions et quelles
comparaisons peuvent être pertinentes à l’échelle européenne et internationale.
[….]
Les Pirates sont-ils de
gauche ?
Le refus de se positionner sur des échelons politiques classiques semble
caractériser les partis issus des mobilisations provoquées par la crise globale
de 2008. Björn Framtið et les Pirates pour l’Islande font ainsi penser au
mouvement espagnol Podemos, qui entend substituer une rhétorique du bas contre
le haut à celle de la gauche contre la droite. Cette critique de
« l’élite » et des professionnels de la politique est également
présente dans le Parti Pirate, qui met en valeur son statut de « novice de
la politique ».
Il semble que ce refus de se situer politiquement indique avant tout une
absence de position sur le rôle de l’État dans la sphère économique. Autrement
dit, il n’existe pas de critique radicale de l’économie de marché, comme cela
peut se constater dans la core
policy, le noyau idéologique du parti, ensemble de six points
principaux fondant son programme politique. Ceux-ci concernent davantage les
questions de l’information, la transparence, la vie privée, la promotion de la
démocratie directe et la décentralisation. Nombre des idées défendues par le
Parti Pirate promeuvent la protection de la vie privée et la liberté
d’expression, et il faut citer à ce titre notamment l’IMMI
ou Initiative islandaise pour la modernisation des médias, votée sous
l’impulsion de Birgitta Jónsdóttir. Adoptée à l’unanimité par le Parlement en
2010, cette initiative parlementaire s’inscrit à la fois dans les critiques des
collusions des politiques et des banques, des procédés obscurs qui avaient
précipité le pays dans la crise, et dans le contexte international de
médiatisation croissante de Wikileaks. Elle vise à établir un corpus de lois
favorables au journalisme d’investigation et aux lanceurs d’alerte, et a déjà
contribué à améliorer la protection légale des sources journalistiques, fait
émerger de premiers projets de loi sur la protection et le droit d’asile pour
les lanceurs d’alerte, ou bloqué certaines dispositions du droit européen
jugées menaçantes pour la protection des données privées.»
La suite ci-dessous :
Jean Vinatier
Seriatim 2016
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