« Ecrivain, journaliste et grand reporter français ayant notamment
travaillé pour des journaux et magazines tels que le Canard enchaîné, Paris
Match ou L’Express, et collaborant aujourd’hui avec Mediapart et
Afrique Asie.
Jacques-Marie
Bourget, spécialiste des pays en conflits du Moyen-Orient, tout
particulièrement de la question palestinienne dont il est lui-même l’une des
victimes, après avoir été grièvement blessé par un tir de fusil M-16, revient
pour nous dans cet entretien sur la libération de la ville d’Alep par les
forces gouvernementales syriennes et l’entrée en vigueur du cessez le feu dans
les différentes villes de Syrie. Il aborde également le traitement médiatique
des conflits de la région par les grands médias français, mais aussi le rôle
des dirigeants de son pays -de gauche comme de droite- dans l’aggravation de la
situation en Syrie.
Reporters : La crise syrienne, et plus particulièrement les derniers
développements dans la ville d’Alep, préoccupe aujourd’hui la « communauté
internationale ». Quelle est votre point de vue sur la question ? Et que
représente, selon vous, la libération (ou la chute, c’est selon) de la partie
Est d’Alep pour la suite du conflit ?
Jacques-Marie Bourget : On ne peut parler avec froideur d’un événement aussi
douloureux. Dire des « vérités » sur ce drame ce n’est pas oublier ou mépriser
les victimes. Ayant, comme reporter, assisté à tant de guerres, je connais le
prix du sang, celui que l’on n’évalue jamais dans les communiqués diplomatiques
ou de presse. Le monde occidental a entraîné les Syriens dans un piège. Voilà
près de vingt ans que les Etats-Unis et son allié Israël, tentent d’obtenir un
changement de régime en Syrie. C’est-à-dire l’éclatement d’un pays qui ne peut
rester tout entier sans avoir à sa tête un régime en béton. Les Occidentaux
rêvent depuis longtemps de démembrer le Moyen-Orient. Mission assez facile
puisque nous trouvons-là, dans des frontières tracées par les pays colons
l’Angleterre et la France, une myriade de groupes religieux et ethniques où les
thèmes de divisions sont multiples. Si des « printemps arabes » ont bien
existé, leur vie fut brève. Je veux dire la révolte initiale et légitime de
populations vivant dans des conditions économiques et de liberté indignes.
Cette rébellion a été brève puisque tout de suite prise en main par des « ONG »
américaines qui, elles, marchent aux consignes données par Washington et
Wall Sreet. Je veux parler des machines de guerre pilotées par le
milliardaire George Soros, par Madeleine Albright, avec parapluie
de la CIA. Ce sont eux les parrains des « révolutions » Orange
expérimentées en Serbie, puis en Géorgie avant de mettre en place un régime
corrompu en Ukraine. C’est cette médecine qui a été appliquée à la Tunisie, en
Egypte, en Libye et en Syrie. On alimente une juste révolte, on lui donne un
coup de main. Puis, quand le pouvoir, lâché par Washington, vacille, on met en
place un « processus électoral » dont on sait qu’il va porter au pouvoir les
Frères Musulmans, puisque c’est la seule force politique organisée. C’est le
schéma utilisé en Syrie pour abattre BacharAl-Assad. Mais ici la
résistance du régime a été si farouche que la répétition de ce qui s’est passé
en Egypte et en Tunisie n’a pas fonctionné. Pire, ce sont
Al Qaïda et Daech qui ont pris la place de révoltés. Alors
que faire ? Accepter de livrer une Syrie brisée à un Califat ? Choix impossible
pour des démocrates, et pour les voisins de la Syrie, c’est-à-dire la Russie et
l’Iran, puisqu’Israël s’accommode bien d’un islamisme « radical » qui ne lui
veut aucun mal. Il fallait donc qu’Alep soit débarrassée de ses djihadistes. Et
c’est ce que Bachar et ses alliées ont fait. J’allais dire ils
n’avaient pas le choix. Observons que parmi les supporteurs
de Bachar on trouve le Parti Communiste syrien. Ce PC qui a tant
souffert de la police de la famille Assad a compris que, sans le maintien en
place de ce dernier avatar de la dynastie, c’était la mort et la disparition du
pays.
Le parti
pris clair, et le manque flagrant d’objectivité de l’ensemble des grands medias
français (mais aussi d’autres pays, arabes notamment) dans le traitement de la
crise syrienne suscite l’incompréhension. La presse est-elle «libre»
dans le traitement de la situation en Syrie ?
On avait
cru comprendre, après les mensonges de Bush en Irak, mensonges reproduits et
amplifiés par la presse, qu’une page allait se tourner. Il n’en est rien. On a
les mêmes mensonges, les mêmes vidéos « dramatiques » tournées non pas à Alep,
mais dans un décor en Irak. On a les « casques blancs » pris au sérieux et mis
en scène. Des « journalistes citoyens » (comme si les autres ne l’étaient pas)
qui ne sont rien d’autres que des djihadistes équipés de caméras et de relais
Facebook. On possède les mots utiles, par exemple le journaliste doit parler de
l’usage de gaz de combat, de « barils d’explosif ». Ce fameux gaz sarin,
imaginé par le journal Le Monde, n’a jamais été lancé par les troupes
de Bachar. C’est ce que démontrent, jusqu’à aujourd’hui, les enquêtes de
l’ONU. Pour ce qui est des « barils », ça fait une image, elle est terrible,
mais ces armes de fortune, si je peux dire, sont moins dangereuses qu’un bon
missile ou une bombe acheté à la France ou à l’Amérique. La presse a réussi à
convaincre une bonne partie du public que ces terroristes, ceux qui sont venus
mitrailler, écraser des civils en Europe, que ces « rebelles syriens », étaient
subitement des martyrs qu’il fallait protéger. C’est incompréhensible. Mais la
presse française est moribonde, sans doute étouffée par ses mensonges.
Reporters : Quelle serait votre commentaire sur l’action politique française
(de gauche comme de droite) concernant la crise syrienne ?
Jean-Marie Bourget : Nicolas Sarkozy qui était, à la demande de l’émir du
Qatar, devenu l’ami de Bachar a joué un grand rôle dans le départ de
la guerre. Sarkozy a puni Bachar pour son refus de valider le tracé
d’un pipeline, en Syrie, celui qui devait favoriser la passe du gaz du Qatar
plutôt que celui venu d’Iran. C’est un des éléments. Une guerre a toujours une
raison économique. Après cela, Hollande a pris le pas rythmé par Washington et
Netanyahou. Le « droit » et même le « devoir d’ingérence » a été le libre
passeport : il fallait écraser le tyran. Dans le même temps, Hollande
embrassait les princes de la monarchie dictatoriale d’Arabie pour broyer le
Yémen… Subitement les « droits de l’homme » étaient alors priés de rester au
vestiaire. Imaginez qu’Hollande a voulu entrainer Obama dans un bombardement de
Damas ! Heureusement, après un test, les Américains se sont rendu compte que
les défenses russes, installées en Syrie, étaient telles que toute attaque
était très dangereuse sinon vaine. Hollande est le portrait craché de ce
Mitterrand qui, en Algérie, a actionné la guillotine ou fait donner le canon
contre les villages, et fermé les yeux sur la torture.
Depuis
quelques années la question palestinienne est totalement absente dans les
médias occidentaux (et français). En tant que journaliste, et auteur de
plusieurs ouvrages sur la Palestine, comment expliquez-vous cette situation ?
La
question palestinienne est morte en même temps que les tours de Manhattan se
sont écroulées. La cause, dans les discours de l’Occident, s’est confondue avec
les attaques terroristes. En Europe la défense de la Palestine est devenue la
bataille, presque exclusive de l’islamisme, des relais du Hamas. Tout cela conduit
à une confusion, Palestine, Hamas, djihad, barbus : tous dans le même sac ! En
France on a pu lire dans la presse qu’en écrasant Gaza, Israël « nous
protégeait du terrorisme ». Aujourd’hui, contre les islamistes violents, on
demande aux militaires et policiers, de prendre modèle sur Israël. On confond
état de droit et colonisation. Et le soi-disant sursaut d’Obama, juste avant
son départ, n’est qu’un geste de comédie.
La suite ci-dessous :
Jean Vinatier
Seriatim 2017
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire