« Jean-Paul
Brighelli. Voilà que vous détournez le « grand remplacement »
ethnique cher à Renaud Camus par un « grand remplacement » économique
: l’ubérisation de l’ensemble des sociétés libérales — française, entre autres.
Pouvez-vous expliquer en quoi consiste cette mutation ?
Alain de
Benoist. Le « grand remplacement économique », ce n’est pas tant l’ubérisation
que le remplacement de l’homme par la machine, voire par l’intelligence
artificielle, à laquelle conduit l’évolution même du travail, évolution dont
l’ubérisation ne représente qu’un aspect.
On l’oublie trop souvent : le capitalisme, ce n’est
pas seulement le capital, c’est également le salariat. C’est aussi le système
qui repose sur la force de travail, base de la valorisation du capital, et la
transformation du travail concret en travail abstrait, concomitante de la
transformation de la valeur d’usage en valeur d’échange. La transsubstantiation
du travail en argent, puis de l’argent en capital, produit l’autovalorisation
de la valeur. Le travail au sens moderne est une catégorie capitaliste. La
généralisation du salariat fut une révolution silencieuse, mais une mutation
énorme. Hier on avait un métier, aujourd’hui on cherche un emploi. Le métier et
l’emploi, ce n’est pas la même chose. L’avènement du marché où l’on peut vendre
et acheter contre salaire de la force de travail implique à la fois la
destruction des anciennes formes sociales et la séparation du travailleur
d’avec les moyens de production.
La contradiction principale à laquelle se heurte
aujourd’hui le capitalisme est directement liée à l’évolution de la
productivité. Cette contradiction est la suivante. D’un côté, le capital
recherche en permanence des gains de productivité lui permettant de faire face
à la concurrence, ce qui entraîne des suppressions d’emploi et une diminution
du temps de travail global (on produit de plus en plus de choses avec de moins
en moins d’hommes). De l’autre, il pose le temps de travail comme seule source
et seule mesure de la valeur. La contradiction tient au fait que les gains de
productivité aboutissent à supprimer des emplois, alors que c’est justement la
forme « emploi » qui a permis au travail d’être le moteur de l’expansion du
capital. La contradiction entre le marché actuel du travail et la production
réelle de survaleur fait que le système capitaliste est aujourd’hui menacé, non
pas seulement d’une baisse tendancielle du taux de profit, mais d’une
dévalorisation généralisée de la valeur.
Avec la révolution informatique et le développement de
la robotique, la production de richesses se découple par ailleurs toujours
davantage de la force de travail humaine, et pour la première fois on supprime
davantage de travail qu’on ne peut en…
Jean Vinatier
Seriatim 2017
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