« Dans une tribune publiée dans le journal « Le Monde », le
constitutionnaliste Alexandre Viala avance que le Président Emmanuel Macron
incarne, mais aussi développe, une nouvelle forme de gouvernement, qu’il
appelle «épistocratie », usant d’un néologisme très peu usité[1].
Ce terme désigne un mode de gouvernement au sein duquel le pouvoir serait
confié aux savants. Cette tribune, au-delà les critiques de forme que l’on peut
lui faire aborde un véritable problème. Il n’est cependant pas neuf. Je lui
avais consacré un ouvrage dès 2002[2].
En fait, cette dérive peut s’interpréter comme la forme la plus brutale, et la
plus avancée, d’une dérive intrinsèque aux démocraties libérales dès qu’elles
tentent de se penser sans référence à la légitimité comme fondation de la
démocratie : c’est la substitution du technique au politique[3].
C’est ce qui sous-tend l’usage répété par la Président de la République de
termes qui ont pu être considérés comme arrogants, méprisants, voire odieux, et
parmi lesquels il convient de compter les « gens qui ne sont rien », les «
fainéants », le « bordel » et autres joyeusetés. Ces termes ne sont pas de
simples dérapages. D’ailleurs, leur répétition et le cadre dans lequel ils ont
été proférés montrent bien que l’on est dans une intentionnalité. Ils sont un
des symptômes du régime qu’Emmanuel Macron veut établir.
L’épistocratie et l’expertisme
Cette «épistocratie » qui s’installe, pour reprendre donc le terme
de Viala, signifie la mort de la démocratie, la fin de la République comprise
comme la « chose publique » partagée par tous, et que tous ont un même droit,
et un même devoir, à défendre et à faire prospérer. Dans un livre qui sortira
le 25 octobre, Natacha Polony écrit : « Or, il n’est pas de projet politique
véritable qui ne repose sur l’ambition de ‘changer la vie ‘. Telle est en fait
la définition de la politique : l’idée qu’il est possible, par l’action
collective des citoyens assemblés, de faire émerger les conditions d’une
société qui mette réellement en œuvre les idéaux de liberté, d’égalité et de
fraternité. Bref, le contraire absolu et radical de ce dogme selon lequel ‘il
n’y a pas d’autre politique possible’ »[4].
Rien de plus juste. Mais, cela implique de faire alors le bilan, avant d’en
faire le procès, de cette tendance à la fin de la politique, à son remplacement
par la technique, autrement dit par ce triomphe d’un discours dans lequel
l’expert se perd et se nie : l’expertisme.
Cette tendance s’est incontestablement accélérée depuis les vingt-cinq
dernières années. Elle s’appuie à la fois sur l’évolution des institutions, et
de ce point de vue la mise en place de l’Euro lui a donné un coup de pouce
ravageur. Elle s’appuie sur les dérives de certains économistes. Car, les
économistes jouent un rôle décisif dans ce processus, que ce soit en promouvant
des raisonnements qui serviront de caution idéologique à cette dépolitisation
du politique, ou en fournissant des solutions « clés en main » qui accélèrent
ce processus. Par leurs écrits comme par leurs actions, de nombreux économistes
et de nombreux « experts » sont sortis du cadre de la République. C’est ce qui
justifie, pour eux, le glissement de la démocratie en une nouvelle tyrannie,
mais un tyrannie qu’ils espèrent douce à leurs intérêts…
La suite ci-dessous :
Jean Vinatier
Seriatim 2017
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