Si l’on attendait avec impatience la célébration de l’année 1917, on
aura été déçu : la Russie s’est contentée d’un Mur du chagrin. La
discrétion du pouvoir russe sur ce sujet n’aura pas soulevé une grande
protestation parmi ses adversaires libéraux (et pour cause), quant aux
communistes ils furent atones. En France, il y eut des velléités à commémorer
ce qu’on associe, ici, à 1789. Un historien américain, Arno Meyer avait commis,
en 2002 avec Les furies, un fort
intéressant ouvrage sur le parallèle entre les deux révolutions mais,
constatons, qu’on ne jugea pas utile de le réimprimer pour cette année.
La Russie a-t-elle effacé 1917 ou bien posa-t-elle un voile de
deuil ? Vladimir Poutine né, grandit et parvenu au plus haut de l’autorité
grâce à l’Union soviétique ne vient-il pas de tuer le père pour libérer la mère
patrie russe ? En tout cas, il est assez unique dans les annales de voir
un Chef d’Etat considérer comme accessoire la célébration des révolutions
fondatrices, ici, pour rien au monde on ne manquerait cela. Vladimir Poutine est
un maître d’une bien grande habileté, qui d’année en année, se dévêt de l’uniforme
du KGB pour se vêtir de nouveaux habits quasi sacerdotaux en ce sens où il
tente discours après discours de tracer une histoire russe qui serait une vague
suffisamment haute pour avaler les soixante-dix années rouges. Certains
affirmeront que le gouvernement russe aurait craint en donnant de l’ampleur aux
deux révolutions de 1917 de rouvrir des voies contestataires mais, d’autre,
encore pourraient tout aussi bien écrire qu’en taisant l’histoire ce même pouvoir se condamnait à le voir
ressurgir en cas de crise grave.
La France serait dans l’incapacité d’agir de cette manière tant elle
connut tout au long du XIXième siècle de régimes différents et successifs par
barricades interposées : la République installée faute de mieux, en 1875,
conserve sa fragilité tout en s’étant entremêlée au passé sans lequel elle eut
sombré. Depuis le projet européen passé de la Communauté à l’Union avec la
perte de la souveraineté monétaire, la République perd de sa sève et qu’adhérent
aux idées sociétales les plus liées à un libéralisme financier avide et
dévoreur, elle délaisse des pans entiers de son arbre. En fait la République n’est
plus le génie de la Bastille mais une Bastille, elle-même dont on lui dispute l’ombre.
L’Union soviétique, elle, rompit avec hier, voulut l’homo sovieticus ce
qui n’empêcha pas Staline lui-même en 1941 devant l’effondrement de son armée dans
appeler à la sainte Russie. L’échec de la glasnost précipita l’Union soviétique
vers la fin : en décembre 1991 c’est le drapeau d’avant mars 1917 qui s’afficha
au Kremlin. L’identité russe avalait donc l’homo sovieticus ce que comprit
Vladimir Poutine qui dirigeant ce pays depuis dix-sept ans, veilla à exalter
les valeurs traditionnelles quitte à laisser faucille et marteau aux côtés de
la nouvelle société russe.
Pour affronter les défis démographiques, géopolitiques, énergétiques la
Russie a besoin de toutes les forces les plus ancestrales pour ne pas perdre la
main. Vladimir Poutine réussit pour l’heure à aller au-delà des Tsars,
notamment en Orient via la Syrie, où il parvient à être une puissance
équilibrante sinon modératrice. Ainsi n’apparaît-il pas, aux yeux des Kurdes
comme un allié fuyant à l’instar des Etats-Unis alors même qu’il n’encouragea
pas leur indépendance. Vis-à-vis de la Chine il escompte avoir le tempo face
aux appétits pékinois mais c’est du côté de l’Ouest qu’il rencontre un nouveau
Mur de Berlin : une poutinophobie permanente de la part, non pas des
peuples des Etats de l’Union européenne mais de leurs dirigeants. Pierre Le
Grand avait imposé la modernité via l’Ouest et depuis lors la Russie a regardé
dans notre direction comme on ouvre une fenêtre. Nous l’a lui fermons au risque
de nos intérêts mêmes pour complaire à des dogmes économiques redoutables et
ravageurs.
La faiblesse russe serait dans cet obstacle face à l’Ouest mais les
Russes ont connu et soufferts sous Boris Eltsine de cet ébahissement pour l’Ouest
qui manqua de peu de dépouiller complétement leur pays. Pensons à l’affaire
Ioukos dont le dirigeant, s’il n’avait pas été stoppé net, aurait vendu à l’étranger
l’indépendance énergétique de la Russie : le Russe n’a pas oublié !
Vladimir Poutine est autoritaire dit-on mais regardons l’immensité territoriale
de cette puissance et les multitudes d’ethnies et peuples et religions avant de
jeter l’anathème sur ce grand pays et son dirigeant fort haut.
Que 1917 soit pour la Russie un mur de chagrin illustrerait donc le
désarroi que furent les déchaînements de cette année, des décennies ensuite :
les Russes, Poutine en tête, seraient-ils parvenus à ce que les Furies se fissent Bienveillantes comme
dans l’antique Grèce ?
Jean Vinatier
Seriatim 2017
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