Quelques
mots sur les paris en question
Ensevelis sous une avalanche
de « réformes » désordonnées et mouvantes, les citoyens cherchent la
lumière qui leur permettrait d’entrevoir le chemin et la destination où
l’Exécutif et son Chef cherchent à les conduire. Il est difficile d’y voir
clair dans l’instabilité généralisée déclenchée et l’enchevêtrement d’une
quantité de coups fiscaux consistant, finalement, à prélever le plus possible
sur ceux qui opposeront le moins résistance. Avec, en outre, une information
très partielle (et partiale) sur les paris qui sous-tendent nombre des
décisions et des mesures prises. Des paris plus ou moins hasardeux, qui rendent
aléatoires les résultats à attendre des « réformes ». Il faut dire
que l’élection de Macron elle-même a été un pari de taille. Nettement plus que
celles de ses prédécesseurs.
En ce qui concerne l’emploi et
la réduction du chômage : arborer la « flexibilité » et donner
plus de liberté et de « sécurité » aux entreprises pour licencier,
afin de les encourager à recruter davantage, n’est pas qu’un paradoxe. C’est un
pari hasardeux. Non sans risques de « dégâts collatéraux ». En hâter
l’application à l’aide des ordonnances, c’était, dès le départ, contribuer à
créer un point (ou un abcès) de fixation des mécontentements de la gauche,
d’Insoumis, de syndicats et de jeunes. Pour le moins. Réellement profitable à
Macron ? Nous verrons.
L’Exécutif compte sur la
poursuite, voire l’amplification, de la croissance en Europe et dans le monde
[espérons-le !] pour tirer vers le haut la croissance française.
Problème : pour que notre économie en tire parti, il faudrait qu’elle soit plus compétitive et
parvienne à réduire le fort déficit commercial de notre pays, en produits
industriels, en particulier. Or, il n’y a pas trace d’une véritable politique
industrielle nationale. Il est vrai que c’est incompatible avec nos engagements
envers l’Union européenne (UE). Il ne faut surtout pas la décevoir. Et la
teneur du « Grand plan d’investissement » public est particulièrement
faiblarde, tandis que son montant est limité par la sacro-sainte
« contrainte budgétaire », accentuée par le fait que les dépenses
publiques de fonctionnement ne vont pas baisser.
Si les PME et les TPE ne sont
pas des « startups » évoluant dans les sphères éthérées du numérique,
de l’énergie renouvelable ou d’autres hautes technologies, et se contentent de
répondre à la demande en portant des emplois (pas forcément très qualifiés),
tans pis pour elles. Pas un geste significatif de soutien ne sera joint aux
flots de paroles qui les ont flattées pendant la campagne.
Grave omission et pari
incompréhensible, le programme retenu ne comporte pas de réduction immédiate
des charges sociales supportées par les employeurs, alors qu’elles gonflent de
façon insupportable le coût du travail. C’est un handicap majeur pour leur compétitivité
qui est dénoncé sans relâche par les entreprises, et en premier lieu par celles
qui sont confrontées à la concurrence internationale.
La diminution de l’Impôt sur
les sociétés (IS), enclenchée par Hollande, sera progressive. Son taux sera
abaissé à 25% en 2022. Il sera alors encore un des plus forts d’Europe.
En fait, pour dégripper l’investissement et
« booster » la croissance, le Président mise beaucoup sur les cadeaux
géants faits aux plus riches avec : l’exclusion des actifs financiers
et mobiliers de l’Impôt sur le patrimoine (ex ISF) complétée par la création du
Prélèvement forfaire unique (PFU) de 30%, ou « flat tax », qui
bénéficiera surtout aux foyers fiscaux ayant les revenus financiers et
mobiliers les plus élevés. Ces « bienfaits » seraient des atouts
décisifs pour « inverser la courbe de l’exil fiscal » et inciter de
nombreux très riches citoyens à investir dans l’appareil productif en France.
On peut donc parler « d’investisseurs privilégiés »… s’ils
investissent effectivement.
Les ménages sont appelés,
incités, poussés à se montrer constructifs, à investir dans l’économie
productive (actions et obligations), ou à épargner moins et consommer plus pour
solliciter plus l’appareil productif… ou les importateurs. Par la hausse de la
CSG, les rendements des placements (comptes courants, livrets d’épargne, PEL…),
déjà très faibles, sont diminués. Les taux de l’épargne réglementée sont
bloqués, à 0,75% pour le Livret A et le Codevi. Les mesures fiscales envers les
PEA et l’Assurance-vie (qui financent pourtant l’économie et la dette publique)
sont ambigües et ne manquent pas de chausse-trapes. Là aussi, un certain
désordre et de mauvaises surprises peuvent être craints. Et la méfiance des
épargnants est montée de plusieurs crans.
Ciblés ostensiblement, les
propriétaires, de vils « rentiers » oisifs, et l’immobilier, un
investissement déclaré improductif, sont traités comme des ennemis publics.
L’immobilier aurait trop de succès auprès des épargnants. Il ferait de l’ombre
aux très aléatoires spéculations boursières et aux autres placements
financiers, très mal rémunérés. Alors,
le patrimoine immobilier des particuliers est soumis au nouvel Impôt sur la
fortune immobilière (IFI). Les revenus immobiliers sont exclus de l’application
du PFU. Une évidente discrimination, très contestée, est à l’œuvre. Dans les
limites de la constitutionnalité ? La question est posée.
Les retraités, « trop » souvent propriétaires de
leur logement, sont dans ligne de mire, avec, pour prime, une hausse
conséquente de leur CSG, sans compensation, à la différence des salariés.
Injustice de cette
« politique » mise à part, le risque est de voir l’investissement
immobilier faiblir et, derrière lui, le secteur de la construction touché à son
tour. Pas bon du tout pour la croissance et l’emploi, dans ce cas.
Pas de coup d’arrêt à la
dépense publique et, corrélativement, à la voracité du fisc. Pas de baisse des
effectifs de la Fonction publique d’Etat. Voilà un autre pari majeur, « ni
de gauche ni de droite », très critiqué en France, pas seulement par la
droite. Il suscite des interrogations,
sinon des doutes ou des inquiétudes à Bruxelles… sans être applaudi par
« nos » partis de gauche. Ceux-ci estiment inappropriées les restrictions
budgétaires et voudraient une relance (pseudo-keynésienne) de la croissance et
de l’emploi par la demande et le déficit.
Sans respecter le principe de
précaution, les réformes mettent à mal notre Système complexe de Protection
sociale et de Redistribution, ainsi que son financement. Dans son volet
« sécurité » de la « flexi-sécurité » à la Française,
l’Exécutif veut supprimer les cotisations sociales salariales chômage et
maladie et faire prendre en charge l’Assurance chômage (AC) par l’Etat. A
l’origine, il désirait même étendre gratuitement l’AC à tous les travailleurs
non salariés (indépendants, patrons, agriculteurs…) ainsi que verser des
allocations chômage aux salariés démissionnaires volontaires présentant un
projet acceptable. Un nouveau droit au chômage renouvelable tous les cinq ans pour
favoriser la mobilité et/ou l’accomplissement personnel. Le coût de telles
dispositions n’avait pas été correctement évalué. Face au risque de voir le
nombre de « chômeurs » exploser et creuser un puits sans fond à
l’Unedic, les gouvernants ont dû se rendre à la raison budgétaire et reculer.
Il a été décidé de durcir l’accès aux allocations chômage, d’adopter des
mesures restrictives sur les durées d’indemnisation et de contrôler
vigoureusement la recherche d’emploi par les chômeurs, ex salariés ou non. Finalement,
les travailleurs auront donc de bonnes raisons d’éprouver un plus fort
sentiment de « sécurité » ! Les partenaires sociaux (patronat et
syndicats) verront leurs responsabilités diminuer et leur pouvoir décisionnel
reculer au profit de celui de l’Etat.
La suppression de la taxe
d’habitation pour 80% de la population portera atteinte à l’autonomie fiscale
des communes, de façon très inégale, pour ne pas dire aveugle. C’est aussi une
opération de redistribution des revenus qui modifiera notablement la
répartition de la charge fiscale entre les ménages… au profit des plus
« modestes » et au détriment des classes moyennes
« aisées ».
Avec l’IFI et la TGUP,
redistribution des impôts aussi, entre les « riches » aux patrimoines
financiers importants, grands gagnants, et les propriétaires immobiliers,
principaux perdants, avec tous les contribuables dont les majorations fiscales
financeront les cadeaux faits aux plus riches.
Nous verrons plus loin
d’autres exemples montrant que notre Système de Redistribution va être
bouleversé, sans dessein d’ensemble explicite. Sans que les Français puissent
se rendre compte vraiment de la profondeur des changements à venir et apprécier
si ceux-ci sont porteurs de progrès ou de reculs.
Macron se glorifie de
respecter son programme, de tenir ses engagements, contrairement à tous ses
prédécesseurs. Or, ses « engagements » de campagne n’ont pas tous été
très clairs et précis, en particulier sur les moyens qui seraient mis en œuvre
et, plus encore, sur les aboutissements projetés et les résultats attendus.
« Prudent », il s’est gardé d’afficher des objectifs chiffrés et
datés sur la croissance, sur la réduction du chômage, sur l’augmentation des
niveaux de vie, sur le recul de la pauvreté, sur l’équilibre des comptes
extérieurs, etc.
Pour lui,
« tenir ses engagements », c’est faire entrer dans la loi,
éventuellement en usant des ordonnances, le maximum de mesures (ou réformes)
qu’il a annoncées. Facile ! Au Parlement, le dernier mot revenant à une
Assemblée nationale très largement dominée par une « majorité
présidentielle » LREM et MoDem, qui lui est soumise sans réserve, les
propositions de l’Exécutif passent comme des lettres à la poste. Seule une
fraction minime des amendements proposés par les autres partis n’a pas été
rejetée… jusqu’ici.
Les principales
« oppositions » actuelles aux réformes ne sont pas celles des
Insoumis, des Républicains, d’autres partis ou des syndicats. Ce sont :
l’insuffisante préparation des mesures avancées, qui nuit à leur
« qualité », à leur robustesse, les improvisations auxquelles elle
oblige pour les « redresser, et la précipitation avec laquelle l’Exécutif
veut les imposer et les mettre à exécution, dans trop de domaines à la fois,
« en même temps ». Macron veut aller très vite (son ami Sarkozy le
lui aurait d’ailleurs recommandé), afin de ne pas laisser aux partis le temps
de se ressaisir, de se réorganiser, de reprendre la main sur le terrain
politique. Egalement, avant que des doutes et des fissures, qui altéreraient
leur unité et leur docilité, s’insinuent chez les Marcheurs et leurs alliés.
Ceci au prix
« d’imperfections », d’erreurs d’évaluation des coûts budgétaires,
des impacts sociaux et politiques, de prises de risques juridiques pouvant
friser l’inconstitutionnalité… qui forcent l’Exécutif à des aménagements de
fortune, des reculs, des revirements, des abandons et des fuites en avant
improvisées à la va-vite. L’impression (justifiée) d’instabilité et
d’hésitation croît. L’examen par les deux Chambres du projet de loi de finances
pour 2018, qui porte de très nombreuses réformes n’est pas encore terminé. Des
propositions alternatives venant du Sénat et des partis sont attendues, qui
peuvent encore influer sur le « programme » qui sera voté. En
attendant, l’Exécutif a déjà dû reculer sur ses promesses du « droit au chômage universel ». Il
est forcé à se réinterroger sur la réforme de la taxe d’habitation, attaquée au
Conseil constitutionnel. Il semble, lui-même, considérer comme « anormal »
que n’y soient soumis que 20% des contribuables. Mais, l’exonération de
tous coûterait (trop) cher. D’autant que le remboursement des 10 milliards
d’euros de « la taxe sur les dividendes » indûment prélevée sur les
entreprises depuis 2012 assombrit le budget. Une boulette qui en a engendré une
autre, Bercy ayant décidé, au pied levé, de taxer de 5 Mds € les grandes
sociétés pour couvrir la moitié de sa dette envers les entreprises. Le Conseil
constitutionnel est saisi. Les lecteurs trouveront d’autres
« anomalies » ou « bavures », qui peuvent faire douter du
professionnalisme et/ou des compétences (selon les observateurs) de l’Exécutif
et de ses assistants législateurs.
Le choc de simplification
annoncé n’est pas au rendez-vous. Au contraire, des réformes apportent de gros
lots de complications qui embrouillent les mesures et ceux qui cherchent à les
comprendre.
La surdose de paris hasardeux
entache la crédibilité du programme, également très critiquable sur des sujets
importants, comme nous le reverrons plus en détail dans les pages suivantes.
Les paris du Président incluent le désir de tout réformer très vite,
d’impliquer plus encore l’Etat dans la gestion de l’économie, d’être
omniprésent et omnipotent à l’intérieur en France et, en même temps, de marquer
immédiatement de son empreinte la gouvernance de l’Europe et les relations
internationales. « Qui trop embrasse, mal étreint ! » nous
prévient un sage dicton. Mieux vaudrait, pour le pays et nous tous, ne pas
l’oublier.
Question méthode : la
condamnation quotidienne de la ringardise de ceux qui ont précédé, la mise à
mal de l’existant, qui serait à reconstituer d’urgence dans tous les domaines,
la culpabilisation de ceux que l’on veut « recadrer », remettre sur
« le droit chemin », l’usage immodéré de « l’incitation fiscale »,
frisant la coercition, et l’indifférence, sinon le mépris, envers les
propositions sensées de personnes d’autres obédiences ou partis, ne peuvent
durablement justifier une politique nationale et en assurer le succès.
Omniprésence, omnipotence ou pas, l’omniscience et l’infaillibilité n’existent
que dans les rêves. Et les Français semblent avoir déjà fini de rêver. »
Jean Vinatier
Seriatim 2017
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