«Le
prochain Président du Conseil italien sera Giuseppe Conte, une personnalité
universitaire qui a fait l’objet de discussions depuis sa nomination, un spécialiste
qui n’a jamais eu d’expérience politique. À la tête du ministère de l’Économie,
véritable centre du dispositif de gouvernement italien pourrait être nommé le
Professeur Paolo Savona qui concilie des idées hétérodoxes sur l’Union avec une longue
fréquentation de l’establishment italien1.
Ces éléments contextuels semblent donner un poids
supplémentaire à la thèse d’un infléchissement de nos régimes représentatifs
vers une forme technopopuliste, permettant un entrecroisement
inédit entre les anciennes élites et les nouvelles forces politiques. L’idée
encore très en vogue d’une opposition entre élites et peuple devrait sans doute
être revue. Les instances populistes sont capable de gagner les élections, mais
la complexité de la configuration géopolitique contemporaine demande des
compétences, des processus de légitimation et l’habileté qui sont associés à la
figure du spécialiste. Comme nous l’ont appris Wilfredo Pareto et Gaetano
Mosca, les élites ne s’éteignent pas, mais circulent et se repositionnent sans
cesse.
Nous sommes très probablement confrontés à un profond
mouvement de substitution et de renouvellement de l’establishment qui
part de la politique et qui pourrait s’étendre à d’autres domaines. Dans ce
nouvel environnement, populisme et technocratie continueront à vivre dans un
rapport dialectique que l’on pourrait résumer par la devise latine : nec
tecum nec sine te vivere possum. Les tensions demeureront intenses, mais il
y aura en même temps une coopération impossible à refuser. Il sera intéressant
de vérifier les modalités selon lesquelles cette coopération aura lieu et
quelle sera la vision du monde sous-jacente au développement des nouvelles
élites.
La suite ci-dessous :
et du même auteur : « Le techno-populisme, un nouveau régime de gouvernement européen »
« Lors des
récentes élections italiennes, les partis populistes ont recueilli plus de 50%
des votes. Le Mouvement 5 étoiles, mouvement anti-politique et anti-establishment
a en particulier obtenu plus de 32% des suffrages. Mais que peut-on attendre
d’un mouvement populiste qui se hisse au gouvernement ?
L’histoire récente nous fournit certains indices qui
permettent d’écarter la possibilité d’un gouvernement exclusivement populiste,
c’est-à-dire formé seulement d’hommes politiques représentant des mouvements
anti-establishment. Au contraire, on pourrait s’attendre à un
gouvernement qui mêle technocrates et hommes politiques. Ses orientations
politiques pourraient d’ailleurs être influencées par la technocratie nationale
et supranationale. Commençons dans l’ordre, par Rome, la capitale gouvernée par
les grillini.
En juin 2016, le Mouvement 5 étoiles s’est emparé de
la capitale italienne. La protestation anti-politicienne a conquis la majorité
de la Salle Jules César, depuis laquelle on peut contempler l’époustouflante
vue sur les forums romains, lorsque Virginia Raggi a été élue au plus haut
siège du Capitole.
La victoire du Mouvement 5 étoiles à Rome est un cas politico-institutionnel intéressant car
elle donne à voir immédiatement quels sont les deux grands piliers autour
desquels se déroule le processus de réorganisation du pouvoir politique : le
populisme et la technocratie. D’un côté, le Mouvement 5 étoiles a gagné en
présentant une candidate sortie tout droit du laboratoire de Casaleggio &
Associés, société de communication des 5 étoiles, et en récupérant les votes de
protestation contre les élites corrompues du parti qui ont gouverné la
capitale. Dans la rhétorique électorale des grillini s’est élaborée une
recette populiste mêlant « justicialisme », jacobinisme de l’honnêteté,
références aux périphéries abandonnées, anti-politique politicienne et
souverainisme. D’un autre côté, une fois débarqués au Capitole, les grillini
se sont rendus compte qu’ils ne disposaient pas d’une classe politique capable
de faire face à l’intrinsèque complexité qu’implique tout gouvernement. »
La suite ci-dessous
Jean Vinatier
Seriatim 2018
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