« Les
élections présidentielles du Venezuela auront lieu le 20 mai. Un rendez-vous
décisif pour l’avenir de l’Amérique Latine et des relations Sud-Sud.
Bénéficiant d’un véritable soutien populaire, le candidat Nicolas Maduro est en
train de mobiliser des dizaines de milliers de Vénézuéliens dans ses meetings
de campagne. C’en est trop pour Mike Pence. Le vice-président US a qualifié ces
élections de “mascarade” et demande leur report. Il menace même le Venezuela de
nouvelles sanctions. Pourquoi les institutions européennes lui emboîtent-elles
le pas? Pourquoi le traitement médiatique de la Révolution bolivarienne est-il
calqué sur la vision des Etats-Unis qui considèrent l’Amérique latine comme
leur jardin personnel? Et surtout, quelle est la réalité dans ce pays qui a
multiplié les expériences créatives en faveur de l’émancipation humaine au
cours des 18 dernières années? Le cinéaste belgo-vénézuélien Thierry Deronne,
qui vient de concocter son nouveau film “Histoire du Venezuela”, a bien voulu
répondre à nos questions.
Alex Anfruns :
Vous êtes venu présenter votre dernier film “Histoire du Venezuela” dans votre
pays d’origine, la Belgique. Avec un montage où se côtoient d’une part des
images d’archive cinématographiques montrant l’envers du décor du boom du
pétrole, et d’autre part des voix des figures anticolonialistes visionnaires,
le spectateur est face à une expérience audiovisuelle captivante. Comment est
née l’idée du film, où a-t-il été déjà projeté et quel a été l’accueil ?
Thierry
Deronne : Après 24 ans de vie au Venezuela, le regard pivote et plusieurs questions
commencent à m’intéresser : pourquoi tout en ne ménageant jamais ses critiques
vis-à-vis des fonctionnaires publics, le peuple vénézuélien ne tombe pas dans
les provocations violentes ou dans le mécontentement recherché par la guerre
économique, et continue à réaffirmer son soutien électoral au chavisme ?
Ensuite pourquoi la droite est-elle si imperméable au dialogue, d’où vient sa
rage, sa violence ? Enfin, pourquoi les européens croient-ils si
facilement que le Venezuela est une dictature, pourquoi la désinformation
marche-t-elle aussi bien ? A ces trois questions c’est l’Histoire qui
répond le mieux.
La critique populaire ? Elle parle d’une longue
histoire de résistance à l’humiliation, à la négation de la condition humaine.
C’est au Venezuela qu’eurent lieu les premières rebellions d’esclaves du
continent. « Ce peuple, dixit le président Guzman Blanco, est un cuir sec
– frappez-le d’un côté, il se soulève de l’autre ».
La rage des opposants ? La droite vénézuélienne
vit encore dans le racisme colonial, celui de ces mantuanos qui ne sortaient
pas de chez eux par peur que le soleil brunisse leur peau et organisaient –
déjà ! – des violences à Caracas contre l’édit du roi d’Espagne permettant
aux esclaves d’acheter leur affranchissement. Ce seizième siècle refait surface
dans les violences de 2017 avec les lynchages d’afrodescendants brûlés vifs par
les « combattants de la liberté » chers aux médias occidentaux.
Enfin, pourquoi l’efficacité de la désinformation
parmi les européens ? Parce qu’en se soumettant à la gouvernance
médiatique, l’Europe s’est coupée du monde et sa peur de la nuit réveille son
colonialisme, la pousse à renforcer cette muraille médiatique. L’image
caricaturale des vieux machos blancs – entrepreneurs privés, putschistes ou
leaders de la violence d’extrême droite qui réprimeraient les leaders sociaux
comme en Colombie ou au Brésil s’ils parvenaient au pouvoir – adoubés par
l’Union Européenne et ses présidents comme « opposition démocratique du
Venezuela », exprime bien ce rendez-vous manqué de l’Europe avec une
Amérique Latine qui était pourtant prête à parler d’avenir sur un pied
d’égalité.
Deux autres sources majeures pour construire le film
« Histoire du Venezuela » sont, d’abord, le chercheur vénézuélien
Fernando Coronil qui explique le rapport des pays du sud à leur sol, à leur
nature, à leur territoire, comme un rapport qui surdétermine leurs politiques
et leurs stratégies – ce troisième concept a jusqu’ici été peu assumé par le
marxisme qui a privilégié les deux premiers, ceux de la relation
capital-travail. L’Europe des i-phones est de plus en plus habitée par des
peuples hors-sol, voués au présent pur de la consommation. L’autre source,
c’est Walter Benjamin pour qui à chaque mouvement révolutionnaire la
classe opprimée bondit comme un tigre dans la forêt de l’Histoire et en ramène
des éléments des révolutions antérieures. Cette rupture par le peuple
vénézuélien du mythe du progrès social-démocrate qui imposa des ajustements et
tira sur des affamés en 1989, poussa de jeunes militaires comme Hugo Chavez à
se replonger dans Bolivar et à sortir du dogme de « la fin de
l’Histoire ».
Avec des étudiants de la Sorbonne occupée, avec des
cinéphiles du festival Rencontres de Bordeaux, ou les Amis du Diplo d’Annecy,
le film a permis de parler du Venezuela sans devoir épuiser le temps disponible
à réfuter les mensonges des médias. »
La suite
ci-dessous :
Jean Vinatier
Seriatim 2018
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