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Le mouvement des « gilets jaunes »
(bel exemple, au passage, de cette inventivité populaire que j’annonçais dans Les
Mystères de la gauche) est, d’une certaine manière, l’exact contraire de
« Nuit Debout ». Ce dernier mouvement, en simplifiant, était en effet d’abord
une tentative – d’ailleurs encouragée par une grande partie de la presse
bourgeoise – des « 10 % » (autrement dit, ceux qui sont préposés – ou se
préparent à l’être – à l’encadrement technique, politique et « culturel » du
capitalisme moderne), pour désamorcer la critique radicale du Système, en
dirigeant toute l’attention politique sur le seul pouvoir (certes décisif) de
Wall Street et des fameux « 1 % ». Une révolte, par conséquent, de ces urbains
hypermobiles et surdiplômés (même si une fraction minoritaire de ces nouvelles
classes moyennes commence à connaître, ici ou là, une certaine
« précarisation ») et qui constituent, depuis l’ère Mitterrand, le principal
vivier dans lequel se recrutent les cadres de la gauche et de l’extrême gauche
libérales (et, notamment, de ses secteurs les plus ouvertement
contre-révolutionnaires et antipopulaires : Regards, Politis, NP“A”,
Université Paris VIII etc.). Ici, au contraire, ce sont bien ceux d’en bas
(tels que les analysait Christophe Guilluy – d’ailleurs curieusement absent,
jusqu’ici, de tous les talk-shows télévisés, au profit, entre autres comiques,
du réformiste sous-keynésien Besancenot), qui se révoltent, avec déjà
suffisamment de conscience révolutionnaire pour refuser d’avoir encore à
choisir entre exploiteurs de gauche et exploiteurs de droite (c’est d’ailleurs
ainsi que Podemos avait commencé en 2011, avant que les Clémentine Autain et
les Benoît Hamon du cru ne réussissent à enterrer ce mouvement prometteur en le
coupant progressivement de ses bases populaires).
Quant à l’argument des « écologistes » de cour – ceux
qui préparent cette « transition énergétique » qui consiste avant tout, comme
Guillaume Pitron l’a bien montré dans La Guerre des métaux rares, à délocaliser
la pollution des pays occidentaux dans les pays du Sud, selon lequel ce
mouvement spontané ne serait porté que par « une idéologie de la bagnole » et
par « des gars qui fument des clopes et roulent en diesel », il est aussi
absurde qu’immonde : il est clair, en effet, que la plupart des Gilets jaunes
n’éprouvent aucun plaisir à devoir prendre leur voiture pour aller travailler
chaque jour à 50 km de chez eux, à aller faire leurs courses au seul centre
commercial existant dans leur région et généralement situé en pleine nature à
20 km, ou encore à se rendre chez le seul médecin qui n’a pas encore pris sa
retraite et dont le cabinet se trouve à 10 km de leur lieu d’habitation.
(J’emprunte tous ces exemples à mon expérience landaise ! J’ai même un voisin,
qui vit avec 600 € par mois et qui doit calculer le jour du mois où il peut
encore aller faire ses courses à Mont-de-Marsan, sans tomber en panne, en
fonction de la quantité de diesel – cette essence des pauvres – qu’il a encore
les moyens de s’acheter !) Gageons qu’ils sont au contraire les premiers à
avoir compris que le vrai problème, c’était justement que la mise en œuvre
systématique, depuis maintenant 40 ans, du programme libéral par les successifs
gouvernements de gauche et de droite, a progressivement transformé leur village
ou leur quartier en désert médical, dépourvu du moindre commerce de première
nécessité, et où la première entreprise encore capable de leur offrir un vague
emploi mal rémunéré se trouve désormais à des dizaines de kilomètres (s’il
existe des « plans banlieues » – et c’est tant mieux – il n’y a évidemment
jamais eu rien de tel pour ces villages et ces communes – où vit pourtant la
majorité de la population française – officiellement promis à l’extinction par
le « sens de l’histoire » et la « construction européenne » !).
La suite ci-dessous :
ou
Jean Vinatier
Seriatim 2018
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