Courte critique de cet ouvrage par Olivier Arifon pour la revue Questions de
communication :
« Cet
ouvrage traite d’un sujet peu abordé, les télévisions nationales d’information
continue à vocation internationale développées par de nombreux pays. Il propose
un état des lieux en regroupant dix contributions de chercheurs venus des
sciences de l’information et de la communication et d’autres horizons. Après un
(très) long article historique et de contexte développé par Tristan Mattelart
(pp. 31-82), ce livre présente plusieurs cas, dépasse la focalisation
classique et déjà ancienne sur cnn et sur Al jazeera. Les cas traités sont la
Turquie, la France, Al jazeera, les présentatrices dans le monde arabe, le
Venezuela, la Russie, la Chine, l’Inde et la diplomatie publique des États-Unis
à l’heure des réseaux.
Le concept d’économie
politique de l’information est l’élément central pour l’analyse des télévisions
transnationales. Il est brièvement introduit et il est peu repris par les
autres auteurs, comme nous le verrons plus loin. Le postulat est le
suivant : nombre de télévisions transnationales d’information non occidentales
existent pour faire contrepoids à l’hégémonie des télévisions issues de
l’Occident. Le terme clé est celui de domination. Ceci peut expliquer pourquoi
certains articles sont soit essentiellement descriptifs, soit tendent vers
l’analyse du discours et des logiques d’acteurs. Les chapitres descriptifs
insistent sur les historiques des projets de télévisions et permettent –
parfois – de comprendre les enjeux ou les paradoxes de ces chaînes. Cependant,
les contributions axées sur les analyses d’acteurs sont souvent plus
percutantes comme dans les articles sur Al jazeera, le Venezuela, la Russie et
les réseaux aux États-Unis.
Venons-en maintenant aux
contributions avant de soulever les limites de l’ouvrage. L’article de Tristan
Mattelart (pp. 31-82) aborde de nombreux thèmes tels la censure, les
agences internationales de vidéos, les satellites, internet, les agrégateurs,
les blogueurs, la diplomatie publique… Il est difficile de savoir si ce texte
est un cadrage théorique ou un descriptif exhaustif des instruments de
diplomatie publique. En outre, ce qui marque, c’est l’absence de ces mêmes
thèmes dans la plupart des autres textes de l’ouvrage.
L’article suivant sur
l’audiovisuel français présente, de manière historique, les deux facettes et
les ambiguïtés propres au dispositif du pays concerné. L’article sur Al
jazeera, fort pertinent, montre le lien entre politique d’un pays et usage d’un
média. Le jeu complexe de la chaîne se fait entre influence, occupation de
l’espace pan arabe et autonomie – relative – vis-à-vis du pouvoir qatari.
Mohammed El Oifi (pp. 151-167) replace Al Jazeera dans son contexte
essentiellement panarabe et va au-delà du discours sur les effets de cette
chaîne en Occident. La contribution sur les présentatrices dans les chaînes pan
arabes esquisse les concurrences et le ressort de ces télévisions pour attirer
du public en jouant avec les codes vestimentaires. Il explique ensuite les
responsabilités prises par des femmes dans l’animation d’émissions telles que
les débats. Un regret toutefois, des copies d’écrans auraient été bienvenues.
Le papier suivant, sur teleSUR, la télévision du gouvernement vénézuélien
(pp. 169-186), indique que ce canal est pensé pour refléter les luttes
« globales » du sud par rapport au nord grâce à des informations
alternatives en réponse à la domination de l’Occident. Ce projet amorcé par
Hugo Chavez est plein de paradoxes et de limites, car il est essentiellement un
objet politique, fortement sensible aux alternances dans les pays contributeurs
au financement de la teleSUR. Ilya Kiriya avec Russia Today (pp. 187-204)
résume la problématique de certaines chaînes d’information en deux mots, autant
dire deux pôles : propagande et compétitivité. La comparaison
internationale entre chaînes transnationales est souvent rude pour les chaînes
axées sur la propagande qui voient leurs contenus révélés en creux par les
chaînes de références que sont, entre autres exemples, cnn et Al jazeera.
L’auteur montre ici que Russia Today, au lieu de faire la promotion du régime
russe, s’attache à appauvrir, voire à dévaloriser, l’image des États-Unis. Le
chapitre sur la Chine et la chaîne cnc world (pp. 205-226) débute par un
très long historique de la politique chinoise de communication (citant
également Confucius et Sun Tzu) et propose deux points clés intéressants :
le « journalisme de prudence » et le « recrutement de
prudence ». Ces deux notions sont mobilisées pour expliquer les
difficultés d’audience de cnc World et les limites pour devenir un média
crédible et reconnu à l’échelle internationale. Cependant, il est dommage que
ces notions soient présentées sans être réellement débattues dans les trois
dernières pages.
Enfin, le travail d’Olivier Koch
sur les réseaux aux États-Unis (pp. 247-266) est intéressant. Il analyse
l’échec de Al hura, chaîne créée et soutenue par les États-Unis pour contrer Al
jazeera dans le monde arabe. L’auteur propose ensuite un nouveau paradigme,
aujourd’hui répandu dans la diplomatie publique : l’influence qui passe
aussi par les réseaux, dans une logique d’autonomisation des acteurs sur place.
Ce type d’action conduit souvent à fournir des solutions techniques, à soutenir
des projets locaux ou les acteurs devenus autonomes et relais d’influence au
lieu de tenter d’imposer un message par une télévision.
Au total, deux limites se
dessinent dans cet ouvrage. Si, comme le propose l’article introductif, ces
télévisions sont analysées avec une lecture d’économie politique, reflet d’une
logique de domination, l’ouvrage laisse au lecteur un goût d’inachevé. En
l’absence d’une problématique précise, les articles font rarement référence
soit à ces logiques annoncées de domination, soit à d’autres logiques. Ainsi,
même si le concept de soft power, fondé par Joseph Nye, est imprécis et
débattu, peu de chapitres de ce livre introduisent cette notion. C’est dommage
car la notion construit un cadre d’analyse qui peut expliquer les actions des
acteurs étatiques, comme le montre l’article sur la Chine. D’ailleurs, l’un des
défis des travaux sur la communication internationale apparaît. Centrée sur des
monographies par pays, la recherche peut facilement passer à côté des approches
pourtant fécondes du comparatisme.
Ensuite, l’ouvrage aurait
gagné en profondeur en proposant une mesure et une évaluation des foyers
réceptifs et des audiences, chiffres assez faciles à obtenir. La question de
l’évaluation et de la réception, plus sensible, car très politique, aurait
encore enrichi le propos. En effet, l’une de problématiques de la communication
transnationale reste la réception d’un média hors de son pays d’origine et, in
fine, l’impact espéré et attendu par les opérateurs, ici les États. «
Source :
Jean Vinatier
Seriatim 2019
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