Ferhat
Taylan fait la critique de « Biologie du capitalisme » pour La Vie
des idées
« À la lumière du débat entre John Dewey et Walter
Lippmann, B. Stiegler met au jour les impensés biologiques et évolutionnistes
du néo-libéralisme, qui s’est fondé sur l’exigence d’adaptation de l’espèce
humaine à un environnement en perpétuelle mutation.
À écouter la plupart des responsables politiques, dirigeants d’entreprises
ou de hauts fonctionnaires, dans un monde en constante « évolution »,
en pleine « mutation »,
nous serions toujours « en retard » : il faudrait ainsi évoluer, créer de la
mobilité, s’adapter. Quelles seraient les sources intellectuelles de ces
injonctions qui colonisent la vie publique ?
Comment ce lexique biologique est-il venu à s’imposer dans la vie politique, au
point de se banaliser et d’effacer les traces de ses origines ? Afin d’y répondre, Barbara Stiegler,
professeur de philosophie politique à l’Université de Bordeaux, propose une
généalogie très éclairante de l’adaptation comme catégorie centrale du
néolibéralisme. Dans la lignée de Michel Foucault, Stiegler met ainsi au jour
les références biologiques et évolutionnistes du renouveau du libéralisme, ce
dernier s’étant refondé précisément à travers l’idée de la nécessité de
l’adaptation de l’espèce humaine à un environnement en mutation.
Pour ce faire, Stiegler privilégie le débat philosophico-politique qui
s’est déroulé dans la première moitié du XXe siècle entre le
philosophe pragmatiste John Dewey et l’influent essayiste Walter Lippmann,
notamment conseiller du président Wilson, surtout connu pour le colloque
Lippmann, tenu à Paris en 1938, où le concept de « néolibéralisme » serait prononcé pour la première fois. Bien identifié dans la littérature
politique américaine des années 1990, le Lippman-Dewey debate sert à
Stiegler de boussole pour cerner les deux pôles d’une opposition théorique
concernant le sens politique de l’adaptation de l’espèce humaine à son nouvel
environnement. Dès lors, on voit comment le problème central de l’adaptation,
déjà posé par Spencer et Darwin à partir des années 1850, est élaboré dans deux
voies opposées, celle d’un néolibéralisme disciplinaire, soucieux d’adapter les
individus à un environnement capitaliste, et celle d’un pragmatisme
démocratique qui privilégie l’expérimentation et l’intelligence collectives.
Les réflexions de Lippmann et de Dewey sur l’adaptation incarnent ainsi deux
idéaux-types opposés susceptibles d’être reconduits jusqu’à aujourd’hui, ce qui
donne toute sa puissance au projet généalogique de Stiegler. On tentera ici
d’en dégager les grandes lignes, avant de l’interroger sur la généalogie de « l’environnement » auquel il « faut » s’adapter, ainsi que sur la manière dont elle
entend renouveler la lecture foucaldienne du problème. »
La suite ci-dessous :
Jean Vinatier
Seriatim 2019
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire