« Le projet de
cryptomonnaie de Facebook ne doit pas se transformer en projet de «monnaie
souveraine», a mis en garde mardi le ministre des Finances Bruno Le Maire,
jugeant nécessaire que le géant américain présente des «garanties» à ce sujet.
«Que Facebook créé un instrument de transaction, pourquoi pas. En revanche, que
ça devienne une monnaie souveraine, il ne peut pas en être question », a
déclaré le ministre sur Europe 1, disant vouloir fixer « une limite »1
Il était assez attendu que dans le cadre du vaste conflit entre les
entreprises planétaires et les souverainetés des Etats, débarque le projet de
cryptomonnaie Libra.
J’ignore, faute d’avoir fait des recherches approfondies, si l’on trouverait
dans l’Histoire trace d’un projet similaire.
Par contre, dans un passé assez récent, les Templiers, les banquiers
lombards puis les Républiques marchandes italiennes (Venise, Gênes, Pise,
Livourne, Florence, Sienne) voulurent peser sur la politique des proto-états en
faisant des souverains leurs débiteurs. L’on sait, également, qu’au lendemain
de la Fronde et de l’arrestation de Fouquet, Louis XIV et Colbert soumirent les
financiers d’alors à un contrôle terrible (chambres ardentes) aboutissant à des
ruines et à des morts civiles. L’objectif du Roi étant d’empêcher l’émergence
d’un quatrième ordre, celui de la finance qui menacerait les trois autres
ordres (Tiers-Etat, Clergé, Noblesse). Rappelons que l’arrestation de Nicolas
Fouquet n’a pas son origine dans son
enrichissement personnel. Elle est liée à l’achat de navires de guerre à la
Hollande et à la possession de Belle-Île transformée en citadelle avec des
garnisons payées ce dernier. Un financier propriétaire d’une armée, d’une
flotte et d’un territoire : au sortir de la Fronde, le danger pour Louis
XIV était patent.
La Régence se livra, dans des proportions moindres à la même opération de justice. Ensuite tout
le XVIIIe siècle français voit le rôle de plus en plus considérable des gens de
finance au fur et à mesure que l’Etat royal ne parvient pas à adopter une
réforme cohérente de sa fiscalité et appréhende mal une politique navale, sauf
sous Louis XVI. On arriva à cette situation ubuesque de voir le ministre Necker
proposer à Louis XVI des emprunts dont sa banque aurait la presque exclusivité.
La monarchie tomba pour n’avoir pas su établir un espace politique (assemblée) à
l’instar de ce qui se déroula très imparfaitement et dans la plus parfaite
corruption au Royaume-Uni, la mettant entre les mains des financiers. Et c’est la
réunion de la finance avec une classe
bourgeoise qui fit 1789.
Plus près de nous, on n’ignore plus que des banquiers franco-suisses
financèrent le coup d’Etat des 18 et 19 Brumaire (30 millions, lire les
mémoires du comte Mollien) et qu’en contrepartie, ils obtinrent sans résistance
de Napoléon Bonaparte l’établissement de la Banque de France, un établissement
privé jusqu’en 1936. Une Banque de
France tout à fait libre de refuser les demandes de l’Etat si celles-ci étaient
contraires à son intérêt. Jusqu’au XXe siècle, tout Président du Conseil se
rendait d’abord au domicile du gouverneur de la Banque de France et convenait
avec lui du bon nom du ministre des finances. Je force un peu le trait mais pas
trop.
Citons également la création de la FED en 1913. Cecil Rhodes (fondateur
de l’Etat éponyme) réfléchissant au moyen de pérenniser l’empire britannique
songea à créer une aristocratie administrative dont l’autorité s’étendrait à
toutes les possessions de la Couronne. Il consulta les banquiers et les
financiers lesquels, après réflexion, préfèrent de concert avec leurs confrères
américains établir une banque anglo-américaine privée avec le droit d’émettre
de la monnaie.
Par les quelques exemples donnés et pour lesquels je fais un résumé à
coups vifs, se détache bien le combat incessant entre les Etats souverains et
des groupes économiques, financiers, industriels.
Le problème posé aujourd’hui par des projets type Libra tient au fait
que des hommes politiques et des hauts fonctionnaires acquis à un mondialisme
et à des délégations de souveraineté officialisent des points de concordance
avec ces groupes planétaires déconnectant ou fragilisant la puissance
régalienne. Aussi la réaction de Bruno Lemaire est-elle à considérer comme une
posture.
L’Union européenne, organisée pour n’être qu’un espace économique et
dotée d’une monnaie unique que la BCE est chargée de faire « vivre »
apparaît également comme une actrice hors-souveraineté avec cette originalité
que ce sont les Chefs d’Etat de gouvernement qui l’y autorisent.
Facebook avec sa crytomonnaie le Libra, rend public une tentative de battre monnaie
pour une entreprise qui en appelle d’autres d’une dimension similaire. En
outre, les GAFA, ainsi, se soustrairont
à l'impôt. Le siège de la société émettrice sera en Suisse, premier pas avant la création carrément
en proto états.
Quelle sera la durée de vie du Libra ? Donald Trump insiste lourdement
sur une réforme de la FED (John Kennedy y réfléchissait déjà : il a été
assassiné : un lien ?). Il estime que sa politique de
démondialisation, c’est-à-dire le retour sur le territoire national d’un
maximum d’industries et la gestion très restrictive des flux migratoires,
contreviendrait aux objectifs de la FED mais aussi à ceux de la Banque
mondiale, du FMI. Donald Trump entend, également, mettre au pas Facebook,
Twitter (Amazon aussi) par le biais d’une agence qui briderait les censures
opérées par ces deux entités.
Ainsi le projet Libra de Facebook apparait-il comme un élément clef de
la concurrence entre un Etat Américain mais pas seulement, et des sociétés
planétaires qui jugent opportun
stratégiquement de se placer hors d’atteinte des autorités régaliennes, un but
suprême. Rappelons que dans les différents traités de libre-échange, il est
question d’instituer des tribunaux hors les champs des Etats. Nous entrons dans
les quatrièmes rugissants.
Ce qui se passe entre les deux rives de l’Océan Atlantique se distingue
du modèle chinois qui allie un communisme centralisateur autoritaire à la
pleine propriété des entreprises y compris celles mondiales. Pékin ne peut voir
que d’un bon œil l’émergence de la
cryptomonnaie Libra en ce sens que cela signifierait une discorde aux
Etats-Unis et en Europe.
Qui sait, également, si les puissances arabiques (Arabie Saoudite,
Qatar, EAU) ne pourraient pas également voir avec intérêt ce Libra, de nature à
renforcer la finance islamique ?
Nous sommes en plein dans la géopolitique et la géostratégie mais aussi
dans une extrême fragilité. Il n’y pas que la glace qui fond à grande vitesse
au Groenland, il y aussi tout ce qui nous structure depuis des siècles.
Jean Vinatier
Seriatim 2019
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