Norbert Lenoir pour La Vie des idées propose une critique de l’ouvrage
de Catherine Colliot-Thélène, paru en 2011
« Peuple et démocratie
Il n’est pas de grand livre de
philosophie et notamment de philosophie politique qui ne s’accompagne d’une
entreprise de désillusion. Ce livre salutaire de Catherine Colliot-Thélène
souhaite nous déprendre de deux définitions consacrées de la démocratie : celle
qui l’identifie au gouvernement du peuple et celle qui la fait reposer sur un
peuple à l’identité définie et stable. Pour l’auteur, ces deux illusions ne
possèdent pas le même statut philosophique ni historique. L’intérêt de cette
critique est de nous « libérer de
l’utopie d’un démos unitaire » (p.
196) et de proposer une détermination de la citoyenneté correspondant à la
mondialisation, qui a pour effet de multiplier les pouvoirs avec lesquels les
citoyens entrent en relation.
La démocratie et le mythe de
l’autogouvernement
La première illusion, en cultivant la
définition de la démocratie comme le pouvoir du peuple, crée le mythe de
l’autogouvernement selon lequel le peuple s’émanciperait enfin du règne de la
domination et de la sphère oppressive du pouvoir. Pour l’auteur cette illusion
est bien un mythe qui n’a jamais correspondu à la réalité de la démocratie.
Loin d’être un régime dans lequel le peuple en personne gouverne, la démocratie
n’est qu’un certain aménagement de l’asymétrie entre gouvernants et gouvernés,
asymétrie propre à tout pouvoir. La démocratie n’est donc pas un régime qui
aurait le don exceptionnel d’échapper au pouvoir et à la domination. La
démocratie conçue comme autogouvernement n’a jamais existé. Elle ne doit pas
être non plus un idéal politique, celui d’une société enfin transparente à
elle-même et vidée de tout rapport de pouvoir, vers lequel il faudrait tendre.
Notre expérience concrète de la démocratie, loin de confirmer la définition de
la démocratie comme autogouvernement, l’invalide : nous, le peuple, nous
ne gouvernons pas, nous consentons à déléguer notre pouvoir à des
représentants. C’est pour cette raison que l’auteur écrit : « c’est une vérité
d’évidence que la participation du citoyen à l’élaboration des lois, par le
biais indirect ordinaire de l’élection de ses représentants, pèse de peu de
poids dans la détermination du contenu de ces lois ». (p. 8)
Derrière ce concept d’autogouvernement, C.
Colliot-Thèlène critique donc cette illusion qui consiste à croire que la démocratie
est un type tout à fait exceptionnel de régime politique car il serait le seul
capable de dissoudre définitivement le pouvoir dans une participation pleine
des citoyens aux décisions législatives.
Pour penser la nature de la démocratie, il faut
bien plutôt s’interroger sur les relations que les individus peuvent entretenir
avec le pouvoir. La démocratie n’est pas une société où le pouvoir serait enfin
absent, mais la création d’une certaine logique de pouvoir dans laquelle les
individus ne seraient pas seulement pris dans une dynamique du face à face et
de la soumission mais des parties prenantes d’une puissance collective de
revendication.
Le peuple, sujet de la démocratie ? »
La suite ci-dessous :
Recensé : C.
Colliot-Thélène, La Démocratie sans « Demos », PUF, 2011,
256 pages, 27 euros.
Jean Vinatier
Seriatim 2019
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