« Au lendemain du discours prononcé par
Eric Zemmour devant la Convention de la droite, le 28 septembre, une partie de
l’intelligentsia parisienne se lança dans une polémique vibrante au cours de
laquelle on réclama que le journaliste fasse l’objet d’une interdiction
professionnelle. La chaîne LCI obtempéra, tandis que CNews récupérait le
persécuté tout en s’exposant aux représailles publicitaires d’un marchand de
pâte à tartiner, chef de file d’une modeste escouade de vigilants. Une fois de
plus, l’indignation d’une gauche toujours soucieuse de ses postures permit de
transformer l’auteur d’un discours remarquablement agressif en victime des
bourreaux de la bien-pensance… Puis les choses rentrèrent dans l’ordre : Eric
Zemmour est toujours au “Figaro” et tient un créneau télévisé, “Valeurs
actuelles” et “Causeur” sont en flanc-garde, et les ventes de son dernier livre
atteignent des sommets. Messieurs les maîtres-censeurs, c’est vraiment bien
joué !
Le retour au calme médiatique permet de s’interroger
sur le cas Zemmour en examinant ses idées, son statut et le rôle politique
qu’il semble vouloir jouer.
Les idées se ramènent toutes à un point fixe : la
défense de l’identité française contre l’islam. Telle est la thématique
centrale de “Destin français” (1), essai polémique sur l’histoire de la France
des origines à nos jours. Le genre n’est pas méprisable, l’auteur a beaucoup lu
et ses partis pris seraient stimulants s’ils n’étaient pas alourdis de
comparaisons anachroniques bâties sur des oublis trop massifs pour ne pas être
volontaires. Ainsi, on apprend qu’ »entre la chrétienté et l’Islam, c’est une
histoire millénaire. Qui ne s’unit pas se divise ; qui n’attaque pas recule ;
qui ne recule plus conquiert. Qui ne conquiert plus est conquis” (69). Saint
Louis est glorifié, Philippe le Bel est fustigé parce qu’il ne voulait pas
d’une nouvelle croisade et, du coup, “renonçait à toute colonisation de l’Asie
musulmane”- comme si le roi de France pouvait avoir l’ambition d’un Alexandre
Le Grand… alors que la nation française est en train de se constituer contre
les empires et contre l’idée même d’empire.
François Ier fait l’objet d’une exécution en
règle, au cours de laquelle on lit que l’alliance du roi de France avec Soliman
le Magnifique fait aujourd’hui l’objet d’éloges “de bon ton” alors qu’elle fut
la conséquence d’une défaite qui “rend fou” (147) et constitua une
“transgression inouïe” mais inefficace. L’alliance de 1536 avec l’empire
ottoman fut au contraire immédiatement utile pour contrer les Impériaux en
Méditerranée par des opérations menées avec la flotte du capitan pacha Khayr al
Din plus connu sous le nom de Barberousse. L’alliance de revers est une très
classique alliance entre Etats, qui laisse de côté les considérations
religieuses et les modes de gouvernement. Déjà, en 1402, après la victoire de
Tamerlan contre Bajazet, les rois de France et de Castille avaient envoyé une
ambassade à Samarkand (2) en vue d’une alliance qui ne fut pas conclue car le
terrible conquérant se mourrait. Entre François Ier et Soliman, l’alliance
ouvrit la voie à une très longue période – deux siècles et demi – d’entente
diplomatique et de coopération militaire qui prit fin avec l’expédition de
Bonaparte en Egypte. Eric Zemmour devrait se souvenir qu’en 1566, Charles IX
avait soutenu le projet d’alliance entre l’Empire ottoman et le protestant
Guillaume Ier d’Orange (3) et que la France de Charles IX ne participa pas non
plus à la bataille de Lépante en 1571. A partir de 1673, Louis XIV ne cessa
d’encourager les Ottomans à attaquer les Habsbourg et, en 1683, souhaita très
activement la prise de Vienne par les armées du Sultan. Le schéma d’une France
chrétienne en guerre multiséculaire contre l’islam est remarquablement étranger
à notre histoire diplomatique et militaire qui s’est affirmée dans la lutte de
l’Etat royal, pré-national, contre toute volonté de domination impériale. »
La suite ci-dessous :
Jean Vinatier
Seriatim 2019
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