L’auteur : « Sociologue et analyste en
sécurité et défense pour l’Afrique du Nord-Ouest, associée au Centre d’études
stratégiques de l’Afrique (Washington D.C.), au Groupe d’analyse JFC-Conseil
(France) et membre de la communauté du Centre des hautes études de Défense et
de Sécurité (Dakar, Sénégal »
« Lorsqu’en 2011, à l’instigation de la France,
et en vertu de la résolution1973 du Conseil de sécurité de l’ONU, les forces de
l’OTAN bombardent la Libye, l’Algérie s’oppose à cette intervention qu’elle
considère comme le prélude à l’éclatement du pays et à une instabilité
régionale incontrôlable.
Dans un premier temps, l’Algérie affiche une position de
neutralité et de non-ingérence dans les affaires intérieures de la Libye. Elle
compte sur la feuille de route proposée par l’Union africaine (UA), acceptée
par le régime libyen, prévoyant la cessation immédiate des hostilités,
l’acheminement facilité de l’aide humanitaire, le lancement d’un dialogue entre
les parties libyennes et le remplacement de Mouammar Kadhafi par son fils Saïf
al-Islam en vue d’amorcer une transition politique. Maisla France refuse
catégoriquement cette option.
Bien que les relations d’Alger avec le leader libyen
n’aient jamais été sereines, dans la mesure où il était un rival influent en
Afrique subsaharienne et au Sahara, les autorités algériennes le soutiennent
jusqu’au dernier moment. Après tout le régime libyen relevait de la même
parenté idéologique et politique et demeurait un Etat autoritaire garantissant
la stabilité au Maghreb et au Sahara. En mai 2011, Sadek Bouguetaya, membre du
comité central du Front de Libération Nationale, est dépêché à Tripoli pour représenter
l’Algérielors d’une « réunion de soutien des chefs de tribus à Kadhafi,
durant laquelle il a clairement exprimé le soutien de son pays auguide
libyen » et qualifié l’opposition de « pion des
Occidentaux »[2].
Quand Alger accueille certains membres de la famille
Kadhafi, de nombreuses personnalités politico-militaires et tribales libyennes
lui refusent un rôle dans le processus de sortie de crise. Mais vu son statut
de puissance régionale, la participation de l’Algérie s’imposera d’elle-même.
Après plusieurs mois d’attentisme, le pouvoir algérien
se résout à reconnaître le Conseil National de Transition (CNT) créé le 27
février 2011[3], avec toutefois des réserves sérieuses sur
cette entité faible qu’il considère comme une émanation d’Etats désireux de
contrôler le processus de transition libyen.Pour Alger, le vide de pouvoir créé
par l’effondrement de la gouvernance autoritaire ne peut pas être comblé par
deux sources de légitimité antinomiques : celle issue des armes et celle
d’un leadership auto-proclamé bénéficiant du soutien occidental et incapable de
s’imposer comme sphère du pouvoir. Les relations algéro-libyennes s’enveniment
encore quand le CNT accuse les autorités algériennes de livrer des armes, du
carburant et de l’équipement militaire aux forces loyales au leader
libyen.
Vue d’Alger, l’intervention occidentale a entraîné la
militarisation à grande échelle de la société libyenne et la déstabilisation en
chaîne de toute la zone sahélo-saharienne. Les impératifs sécuritaires et
stratégiques deviennent alors des éléments déterminants de la position
algérienne. Alger doit en effet composer avec plusieurs Etats faibles ou
inexistants ainsi qu’avec le djihadisme islamiste dans son voisinage immédiat.
Ces nouvelles menaces vont conduire l’Algérie à renforcer considérablement la
surveillance de ses frontières et à infléchir sa doctrine de non-intervention
lorsque son intégrité territoriale et ses intérêts stratégiques seront
directement menacés.
En conséquence, Alger se fixe deux priorités :
préserver sa sécurité nationale par l’endiguement du champ d’action terroriste,
et sauvegarder l’unité de la Libye par le dialogue politique inclusif. Comme le
dit l’ancien ambassadeur algérien Abdelaziz Rahabi : « C’est toute
la différence entre le reste du monde et l’Algérie : nous sommes en faveur
d’un accord politique entre toutes les parties parce que nous en serons les
premiers bénéficiaires. Nous sommes les premiers à avoir besoin d’une Libye
forte. »[4]. »
La suite ci-dessous :
Jean Vinatier
Seriatim 2019
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