Extrait : début
« Si quelqu’un m’avait naguère prédit
que le jour viendrait où je prononcerais sous la Coupole, et en costume
d’apparat, le discours annuel sur la vertu, j’aurais trouvé l’idée incongrue
voire offensante, et j’aurais répondu, en haussant les épaules, que, même
teintée d’ironie ou de malice, l’édification n’était pas mon fort. Hors de
question pour moi de finir en vieux sage sévère ou bienveillant. Je ne serais
jamais ni un grand-papa ronchon (malgré les apparences) ni le bénisseur
espiègle du monde qui vient. Et je ne voulais pas davantage sermonner un public
captif que fuir l’homélie dans le badinage.
Aussi étais-je bien décidé, après mon élection, à
passer entre les gouttes et à esquiver, année après année, ce morceau
d’éloquence artificiel, conventionnel et – osons le mot puisqu’il figure dans
le dictionnaire de l’Académie –, ringard.
Comme vous le voyez, j’ai changé. Au lieu de repousser
l’échéance en me faisant tout petit, je l’ai devancée. Mettant mes pas dans
ceux de mes brillants prédécesseurs, je me suis porté volontaire, et c’est
Proust, en personne, qui a dicté ce choix.
[….]
Extrait 2 :
fin
Cet ordre moral, autrement dit, n’est
pas réactionnaire ni même conservateur. Loin de trembler pour ce qui existe, il
n’a de cesse de faire bouger les choses. Dénué de la moindre nostalgie pour les
jours anciens, il liquide allégrement les archaïsmes et il écarte rageusement
les obstacles à la marche de l’Histoire, c’est-à-dire, comme l’a montré
Tocqueville, à l’égalisation progressive des conditions. On ne doit donc pas y
voir un code de conduite gravé dans le marbre, mais une révolution permanente
de la sociabilité. Ce n’est pas la fixation sur quelques règles intangibles,
c’est la dynamique même de la démocratie. Ce n’est pas une forme qui enferme,
c’est une force qui va, qui ne laisse rien debout, qui n’admire que son propre
mouvement, qui annexe le passé sous prétexte de le « dépoussiérer », qui
engloutit l’art dans le non-art, qui nivelle la langue et qui ravage les
rapports interpersonnels pour mieux les purifier de toute espèce d’aliénation.
N’épargnant aucun domaine de l’existence, sa dévorante passion démocratique
nettoie notre civilisation de tout ce qui en faisait le prix ; et quand cette
civilisation est mise au défi par l’intolérance dont parle Rushdie, il l’accuse
d’avoir creusé les inégalités. Elle est responsable, du fait de ses pratiques
discriminatoires, de la haine qu’elle suscite et des attaques qui la visent.
Elle ne peut s’en prendre qu’à elle-même si tant de gens, à l’intérieur même de
ses frontières, lui en veulent mortellement. La violence dont elle est l’objet
procède de son essence criminelle. Le nouvel ordre moral commande donc non de la
défendre mais de la défaire. Une fois devenu rien, elle ne sera plus en mesure
de stigmatiser personne. « Aucune civilisation ne cède à une agression
extérieure si elle n’a pas d’abord développé un mal qui la rongeait de
l’intérieur », écrivait Polybe. Ce mal est aujourd’hui d’autant plus redoutable
qu’il se présente comme l’accomplissement du Bien. »
Discours entier ci-dessous :
Jean Vinatier
Seriatim 2019
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire