Intéressante réflexion sur un
sujet très large qui dépasse le calcul de la retraite et n’est qu’un aspect mettant
à vif les contradictions de notre époque.
Historiquement l’empire romain
assurait une retraite active à ses soldats par l’octroi de terres à cultiver et
à mettre en valeur.
On rappellera aussi que la
retraite instituée par Louis XIV pour la marine, ensuite pour l’armée, l’était
pour remercier d’avoir servi le Roi donc la France : service rendu.
Les fermiers généraux mirent au
point une retraite pour leurs agents et c’est celle-ci qui inspirera, sauf
erreur, les Révolutionnaires en 1790 au moment où ils écrivirent celle pour les
fonctionnaires.
Ci-dessous l’entretien en entier…j’espère qu’Atlantico
ne m’en fera pas reproche…
« La mobilisation
contre la réforme des retraites permet de s'interroger sur la question de la
vieillesse. Quelle conception de la retraite et de la vieillesse domine dans
notre société ?
Atlantico.fr : La
mobilisation autour de la réforme des retraites fait ressortir l'impensé de la
question de la vieillesse. L'angle mort de toutes les postures politiques,
favorables ou non à la réforme, c'est en effet le sens de cette nouvelle
période de la vie, apparue progressivement depuis une cinquantaine d'années.
Entre les méthodes pour vivre le
plus longtemps possible, et l'idée d'une retraite qui serait synonyme de
grandes vacances, quelle conception de la retraite et, plus fondamentalement,
de la vieillesse, domine dans notre société ?
Bertrand Vergely
: Dans
les civilisations dans lesquelles la vie tourne autour de la vie spirituelle,
c’est-à-dire autour de la présence du souffle créateur présent en toute chose
et en tout être, la vieillesse a comme sens de vivre le plus longtemps possible
afin de célébrer ce souffle pour le plus grand bien de tous, tant il est
heureux et bénéfique que le plus possible d’hommes et de femmes vivent pour
cette célébration. Dans notre monde qui est devenu totalement matérialiste,
pragmatique et utilitariste, comme ce sens spirituel a disparu, la vieillesse
au sens d’éternelle jeunesse spirituelle n’existe plus. Cette disparition s’est
opérée en trois temps.
- La vieillesse a d’abord commencé par prendre une
signification purement humaine et sociale comme garde des traditions et de la
mémoire du passé. À défaut de vivre l’éternelle jeunesse spirituelle de la vie,
elle est devenue ce qui conserve la jeunesse humaine du monde. D’où
l’importance qu’ont eus les gérontes, ceux-ci étant considérés comme les
détenteurs de la sagesse collective en vertu de leur expérience.
- Dépourvue de signification spirituelle et de plus en
plus concurrencée par la jeunesse existante, la vieillesse est passée d’une
figure attractive à une figure répulsive, être vieux devenant ce que l’on ne
veut surtout pas devenir. Le monde moderne et post-moderne s’est alors
coupé en deux avec d’un côté le manifeste et de l’autre le caché, le manifeste
étant la jeunesse triomphante, glorieuse et célébrée et d’un autre côté
la vieillesse honteuse, rejetée et occultée. « La vie est l’ensemble des
fonctions qui résistent à la mort », écrit Bichat. Pour notre monde, la vie est
l’ensemble des fonctions qui résistent non seulement à la mort mais à la la
vieillesse.
- Comme la vie est dynamique et que les êtres humains
sont extrêmement imaginatifs, cette coupure brutale entre jeunes et vieux n’est
pas été sans effet. Qu’ont fait les vieux ? Se sont-ils cachés ? Nullement. Ils
se sont adaptés en inventant un nouvel âge de la vie figuré par le jeune
retraité. Du coup, ce n’est plus qui a été fracturée en deux avec d’un
côté les jeunes et de l’autre les vieux, mais la vieillesse avec d’un
côté le nouveau troisième âge et d’un autre le grand âge.
Les gens meurent en moyenne à 63 ans et demi, disait
récemment à la radio une femme politique opposée à la réforme des retraites.
Est-ce vraiment le cas ? Les choses n’ont-elles pas bien changé ? Le temps où
la retraite avait comme sens de donner un peu de repos aux hommes et aux femmes
afin qu’ils ne meurent pas à soixante cinq ans quelques mois après avoir
pris leur retraite, n’est-il pas en train de s’éloigner ? Les régimes spéciaux
n’avaient-ils pas leur sens quand un conducteur de locomotives avalant de la
fumée dégagée par le charbon avait peu de chances de parvenir à soixante ans.
Mais aujourd’hui, un conducteur de TGV est-il épuisé à cinquante deux ans
? Pour une partie croissante de la population, la vieillesse
commence à quatre-vingt cinq ans en s’appelant non plus la vieillesse mais le
grand âge. Avant, entre soixante-cinq ans et quatre vingt ans, on a affaire à
une période de vie étrange où les vieux sont de nouveau jeunes. Souvent très en
forme physiquement parce qu’ils mènent une vie saune en faisant du sport ils
refont des études, divorcent et vivent une nouvelle lune de miel.
Du fait de ce changement, on ne peut pas dire que la
vieillesse n’existe plus. Elle existe bel et bien. Quand on a soixante-quinze
ans on a soixante quinze ans. Seulement, la vieillesse est devenue humainement
heureuse. Elle s’est révélée comme physiquement capable d’être jeune. Elle est
devenue curieusement attractive. Si l’Amérique est le nouveau monde de notre
monde, la nouvelle vieillesse est devenue le nouveau monde de notre temps. Elle
est devenue l’Amérique de la vie. D’où le problème qui est le
nôtre.
Il va falloir faire face à un monde vieillissant qui
vit de plus en plus longtemps, entend-t-on. En disant cela on sous-entend que
ce monde vieillissant coûte cher parce qu’il est de plus en plus malade. Oui et
non. Ce à quoi il va falloir avoir affaire c’est à un monde d’inactifs
retraités très actifs, de plus en plus en forme. Ironie du sort ! Ce qui coûte
cher ce n’est pas la maladie, mais les prothèses de genoux et de
hanches des jeunes retraités en forme qui comptent bien continuer à faire du
vélo et de la randonnée.
On voulait que le monde soit jeune. Il l’est devenu.
Et c’est bien là le problème, la question étant de savoir comment
nous allons faire pour financer non pas la vieillesse du monde mais sa
jeunesse.
Notre société est en train d’inventer un visage de la
vie et de la vieillesse qui n’a jamais existé jusqu’à présent. Il y avait les
vieux et les jeunes. Puis il y a eu les jeunes et les vieux. Aujourd’hui, un
temps nouveau est arrivé avec un âge intermédiaire, un néo-âge, qui n’est no
jeune ni vieux. Trop vieux pour être jeune mais trop jeune pour être vieux cet
âge est en train de découvrir l’élixir de longue vie que Faust rêvait de
réaliser en vendant pour cela son âme au diable.
José Polard : Actuellement, la
retraite fait débat et la durée de travail se négocie durement, on légifère à
propos de la place et l’emploi (problématique) des « seniors ». Pourtant,
certains humains, en vieillissant, n’envisagent pas de cesser leur activité
professionnelle mais bien au contraire désirent la poursuivre. En somme, les
uns courent à la retraite et la limite à leur durée de travail, objet
d’intenses négociations, est posée par les institutions. Les autres devront
fixer leur propre limite, renoncer à ces satisfactions professionnelles, non
sans certaines difficultés.
Par ailleurs comment ne pas voir la dissonance entre
d'un côté les injonctions d'un marketing social du bien-vieillir et de l'autre
côté, l'incertitude économique autant qu'existentielle qui nourrit la
mobilisation du 5 décembre contre la réforme des retraites; une incertitude qui
est en écho à la peur de vieillir dont se défend notre société gérontophobe.
Alors qu'il nous est possible de vivre plus longtemps, notre collectivité
n'aime pas sa vieillesse!
En voyant la retraite comme un
repos bien mérité, ne s'empêche-t-on pas de penser à la fois l'activité d'un
adulte encore capable physiquement d'agir, et la période où la santé physique
déclinante, la pensée d'un homme reste vive ?
Bertrand Vergely : S’il n’existe plus de
signification de la vieillesse au sens spirituel du terme, il n’existe
pas encore de signification spirituelle de la retraite non plus. Cela se voit
dans la façon d’aborder celle-ci. On la pensée entre deux souffrances, celle du
travail et celle du déclin. Après le travail perçu comme souffrance la retraite
apparaît comme une anti-souffrance. Répit de courte durée, ce repos étant
appelé à passer afin de faire face à la souffrance liée au grand âge. De
fait, qu’il s’agisse du travail ou qu’il s’agisse du temps et de la vie, nous
sommes hantés par la souffrance. Nous sommes ainsi hantés par elle parce que
nous avons des images traumatiques dont nous n’arrivons pas à nous délivrer et
qui nous hantent. Celles du peuple souffrant au XIXème et au XXème siècle du
fait de la dureté de l’industrialisation et de la modernisation du monde. Celle
du délabrement lié au grand âge. Nous sommes aussi hantés par la souffrance
parce que nous sommes demeurés terriblement infantiles dans notre vision de
l’existence. Comme les enfants nous rêvons d’un pays de cocagne où tout serait
heureux, gratuit et éternel. Non seulement il n’y aurait plus de travail mais
il n’y aurait plus de temps, de vieillesse et de mort. Vision infantile parce
faussement heureuse, la vie étant non pas pensée comme vie mais comme
anti-travail, anti-vieillesse, anti-mort, anti-tout. Un enfant qui a peur se
protège en fuyant dans l’utopie. Comme nous sommes sans foi, nous avons peur.
Comme nous avons peur, nous nous protégeons en fuyant dans l’utopie. Nous ne
pensons pas la vie. Nous pensons à nous rassurer à propos de la vie en rêvant
d’utopies sociétales. Comme elles n’arrivent jamais, nous sommes amers et nous
remuons des images traumatiques de souffrance liées au travail et au temps.
Comme nous remuons des images traumatiques liées au travail et au temps, nous
nous réfugions dans des utopies sociétales.
Bien sûr, il y a des personnes pour qui la vie est
dure. Bien sûr, il y a des fins de vie malheureusement dramatiques. Bien sûr,
il reste encore beaucoup à faire pour mettre fin à cette dureté et à ces fins
de vie malheureuses. Il n’empêche. Nous n’avons pas la joie. Nous n’avons plus
la joie parce que l’on ne cesse de tuer celle-ci à travers le discours dominant
qui est celui de la révolte au nom de la dureté de la vie. La joie étant
l’essence de la vie et la pensée étant l’essence de cette essence, penser la
vie c’est penser la joie. Dans nos discours, dans nos pensées, dans nos
discussions, dans notre art, dans nos mages, dans nos mots, où est la joie ? Où
est la gratitude ? À quelle heure est-on heureux ? Quand dit-on merci ? Tan que
notre monde n’aura pas compris que pour être juste et faire triompher la
justice il importe d’être joyeux et non pas en colère, révolté voire haineux,
le monde ne pourra pas changer ni la justice triompher. Pour être juste il faut
être fort et pour être fort il faut être joyeux. Il faut aimer la vie.
José Polard : Il y a beaucoup de
projections idéalisées ou craintes sur la retraite, selon chacun. En réalité,
il s'agit moins d'une phase de repos qu'une autre manière de vivre, d'aimer et
d'être utile, à condition d'accepter des remaniements physiques et psychiques.
L'allongement de la durée de la vie, modifiant la temporalité, offre l'occasion
de projets et même pour certains de réinventer leur vie.
Bien sûr, la maladie et le handicap changent la donne
confrontant le sujet âgé à la fragilité et à la nécessaire présence d'autrui.
Reste sa voix pour qui veut l’entendre.
Comment adapter les conditions
politiques et sociales à cette période de la vie, en étant le plus sincère avec
ce qu'elle est aujourd'hui ?
Bertrand Vergely
: La question
majeure qui se pose à nous aujourd’hui n’est pas politique et sociale. Elle est
métapolitique et méta-sociale. Il faut que nous retrouvions confiance en nous
et pour cela il faut que nous retrouvions notre souffle spirituel.
La France est un pays extraordinaire, doté d’un talent
et d’un génie hors du commun. Le patrimoine culturel ainsi que
l’incroyable système de protection sociale dont elle dispose et dont nous avons
la chance de pouvoir bénéficier grâce à l’extraordinaire héritage que nos
prédécesseurs nous ont laissé, en sont la preuve. Le problème est qu’elle
n’a pas confiance en elle et qu’elle est trop divisée. Peu sûre d’elle, dominée
par des luttes fratricides, elle vit une hémorragie de ses forces.
Au vu de cette contradiction insupportable, l’urgence
est de retrouver confiance en nous en prenant conscience de trois choses.
- Il importe d’abord de redonner du sens à la vie dans
son ensemble. La vie humaine est une aventure extraordinaire dont nous n’avons
qu’une faible imagination. Songeons que nous ne connaissons que 4 % de la
réalité. 96 % de celle-ci nous demeure totalement inconnue. Prenons conscience
de ce simple fait. On ne peut que s’émerveiller de vivre et de participer à
l’aventure humaine. Françoise Sagan a écrit dans les années 60 un roman
intitulé « Bonjour tristesse ». Il importe aujourd’hui d’écrire un nouveau
roman intitulé « Adieu tristesse ».
- Dans cette aventure extraordinaire, l’homme est une
aventure encore plus extraordinaire. Si 96% de l’univers demeure inconnu,
96% de l’homme demeure encore inconnu, le potentiel de celui-ci étant
phénoménal.
- Enfin, dernier point. Aujourd’hui, nous tous en
France, nous avons tous les moyens de faire face au tournant phénoménal que
connaît notre monde. Nous avons les richesses matérielles, humaines et
intellectuelles de pouvoir non seulement affronter mais réussir l’avenir. À une
seule condition : que nous retrouvions confiance et gratitude dans les forces
morales et spirituelles qui sont en nous. Les plus grandes victoires sont
des victoires sont les victoires intérieures. Nous avons une bataille
intérieure décisive à mener contre nos démons.
José Polard : Consommateur ou acteur
de son vieillissement ainsi pourrions poser la question ? Dans la perspective
industrielle de la Silver économie, c'est la question de notre solvabilité qui
sera prédominante pour acheter les biens qui nous sont proposés. Dans une
conception proche des territoires, éco-systémique, la capacité de tisser des
liens, de l'entraide et de porter des projets devrait soutenir et inventer des
manières de vieillir suffisamment bien.
Propos
recueillis par Augustin Doutreluingne. »
Source :
Jean Vinatier
Seriatim 2019
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