Ce titre de L’Express pose
l’Union européenne en victime : or
n’est-ce pas son fonctionnement ou son
mode d’action qui a amené le Royaume-Uni (certes à partir d’une combinaison de
facteurs intérieurs et d’une malhabileté de Cameron) à acter la fin d’une
expérience commencée en 1973 ?
Aujourd’hui, on ne peut
entreprendre une action ou revendiquer un droit si l’on n’est pas une
victime : cette reconnaissance vaut titre. Les dirigeants de l’Union
européenne affectent de ne pas mesurer l’impopularité grandissante de l’Union
européenne laquelle va de pair avec un dégoût envers la démocratie. Bruxelles
en niant bien des referenda et des votes qui n’allaient pas dans son sens a
alimenté la lassitude démocratique, une démocratie qui reste, officiellement, son
totem. Si ce détachement démocratique envers Bruxelles est acté, il est moins
assuré qu’à l’échelle de chaque
Etat-nation cette réalité soit identique.
Pour comprendre, à la fois l’entrée
et la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, la connaissance de son
histoire est indispensable.
Le Royaume-Uni s’est construit autour
d’une constance sacrée ou maxime fondamentale: sa maîtrise. Maîtrise
institutionnelle : les institutions anglaises ont une dimension sacrée
nées depuis les monastères dont le parlement et la magna carta seront une conséquence
et qui prémuniront le royaume de toute tyrannie
c’est-à-dire qu’un seul commande à tous les autres sans les contre-pouvoirs.
Quand Henry VIII rompt avec Rome au moment de sa séparation avec Catherine d’Aragon,
les clercs et une bonne partie de l’église d’Angleterre la jugent légitime en cela
que Londres n’aurait plus d’autorité tutélaire extérieure. De même lorsque les Stuart tentent avec Charles
Ier puis son fils Jacques II de copier le modèle monarchique français, le
soulèvement des trois ordres les anéantit, le premier par la décapitation, le second
par l’exil. La constance politique qui accompagne logiquement la maîtrise ou équilibre
institutionnel est assez unique dans l’histoire humaine par sa durée. On peut
regarder le règne d’Elisabeth Ière comme le début de cette permanence politique
jusqu’à aujourd’hui, ne se séparant jamais du pragmatisme, du cynisme à l’extérieur,
de la dureté envers les classes basses formant, néanmoins, selon l’amiral
Nelson « a band of brothers ».
Cette constance politique pour
assurer son développement, nous la vîmes quand Londres soutint les pirates pour
abattre les puissances commerciales d’Espagne et des Pays-Bas au XVIIe siècle.
De même lorsque la City établira les circuits financiers de la traite (ce qu’on
oublie) avant de la dénoncer à la
fin du XVIIIe siècle car la révolution
industrielle débutée dans les années 1760 par sa mécanisation remettait en
cause l’intérêt économique de l’esclavage (l’affaire du navire Zong en 1783 par la juste émotion suscitée
masquera le choix politique). De même quand les gouvernements britanniques financèrent
les coalitions contre Napoléon Ier pour empêcher une puissance fédératrice ou
dominatrice du continent européen ce qu’ils feront jusqu’au XXe siècle. Maitrise
de l’espace géographique/ géopolitique via le Commonwealth qui l’assure d’un
rayonnement original formant une sorte d’OMC interne.
Tout ce propos pour dire que le
choix britannique d’entrer dans la future Union européenne au début des années
70 correspondait à une analyse d’une montée en puissance probable du continent européen.
Le gouvernement de Londres devait, par conséquent, en être pour son profit et l’irriguer
au mieux du Commonwealth.
Il est plus que probable que si l’Union
européenne par une révolution copernicienne avait fait le choix de devenir un
Etat souverain, Londres aurait agi pour saper. Ce chemin-là ne fut pas pris et
ne le sera pas de sitôt. L’Union européenne a fait sienne l’idée selon laquelle
être un espace mercantile (libre circulation des hommes et des capitaux) qui allait s’aligner complétement sur l’idée
du village-terre véhiculé par une partie des élites anglo-américaines, lui
assurerait une importance incontournable.
En 2016, le BREXIT et l’élection
de Donald Trump ont sifflé la fin de partie par les deux pays qui avaient
initié et encouragé le mondialisme ou globalisme en y incluant l’Union
européenne. Ce retrait du mondialisme par Londres et Washington ne signifient
pas un retrait de leur puissance respective bien au contraire : il s’agit
de se repositionner de façon à demeurer les axes majeurs de la planète sans que
leur identité respective en souffre. En fait le Royaume-Uni et les Etats-Unis
annoncent l’entrée sur la scène générale des nations-monde (volet temporel) face
à des religions et philosophies-monde (volet spirituel), des technologies
mondialisées/spatialisées (volet technique), des migrations climatiques (volet
humano-environnemental)….
Dans cette bataille de titans
prévue pour durer, l’Union européenne est victime de sa raison d’être laquelle
exclue toute vision géopolitique, géostratégique, abandonne à une puissance
tierce son commandement militaire, bâtît une monnaie qui enserre et appauvrit
les Européens, dénie toute pensée politique. L’Union européenne dans le monde
tel qu’il devient est inadaptée, ouverte aux quatre vents. Le ministre des
Affaires Etrangères français, Le Drian jouant au matamore en disant qu’il
combattrait toute émergence d’une Singapour-sur-Tamise faisant écho à un autre
français Michel Barnier qui brandissait une querelle de pécheurs pour impressionner
Londres : deux Français héritiers de la France, autrefois puissance
politique par excellence, aujourd’hui, malmenée et caquetante, offrent un désolant
spectacle qui éclaire aussi l’état dans lequel est l’Union européenne.
Jean Vinatier
Seriatim 2020
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