Thomas Tanase, vient de publier
un ouvrage admirablement écrit : « Histoire de la papauté en Occident », collection Folio histoire (n° 292),
éd. Gallimard. Cet ouvrage à la fois limpide et documenté permet de mieux
connaître deux millénaires d’histoire d’un acteur géopolitique majeur.
Thomas Tanase a accepté de
répondre aux questions de Pierre Verluise pour le Diploweb.com. Il en
résulte un entretien qui donne de la profondeur à de nombreuses problématiques,
dont la mondialisation, plus que jamais au cœur des débats liés à la crise du
coronavirus.
*
Pierre Verluise (P. V.) :
Thomas Tanase, après avoir travaillé sur les liens entre la papauté et l’Asie
au temps de Marco Polo, notamment dans le cadre d’une thèse qui vous a aussi
donné l’occasion de passer plusieurs années à l’Ecole Française de Rome, tout
en menant pour Diploweb différentes études sur la papauté contemporaine,
vous venez de publier une « Histoire de la papauté en Occident »
aux éditions Gallimard, dans la collection Folio histoire (n° 292).
Pourquoi s’intéresser aujourd’hui à la papauté, en dehors de la simple
curiosité historique pour une institution ou de l’attachement pour la ville de
Rome, dont vous faites aussi l’histoire par la même occasion ?
Thomas Tanase (T. T.) : Parce que travailler sur l’histoire de la papauté, c’est une manière de
réfléchir sur la longue durée, presque de faire deux mille ans d’un parcours
qui va de l’Europe au Congo, de l’Argentine ou des Etats-Unis aux Philippines.
Mais surtout, étudier la papauté c’est aussi une autre manière de réévaluer,
repenser l’histoire de la mondialisation, c’est-à-dire du processus moderne d’unification
de la planète autour d’un universalisme occidental qui a fini par définir un
langage économique, juridique, culturel devenu un cadre commun à tous, qu’on le
veuille ou non. Manifestement, l’universalisme des papes et celui des grandes
idéologies occidentales, même laïcisées, se répondent lorsqu’ils mettent en
avant l’idée de valeurs fondamentales, de droits humains et d’une quête de
salut universel, ici-bas ou dans l’autre monde. Ces deux universalismes se sont
construits depuis le Moyen Âge dans un champ commun, une interaction, souvent
conflictuels, mais qui justement à travers la rivalité et la compétition entre
papauté et Etats ont joué un rôle dans l’expansion de l’Occident et l’invention
de la modernité. C’est cette dynamique au cœur de l’histoire de la papauté que
j’ai voulu écrire.
Cette démarche permet d’abord de réfléchir sur le destin de l’Europe, et en
particulier de la France. Elle permet encore de comprendre que la
mondialisation est loin d’être le simple résultat d’un progrès technique qui
aboutirait naturellement à une globalisation sous la forme que nous
connaissons, inéluctable et face à laquelle il ne reste qu’à s’adapter. Au
contraire, réfléchir sur la papauté, son rapport à l’Occident et les
résistances qu’elle a rencontrées oblige à s’arrêter sur toute la complexité du
parcours qui aboutit à notre époque. La mondialisation actuelle apparaît dès
lors comme le résultat imprévisible d’une histoire plurielle, née
d’interactions et conflits entre acteurs multiples ; elle ne peut se
réduire à un ordre unique. Cette démarche prend encore plus son sens à l’heure
où l’hégémonie occidentale, qui semblait vouée à triompher dans les années
1990, est en train d’éclater. Le cadre atlantique qui lui servait de matrice
est remis en cause dans son cœur même anglo-saxon, du Brexit aux incertitudes
de l’Amérique de Donald Trump. Les mondes chinois, indien, russe, ou plus
largement africain, sud-américain, asiatique, certes mondialisés et
occidentalisés, sont néanmoins en train de se réaffirmer avec leurs
spécificités et de faire émerger un monde pluriel. Et plus profondément encore,
les mutations technologiques et sociétales remettent en cause nos conceptions
même de l’humain, du bien public, qui étaient aussi au cœur d’une tradition
européenne qui s’était construite dans l’interaction avec le christianisme.
Dans ce contexte, je pense encore qu’il devient important de remettre en
cause une histoire un peu facile venue des Lumières puis du scientisme du XIXe
siècle, qui ont formé notre horizon commun. Il s’agit de la conception selon
laquelle l’histoire se résumerait à un progrès linéaire, construit par les
marchands, les cités ouvertes, les progrès de la pensée et une sortie de la
religion, éventuellement due à un christianisme présenté de manière assez
superficielle comme une religion rationalisée. Cette histoire linéaire a aussi
servi en dernière instance de support à la promotion de la mondialisation
financière et ultralibérale depuis les années 1990 : l’histoire était
finie puisque tout le monde allait accéder à ce progrès occidental, même si
commençait déjà à poindre la peur que certaines civilisations pourraient se
montrer récalcitrantes et alimenter les conflits. Et de fait, cette vision est
remise en cause aujourd’hui par la Chine, l’Inde ou la Russie, qui refusent de
penser l’histoire comme un simple essor économique ou une accumulation
matérielle doublée d’une affirmation de droits, mais qui la pensent comme
destin, culture, comme inscription dans un horizon allant au-delà de
l’accomplissement individuel. D’où l’intérêt de reprendre l’histoire de la
papauté à l’heure où cette nouvelle globalisation voit les anciens cadres
éclater et impose de trouver des manières de penser différentes pour
reconstruire un monde polycentrique – une tâche que la papauté, qui veut parler
à tous pour construire des ponts, a plus que jamais fait sienne. »
La suite ci-dessous :
https://www.diploweb.com/La-papaute-est-elle-un-acteur-geopolitique-majeur-Reponse-a-travers-2000-ans-d-histoire.html
Jean Vinatier
Seriatim 2020
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