Les publications qui éclosent sur le « triomphe
de la Chine » ne sont guère une surprise : la Chine étant le premier
pays à sortir officiellement de la pandémie, elle est donc la première à
remettre ses moteurs en marche. Ses principaux clients (Américains, Européens,
notamment) étant immobilisés, s’ouvrent pour les autorités pékinoises des
routes de la soie (terrestre, maritime, spatiale) où elles se seront presque
seules à y circuler.
On lit aussi, que le coronavirus accélèrera la
domination chinoise sur le monde, que cette puissance avance ses pions : s’il
faut montrer un peu de prudence sur le premier point, sur le second, la nature
ayant horreur du vide, il est logique que la Chine y soit plus visible pendant
cette période singulière.
Tout cela n’aura qu’un temps : les Etats-Unis et
l’Union européenne en termineront avec cette pandémie dans un état difficile à
évaluer et réactiveront leurs économies cahin-caha.
En, fait, certains ne sont pas loin d’imaginer une
immense 5ième colonne chinoise étendant son ombre maléfique sur la
planète au point que chacun d’entre nous se réveillerait d’ici l’été totalement
sinisé et vénérant Xi Ping !
On est dans ces moments de psychose où l’on aime à se
faire peur évitant de se regarder soi-même.
Une fois de plus, le coronavirus n’est qu’un grain de
sable à faible létalité (il suffit de regarder les chiffres) mais un grain de
sable qui du fait de l’organisation économique du monde à flux tendu a présenté
son extraordinaire fragilité. Le décalage entre un virus peu mortel et la mise
à l’arrêt de l’économie réelle (dans un premier temps, les circuits financiers
y échappant étant électroniques) est ce qu’il y a de plus original, laissant
aux historiens de demain bien des interprétations.
La Chine, comme quelques autres nations d’Asie, a
cette originalité de vivre hermétique au monde tout en se déployant à l’extérieur.
L’ouverture au monde que les Occidentaux imposèrent au
XIXe siècle, à la Chine pour lui extorquer le thé, au Japon pour ouvrir un
nouveau marché aux Américains, avec une violence inouïe liée à la révolution
industrielle et à son corollaire l’expansion territoriale (colonialisme et nouveaux
marchés) que nous peinons à regarder, de même que les Américains feignent de
pas mesurer leur politique génocidaire envers les Indiens, a, aujourd’hui des
contres-coups. Il faut bien souligner cette violence : quand Londres a été
capable d’inonder la Chine d’opium, de pourrir une nation pour avoir le monopole
du thé : pense-t-on que dans la société chinoise ces longues traces d’infamie
resteraient superficielles ? La Chine a une très longue mémoire et
Mao-Tse-Toung était paysan et n’a pas du tout massacré la dernière dynastie et,
au contraire, a veillé à ce que le dernier Empereur reposât auprès de ses
ancêtres. Le régime communiste chinois a bien des liens avec le système
impérial d’avant. Ce qui est très neuf, aujourd’hui, est la leçon que les
dirigeants chinois tirèrent du viol
étranger aux XIXe et XXe siècles. Ce qui est très ancien est toujours l’incapacité
pour les puissances euro-américaines à comprendre le fonctionnement spirituel
de la Chine : réduire la Chine aux seuls marchés, y placer toutes nos
industries au simple motif que le travailleur chinois est peu cher tout cela n’est
qu’une comptabilité d’épicier. Tous ces individus étrangers ont oublié que la
Chine avait été une grande puissance jusqu’aux traités inégaux et qu’elle
continua son expansion territoriale jusqu’en 1868 (Xinjiang= nouvelle
frontière). On nous dit que la Chine a raté son développement industriel, sa
modernité : de notre point de vue, la réponse est oui, mais du leur, la réponse
serait plus nuancée. La Chine vivait son monde, considérant que son monde était
le monde au sens cosmogonique du terme, elle habitait son hermétisme avec un
raffinement avéré.
Le viol de son monde par les Occidentaux au même
moment que celui perpétré contre le Japon a généré deux réactions : un
affaissement structurel chinois, une réaction sanguinaire au Japon qui débuta
par l’élimination des samouraïs, précipitant un nouvel Etat avec aussitôt une
soif de conquêtes extérieures barbares qui culminèrent en 1942.
En 2020, la Chine et le Japon cultivent à leur façon une xénophobie que nul ne leur reproche,
recrée un hermétisme offensif et établissent des aires d’influence dont nous n’avons
pas les codes. La Chine est plus fascinée que le Japon par les lumières « occidentales »
quand la présence américaine au Japon y est très mal supportée mais dans les
deux cas, nous avons des puissances historiques non amnésiques ce qui ne
signifient pas qu’elles sont sans failles.
L’incontournable Asie (asiatique et orientale), les routes
de la soie qui concurrencent d’autres routes établies en sens inverse par nos
puissances d’autrefois éclairent la complexité de notre temps. Faute de trouver
au-delà, non pas des mers, mais des planètes, d’autre terres habitables, les
milliards d’individus seront autant de poissons rouges dans un bocal : s’en
sortiront mieux et moins pathologiques, les sociétés et les hommes qui
intégreront un hermétisme préservant l’identité, individuelle, historique.
La Chine hermétique et dans le monde, est donc une
voie interrogative à penser.
Jean Vinatier
Seriatim 2020
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