19 Avril-16 mai 1770 : Comment abordera-t-on le
250e anniversaire de l’union entre le futur Louis XVI, un des
petits-fils de Louis XV et Marie-Antoinette, avant dernier enfant de François
de Lorraine et Marie-Thérèse d’Autriche ? Rappel de la magnificence de
Versailles, premières paroles de la
jeune et charmante archiduchesse ?
L’année 1770 était-elle calme? La Hongrie établit
un cordon sanitaire pour se protéger de la peste, James Cook aborde l’Australie
à Botany Bay, les premiers affrontements se déroulent entre colons américains
et soldats britanniques (le massacre de Boston), le premier soulèvement grec
contre les Ottomans et l’entrée sur scène de la Russie, le grand réformateur
danois Johann Friedrich Struensee arrive au pouvoir (voir le film Royal affairs).
Nous sommes à deux années du premier des trois
partages de la Pologne par la Russie, la Prusse, l’Autriche et à six ans de la
Déclaration d’Indépendance américaine.
Au-delà de la musique de cour, d’autres sons
retentissent et personne ne prévoit, ni n’imagine que vingt-trois ans plus tard
les têtes de ce couple adolescent (16 ans et 15 ans) rouleront le 21 janvier,
le 16 octobre dans un panier place de la Révolution.
Pourtant ce mariage a fait l’objet des plus grands
préparatifs dans le souvenir des unions espagnoles habsbourgeoises :Louis
XIII et Anne, fille de Philippe III, Louis XIV et Marie-Thérèse fille de
Philippe IV qui restaient dans un cadre étroit et ne terminaient pas la
rivalité ancestrale commencée avec la succession bourguignonne issue de Charles le Téméraire.
De
la Renaissance qui arriverait d’Italie au siècle des Lumières, se dérouleront
bien des guerres, religieuses et civiles que les traités de Westphalie en 1648
voulurent abolir en créant un ordre politique (Munster) et religieux (Osnabrück)
alors même que l’Europe de cette
décennie connaissait une série de révoltes et de révolutions à Naples, à Barcelone,
à Londres (guerre civile), à Paris (frondes). Louis XIV fige un monde à
Versailles mais l’Europe danse casquée, les conflits s’enchaînent. Bourbons et
Habsbourg s’acharnent pendant que l’Angleterre grandit et pousse d’un cran son
ambition en changeant de dynastie en 1688. Respiration ? Du tout, en 1700
débute la longue guerre du Nord (21 ans) puis un an plus tard celle, au sud, de
la succession d’Espagne. Habsbourg et Bourbons s’épuisent tandis que les champs
de bataille terrestres perdent de plus en plus d’importance face aux combats maritimes
et prises territoriales en Amérique. La guerre change de dimension, d’espace,
de profondeur. L’Europe peine à sortir de cette féodalité guerrière, elle croit
que la terre l’emporte sur la mer et c’est l’inverse.
Au terme de la guerre de succession d’Espagne et après
les traités d’Utrecht et de Rastadt (1713-1714), Louis XIV fait rédiger pour le
comte du Luc son représentant à Vienne auprès de Charles VI des instructions qui
figurent dans la belle collection du Recueil des instructions données aux
ambassadeurs. On les lit peu, en diagonale et c’est un tort, elles sont un angle
politique secret qui complètent, souvent, les correspondances diplomatiques
(CP) et les mémoires et documents (MD).
Comment synthétiser
les instructions au comte du Luc ?
Le monarque analysait les forces en présence en 1714.
D’un côté, une Europe du Nord avec des puissances
confirmées (Royaume-Uni, électeur de Brandebourg, roi en Prusse, maintien de la
force financière des Provinces-Unies ou Hollande) et une nouvelle, la Russie qui
battait la Suède (guerre du Nord 1700-1721).
De l’autre, une Europe du sud où les Bourbons
succédant aux Habsbourg en Espagne, sur des trônes ou présides italiens
devenaient la force incontestable.
Louis XIV posait les jalons d’une Europe nouvelle très
différente de celle qu’on lui apprenait entre deux Frondes : de ces
puissances nombreuses et ombrageuses se dégageaient à gros traits de nouveaux
acteurs plus organisés, plus souples, une société commerçante (très diverse),
des financiers. Le monarque indiquait donc l’importance de contrebalancer le Nord par un rapprochement
avec l’ennemi d’hier, le Habsbourg. Louis XIV posait les termes du renversement
des alliances de 1756 de même que les pactes de famille.
Depuis ces instructions qui habitèrent les réflexions
des commis des affaires étrangères et qu’il serait trop long à détailler, il y
aura dès la Régence du duc d’Orléans, une évolution lente, à tâtons dans le
secret des cabinets versaillais en direction de Vienne : les politiques,
alors, ne sont prisonniers ni du temps, ni
d’un calendrier électoral donc on avance, on hésite, on fait une expérience
puis on recommence. Il n’y a pas d’idéologie. Les correspondances entre les
chancelleries circulent tous les quinze jours, par liasse épaisse.
Cette lenteur politique ne sera pas celle de la
société économique, « civile ». D’un côté des commis travaillant dans
le « secret d’Etat », de l’autre une société moins embarrassée par
les prudences, goutant in abrupto les nouvelles lues dans les publications dont
le développement constant tout au long du XVIIIe siècle est encore sous-estimé,
avalant les publications philosophiques, la nouvelle encyclopédie...etc. Un
exemple, le Courrier d’Avignon (de Monaco) sera la première gazette à être livrée
au domicile de l’abonné et non plus seulement mise en dépôt chez le libraire. L’alphabétisation
progresse inégalement dans le royaume, les connaissances apportées aux quidams
sont plus vastes. Vergennes rachète Le Courrier de
l’Europe fondé par un écossais et laisse
découvrir aux lecteurs français tous les débats parlementaires à Londres, en
1786 The Times nous apprend autant des grèves en Chine que le dernier potin.
Les ouvrages font l’objet d’une censure très
légère et ne sont guère plus saisis qu’à Londres…(De la censure de Robert Darnton).
Ces lignes pour souligner le décalage entre deux temps
celui d’un pouvoir qui ne rend de compte qu’à Dieu et une société en phase de
découverte et d’horizons. Ainsi le rapprochement entre les Bourbons et les
Habsbourg n’aura-t-il pas du tout la même perception : quand le Roi y verra une paix plus certaine, la société
française (dont la Cour) nourrira une détestation car, à leurs yeux, Vienne est
la capitale d’un catholicisme intransigeant, d’une hostilité à l’esprit
philosophique. La politique de rapprochement s’opérera donc contre un état
d’esprit que Versailles sous-estimera totalement.
Cela dit, les ministres de Louis XV travailleront
autant vers Vienne qu’aux pactes de famille pour unir les branches des Bourbons
(France, Espagne, Parme, Naples) qui sont des solidarités dynastiques dans un
cadre géopolitique, ce qui est nouveau même si le mot n’existait pas.
Le temps pressait le Royaume-Uni et la Prusse ne
faisant plus mystère (sauf pour les salons parisiens) de leurs expansions
territoriales, Versailles pouvait opter in fine pour la Russie au lieu de l’Autriche :
Louis XV n’aimant pas cette Moscovie aux mœurs barbares, Vienne s’imposait.
Outre sa position centrale, l’Autriche inaugurait depuis Charles VI une
politique très nettement tournée vers les Balkans et l’empire Ottoman qui se
résumerait, après la guerre de Sept ans pour les cabinets européens, à la
question d’Orient. Vienne avait une position stratégique continentale évidente,
contrariant autant la Prusse que la Russie. A cela, elle était une puissance
catholique, autre élément commun à l’Europe du sud, celle des pactes de
famille.
Dès lors, une alliance autrichienne adossée aux pactes
de famille avait sa logique, dynastique, religieuse, stratégique et maritime
grâce aux possessions espagnoles. Le temps « géopolitique » s’accélérait.
Après la guerre de succession de Pologne
(1733-1738), celle d’Autriche (1740-1748) par les traités d’Aix-la-Chapelle consacrèrent,
une paix blanche d’un côté Marie-Thérèse accédait au pouvoir par son mari l’empereur
François de Lorraine Empereur, de l’autre la France et Angleterre établissaient
un status quo dans leurs possessions respectives.
De ce très fragile équilibre où aucun signataire ne
renonçait véritablement, naîtra la guerre de Sept ans (1756-1763), la première
guerre mondiale.
La guerre de Sept ans, un désastre
français (pertes du Canada et de l’Inde) auquel l’Espagne a été contrainte
pour son malheur de participer en 1761, laissera la France dans un état de
sidération. Contrairement à Voltaire qui plaisantait sur la perte « des
arpents de terre », Louis XV souffrit des défaites dont il avait la responsabilité.
Pour l’opinion publique, l’Autriche alliée à la France depuis 1756 était plus négativement perçue.
Ce mariage géopolitique d’avril-mai 1770 apothéose d’une
longue politique et de pactes bourboniens arrivait ni trop tôt, ni trop tard,
il était incompris intellectuellement, philosophiquement par l’opinion publique
qui ne jurait que par une idéalisation de l’Angleterre et le rejet de toute
lourdeur : l’homme redécouvrait la nature, le corps…., par la prise de
conscience d’une bourgeoisie de son pouvoir financier autant que politique et
ne s’embarrassait guère de subtilités dynastiques.
Ce mariage géopolitique était-il équilibré ? Du
côté de Vienne, on attendait de la France (et de l’influence de Marie-Antoinette)
un appui de facto qui ne se produisit pas, ainsi : succession de Bavière
ou guerre de la pomme de terre(1779), la querelle de l’Escaut (1784).
Vergennes, lui-même, n’abondant pas spontanément dans cette alliance, choqué
par le découpage de la Pologne accepté aussi par Marie-Thérèse.
Du côté français, l’alliance viennoise était une
garantie d’équilibre renforcée par les pactes de famille. C’était la condition européenne
pour tenir face aux redoutables flottes anglaises de l’Amérique aux Indes, d’entreprendre
une réelle politique navale, d’encourager mieux encore les grandes expéditions
maritimes françaises, surtout sous Louis XVI avec celle, notamment, de La
Pérouse. Elles visaient à redonner à la France une ambition mondiale, moderne.
Louis XVI en comprenait parfaitement les enjeux, en soutenant, par exemple la mission Pigneau de Béhaine, il posait les
jalons de la Cochinchine du siècle suivant. Idem quand Louis XVI au tout début de
la Révolution soutint, au nom du pacte de famille, l’Espagne opposée à l’ambition
anglaise dans le Pacifique : l’affaire de Nookta Sound (vers île de
Vancouver) tua le pacte de famille, assura la victoire de Pitt, l’assemblée
nationale voulant d’abord contrôler le Roi l’empêchant d’agir promptement…….
Ce mariage politique avait-il un avenir ? Pour
donner des éléments de réponse, il faudrait ne pas avoir automatiquement en
ligne de mire « 1789 » et connaitre mieux encore les correspondances
politiques des puissances concernées.
On peut se demander si l’alliance franco-autrichienne
n’a pas facilité la constitution de la ligue des neutres en 1779 qui unit toute
l’Europe depuis la Russie jusqu’au Portugal affaiblissant le Royaume-Uni contre
les Insurgents? Après la guerre d’Indépendance américaine, Lord Shelburne
disait à l’ambassadeur de Louis XVI, que, désormais, toute guerre en Europe
serait regardée comme civile…..
Le mariage de 1770 est balayé dramatiquement et avec
lui tout un monde, tout un siècle des Lumières et du despotisme éclairé. Quand
Napoléon Ier épousera Marie-Louise, nièce de Marie-Antoinette, il ne le fera que
pour n’être plus un usurpateur.
Trois siècles pour clore la guerre franco-habsbourgeoise ?
En toute logique, pactes de famille et alliance franco-autrichienne demandaient
du temps pour que les graines germent, que des coopérations, économiques,
monétaires se fassent, se tissent….etc. c’était sans compter sur l’accélération
du monde, sur les inattendus….
Jean Vinatier
Seriatim 2020
Note
1-Le secret du Roi, une diplomatie parallèle et un
service de renseignements créé par Louis XV devait le trône de Pologne sous influence française et
travailler à diverses alliances qui contrebalançaient, parfois, la politique
officielle de la France. Louis XVI supprima le secret en accord avec Vergennes
qui en fut un élément de qualité.
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