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samedi 18 avril 2020

Notre-Dame de Paris : de la foi aux fléaux? N°488414e année



Dans La Croix du 15 avril, Michel Pastoureau disait ne pas être choqué par une « désacralisation de Notre-Dame de Paris ». Cet article paru, un an après l’incendie qui abîma Notre-Dame de Paris a suscité des critiques nombreuses et argumentées.
Entre le tandem Emmanuel Macron/Anne Hidalgo partisan d’une reconstruction rapide pour que Notre-Dame de Paris accueille aussi les spectateurs/consommateurs des Jeux Olympiques en 2024 et ceux, historiens, architectes, passionnés et/ou croyants avocats de la dimension historique, s’opposaient et s’opposent toujours deux camps : l’un pressé n’admettant le patrimoine qu’en fonction de sa plus-value potentielle et exponentielle, l’autre braudélien celui du « temps long ».
Michel Pastoureau, marseillais plein de faconde que je vis plusieurs fois à l’EPHE, son épouse assurant alors la direction de la bibliothèque de l’Institut où elle m’inscrivit sur le fameux livre noir, est un homme passionnant, charmant et érudit. A-t-il dit plus qu’il ne voulait exprimer ou bien est-il de guerre lasse? Ses propos sont pourtant très critiques :
 « Avant de prendre feu, Notre-Dame de Paris en était un exemple à la fois emblématique et affligeant. Qui pouvait venir prier, ou même simplement se recueillir dans ce lieu où des hordes de touristes circulaient à longueur de journée, ne respectant pas toujours les barrières les séparant des fidèles ni les horaires des messes ou des offices ? Comme au château de Versailles, un sens giratoire avait été instauré : entrer par une porte, faire le tour de la nef en jetant un coup d’œil rapide dans les chapelles, puis ressortir par une autre porte, et, surtout, ne pas s’arrêter en chemin, cela aurait pu bloquer le flux continu des visiteurs.
Beaucoup, du reste, n’entraient pas pour regarder l’architecture, ou les œuvres d’art, encore moins pour se livrer à quelque dévotion. Ils entraient pour photographier !
Comme au Louvre et comme dans tous les grands musées du monde : photographier n’importe quoi, n’importe comment, à la va-vite et, si possible, se faire photographier en train de photographier ! L’incendie a mis fin à ce rituel absurde »

A-t-il maladroitement  exposé l’idée selon laquelle la montée inexorable du tourisme de masse et la baisse quasi certaine des croyants chrétiens catholiques, arriverait le moment où Notre-Dame de Paris (c’est la même chose à Versailles) changerait de fait de destination et de sens ?
« Moi qui suis historien et chrétien, catholique qui plus est, j’avoue qu’une telle mesure ne me choquerait pas outre mesure. Il ne me vient jamais à l’esprit d’entrer à Notre-Dame pour prier : non seulement la cathédrale a été abandonnée au tourisme de masse, mais elle aussi a été confisquée par la République pour y organiser différentes cérémonies dont on attendrait qu’elles se déroulent ailleurs, au Panthéon par exemple. C’est lui le grand temple républicain, pas Notre-Dame. Pourquoi célébrer dans la cathédrale les funérailles de présidents parfaitement athées ? N’y a-t-il pas là quelque chose de provocant ? »
Pour la petite histoire, en 1795 quand le Directoire réprima une révolte ouvrière, les malheureux virent Notre-Dame en refuge !

Depuis 1905, les églises et cathédrales sont la propriété de l’Etat qui en assure l’entretien laissant au clergé la liturgie. La reconstruction de Notre-Dame de Paris  est donc d’abord une affaire d’Etat mais bien évidemment la puissance symbolique de la cathédrale et le fait qu’elle trône sur l’île de la cité, cœur historique de Paris ne laissent indifférents ni les chrétiens, ni ceux attachés à l’histoire de la capitale donc de la France. A ces mouvements, ascendant, descendant, se conjuguent, la déconstruction de notre souveraineté au profit d’une Union européenne indifférente à la frontière et le déclin de la foi chrétienne générale en Europe. Le Pape François, sans le dire ouvertement, estime que l’Europe avec ses actuelles populations, n’est plus une terre de mission, l’Asie et l’Afrique étant plus prometteuses.
Dans ce cadre le devenir du patrimoine historique français est sombre pour les uns, incertain pour d’autres. Les déferlantes touristiques en France (Laurent Fabius rêvant de 100 millions de visiteurs par an !) sont-elles heureuses? A Versailles, au Louvres, dans une église, combien de fois ne vit-on pas les comportements grotesques et autres pantomimes avec bien sûr au milieu de cette presse des individus réellement curieux. Voir ces foules amassées, pressées, le smartphone à bout de bras devant la Joconde, cela  relève de la pathologie.
Le Louvre, palais d’Etat jusqu’à l’installation du Roi à Versailles en 1683, vit au siècle suivant l’installation des ateliers et appartements pour les artistes et à la fin du XVIIIe siècle, le comte d’Angiviller, le grand surintendant des bâtiments de Louis XVI dont il était l’ami, jeta les bases du musée du Louvre qu’Alexandre Lenoir reprendra…pour arrêter la folie destructrice de certains révolutionnaires! On notera que lors des grands travaux du Louvre, jamais il ne fut question de réattribuer des logements/ateliers à des artistes : il aurait été intéressant d’associer création et musée ce qui aurait pu éclore juste avant 1789.
Aujourd’hui, le Louvre mène une politique d’accueil bien plus pratique pour les touristes que pour les Parisiens et les Amis du musée. Si l’on souhaite parcourir les collections permanentes, vous devez faire la queue au même titre que si vous vouliez visiter l’exposition temporaire pour laquelle une réservation est, désormais, incontournable. Si officiellement le Louvres est confié à un conservateur, nul n’est dupe que ce sont les managers qui font la pluie et le beau temps.
Pourquoi ces lignes sur le Louvre ? Notre-Dame de Paris est sur l’île de la cité laquelle, selon Dominique Perrault est « un objet non identifié ». L’Etat et la mairie de Paris travaillent au « futur » de l’île de la cité et donc aussi de Notre-Dame de Paris. Les quelques projets que le public eut à connaître ont tous en commun d’assécher l’île de la cité, de la dédier aux touristes, aux commerces et …des espaces museaux. Quand Dominique Perrault dit « objet non identifié » c’est commercialement. L’unique interrogation de l’Etat et de la mairie de Paris se résume à comment faire en sorte que dix millions de visiteurs y restent et y consomment. Que l’île de la Cité soit le cœur de Paris est tout à fait secondaire : du pain et des jeux !
Il n’est donc pas anodin que l’incendie terrible de Notre-Dame de Paris réjouisse ceux qui rêvent d’un « Disneyland » au milieu de la capitale qui communiquerait avec le Marais et le navire amiral de Bernard Arnault (la Samaritaine) jusqu’à la Concorde où l’ancien garde-meuble aura son aire mercantile, la Seine assurant les transhumances fluviales. Le Louvre et Notre-Dame de Paris ne seraient plus que deux extrémités historiques vidées l’un de son histoire, le second de sa foi et de l’effacement des messages laissés par les fidèles, les bâtisseurs (signatures, symboles, revendications sociales , caricatures…etc.) : un roof-top à Notre-Dame où, par exemple officieraient un Ducasse à la tête d’un énième restaurant, un ZARA , Starbucks, une ONG progressiste, une flèche Vuitton : le top ?
Au commentaire de Michel Pastoureau « Les touristes d’aujourd’hui ne sont pas les pèlerins d’autrefois. Ce sont de simples visiteurs, dont la plupart sont parfaitement athées et certains, antireligieux.» s’ajouterait que le tourisme de masse, fort polluant (avions, bateaux géants…etc.) et arasant, s’insère diaboliquement dans les vues autoritaires et les comptabilités globales de quelques groupes restreints, de « ces quelques mains qui tiennent tout » (François Mauriac) abhorrant histoire et mémoire qui font porter aux hommes le blé et confient leurs fléaux  aux basses œuvres.



In fine,  le coronavirus serait-il ce grain de sable qui rebattrait les cartes pour le tourisme et les jeux ?

Jean Vinatier
Seriatim 2020


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