Pour l’heure, l’idée d’un emprunt sur lequel Berlin et
Paris conviennent n’est qu’une écriture qui sert à un moment T les intérêts des
deux acteurs : à Berlin cette initiative est vue comme une aubaine
bienveillante à quelques semaines de la prise de la présidence de l’Union
européenne, à Paris où la communication a depuis longtemps succédé à la
politique on la regardera comme le moyen de rassurer un électorat pro-européen
toujours persuadé que le successeur de François Hollande est un démiurge
incompris.
La nouveauté de la déclaration tient au fait que pour
la première fois le remboursement ne se ferait pas au prorata des prêts ce qui autorise
les éditorialistes français à proclamer que l’Allemagne a cédé sur la mutualisation
des dettes. C’est mettre la charrue avant les bœufs….
La présidence allemande de l’Union européenne débutera
le 1er juillet pour se terminer le 31 décembre 2020 : un moment
historique avec des dossiers très lourds à irriguer.
D’une façon générale, comme je l’écrivais dans « Merkel vers l’Europe italo-hanséatique », l’Allemagne n’assumera ni une
implosion de la zone euro ni de l’Union, elle chercherait plutôt à se doter d’une
zone renforcée d’influence pour le cas où justement tout craquerait. Cela étant
dit, l’Allemagne aura, hors emprunt suggéré :
1-Sur le plan européen, à régler le court-circuit
entre la Cour de Karlsruhe et la BCE, à assumer le no deal possible avec le Royaume-Uni
au sujet du Brexit et son corollaire le traité de libre-échange anglo-américain
si Donald Trump est reconduit, à donner un règlement général face aux secousses
sociales, économiques, politiques qui ne manqueront pas de survenir dans l’après
COVID-19.
2-Sur le plan intérieur, la chancelière aura également
une forte tâche avec les politiques d’austérité de concert avec le patron de la
Bundesbank dans un pays politiquement arc-bouté.
L’Allemagne est dans une position de défensive
soucieuse de préserver ses intérêts, de gérer au moins mal ses exportations
mises à mal, elle doit donc dessiner un Hinterland d’un genre neuf.
Sur les rives de la Seine, l’incurie présidentielle qui
a fait les choux gras de la presse européenne et internationale mais paramétrée
par les éditorialistes parisiens, on est dans l’offensive de communication
toute entière tournée vers la résolution de problèmes intérieurs. On comprend
bien le dépit élyséen de ne pas avoir cette présidence européenne en juillet. Faute
de cette scène offerte, Paris a rédigé un livret dont Berlin se saisit avec
empressement sans préjuger des négociations difficiles ni sans avoir la
garantie allemande d’être coadaptateur.
A Paris,
mesure-t-on que pour la chancelière allemande cette présidence
européenne est d’un enjeu qui va bien au-delà de la communication et qu’en
toute logique elle ne badinera pas ni sur son pays ni sur son aire d’influence
(Finlande, Provinces-Unies, Autriche…etc). La France et l’Allemagne sont-elles
sur le même pied d’égalité en Europe ? A Paris craint-on Berlin confortant
son glacis ou bien s’étourdit-on de chimères ?
Au-delà de ces lignes, notons un autre acteur : l’Italie
autour de laquelle est bâtie sans le dire la proposition d’emprunt. Le
gouvernement Conte le sait bien espérant beaucoup dans un jeu de bascule comme
au bon temps des ducs de Savoie entre France et Saint-Empire. Rome est une clef
du devenir de la proposition d’emprunt. Ainsi le lendemain de l’Union
européenne (zone euro incluse) se jouerait donc autant les bords du Tibre que
sur ceux de la Spree. Paris aura fort à faire pour éviter le penchant naturel
de l’Italie (le Nord surtout) vers le Rhin….
Quant aux propos sur les souverainetés stratégiques,
elles sont un slogan faute d’Etat européen. L’Union européenne au nom de la
libre concurrence refuse tout cartel industriel et tout protectionnisme. Sur ce
point, il est plaisant d’écouter les économistes libéraux s’affoler d’un possible
repli (populo-souverainiste) alors qu’ils ne le reprochent ni aux Etats-Unis ni
à la Chine, deux acteurs incontournables de la mondialisation!
Jour après jour, semaine après semaine des deux côtés
de l’Atlantique, on imprime à tour de bras des milliers de milliards de dollars,
d’euros pour conjurer une récession dont ne sait pas ni la profondeur ni la
durée. L’Union européenne (et zone euro) faute de changer de nature s’en remettra
pour six mois à une chancelière dont le petit fléchissement augurerait un long
fleuve tranquille….Verre à moitié plein ou verre à moitié vide ?
Jean Vinatier
Seriatim 2020
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