Dans quelques décennies les historiens qui voudront
bien étudier ce que nous fûmes alors, souligneront, sans doute, que le 5 mai
2020 commençait une période nouvelle pour le continent européen.
Personne ne doute que la chancelière allemande ne découvrit
la décision des juges de Karlsruhe en écoutant la radio, elle en connaissait la
ligne conclusive. Le discours qu’elle fit le 13 mai donnait autant d’assurance
de respect envers la cour constitutionnelle qu’auprès de la BCE dont son pays
est le premier contributeur. Le 1er juillet Angela Merkel assurera
la présidence de l’Union européenne jusqu’au 30 décembre 2020.
Pendant six mois l’Allemagne assumera un rôle
singulier dans un moment qui l’est tout autant conséquence d’un virus tuant peu
physiquement mais bouleversant les enjeux politiques et économiques.
Berlin ne délaissera pas l’euro tant qu’elle pourra
guider, pas davantage l’Union européenne tant qu’elle ne contrecarrera pas son
avenir. Selon moi, faut partir de cette maxime pour comprendre le début de la manœuvre
qui si elle tenait bien changerait assurément ce qu’on appelle aujourd’hui l’Union
européenne.
Au cœur du continent, l’Allemagne s’est complétement
relevée, elle a compris très tôt tout le parti qu’il y aurait à tirer d’une
construction européenne qui s’en tiendrait à la sureté économique puis à une
monnaie stable la débarrassant jusqu’alors de tout tracas politique et
militaire qui lui avait couté deux conflits mondiaux.
Comme en toute chose, il y a un terme.
La conjonction d’un virus et d’une situation géoéconomique
accélérait-il le cours des événements ? Berlin a misé sur les exportations
massives s’appuyant sur la garde d’un appareil industriel le moins délocalisé
du continent qui souffrent aujourd’hui vis-à-vis
de la Chine, du Royaume-Uni, des Etats-Unis et aussi avec l’Italie où sont
nombre de ses sous-traitants. Sa démographie vieillissante a conduit la
chancelière à ouvrir en 2015 en grand les frontières provoquant un
mécontentement général qui favorisa la montée en puissance de l’AfD, parti
europhobe devenu alors aussi anti-migrant, la fragilisation de la grande
coalition SPD/CDU/CSU. La pandémie a tu les politiques allemands, a redonné une
nouvelle popularité à la chancelière, la mutti protectrice, et a ravivé tout
autant les lignes rouges sur lesquelles l’unanimité se fait à savoir l’inflation
et les déficits rendant compréhensible la décision des juges de Karlsruhe inquiets
pour le citoyen allemand et convaincus que la BCE n’étant pas « le maître de l’univers » elle avait toute indépendante qu’elle fut, une limite.
Si Angela Merkel ne désavoue personne, elle sait également
qu’en quittant l’euro elle démolirait l’Union européenne. Du désordre l’Allemagne
n’en veut pas mais d’un nouveau mouvement européen certainement. L’Allemagne et
l’Union européenne se sont fondues. Aujourd’hui, la tâche de la chancelière serait
de continuer cette marche mais en l’orientant vers un axe que je crois italo-hanséatique
(donc aussi rhénan) en s’assurant de l’appui des Provinces-unies, du Luxembourg,
de l’Autriche, des Baltes, de la Finlande et récupérant l’Italie. L’intérêt
allemand n’est pas de traiter l’Italie comme la Grèce c’est un partenaire secondaire
indispensable. Mais si les Italiens les plus fortunés (comme les grecs) placent leurs capitaux en Allemagne, la
difficulté sera de tirer l’Italie sans contrevenir à la ligne rouge :
est-ce possible ? Politiquement presque non, économiquement oui.
La référence à la Hanse ou ligue marchande très puissante
jusqu’au XVe siècle me parait bien convenir aux regards allemands contemporains
en ce sens où elle privilégie une organisation marchande souple bien relayée
par une monnaie unique. Ainsi du sein de l’Union européenne et de la BCE s’organiseraient une sorte de hanse
qui prémunirait l’Allemagne de tout dommage immédiat. Les dynamiques économiques
l’y poussent.
L’autre point important serait la mise au second plan de
la France, Etat qui a le plus délocalisé du continent, qui a beaucoup perdu de
son équivalence économique avec l’Allemagne. Notre verbe politique erre désormais
dans l’air faute de cette force. Cette différence illustre aussi que la France regardait
la construction européenne plus politiquement que l’Allemagne. Depuis de Gaulle
les déconvenues avec Berlin sont nombreuses même si dans des instants courts il
y eut des ententes (Irak en 2003).
Angela Merkel née au nord de l’Allemagne a toujours
plaidé pour une Europe la plus économiquement ouverte, son pays tablant sur les
exportations toujours croissantes mais a regardé jalousement que des déséquilibres
dans l’Union ne dégradent son pays. Le BREXIT a rappelé à Berlin trois choses si
elle entendait asseoir sa première place dans l’Union : des alliances
internes solides, une monnaie unique adéquate, maintenir sa puissance
exportatrice.
A suivre….
Jean Vinatier
Seriatim 2020
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