« C’est de nouveau la guerre, les souffrances indicibles, la vanité des sentiments et des attachements réduits en poudre, les morts pour rien, les destructions jubilatoires des ouvrages humains patiemment édifiés, la mise en pièces gratuite de l’ordinaire existence de la population courageuse de cette enclave forestière superbe depuis si longtemps entre deux eaux qu’elle avait fini par croire en la permanence du provisoire. Les pauvres gens inoffensifs pris au piège de la violence et de la bêtise du monde, se posent toujours les mêmes questions apparemment légitimes : Pourquoi moi ? Pourquoi nous ? Pourquoi maintenant ? et surtout : pourquoi tout le monde s’en f… ?
Convoquer le génocide arménien, les amitiés indéfectibles et les trahisons opportunistes ne sert de rien. La guerre n’est ici pas faite pour ça. Et si on ne concentre son regard que sur le Nagorny Karabagh, confetti d’empire disputé, prisonnier des injonctions contradictoires du droit international sur l’autodétermination des peuples et le respect de l’intégrité territoriale des Etats, on ne peut voir ce qui ne se joue ni l’ampleur de la manœuvre qui se déploie.
Si on veut tenter un diagnostic lucide, un premier pas consiste à comprendre que Bakou et Ankara veulent faire disparaître cette verrue récalcitrante sous leur botte conquérante avant d’unir leurs deux Etats et d’affermir leur emprise sur les républiques turcophones d’Asie centrale. Il s’agit d’équilibrer leur rapport de force avec Moscou – et même, soyons fous, disposer d’un outil de plus pour déstabiliser l’Europe si elle ne rendait pas assez gorge via le chantage migratoire.
Mais c’est encore l’écume des choses. Le jeu est bien plus vaste. Il est en fait planétaire et se joue en simultané sur tous les continents. L’objectif tactique de la réouverture du front arméno-azéri pour pousser Moscou voire Téhéran à réagir et les faire s’embourber dans la zone semble peu accessible. Moscou ne devrait pas tomber dans le piège ni s’impliquer militairement, en dépit de son accord de défense avec Erevan et de ses quelques forces prépositionnées. La Russie parviendra sans doute à étouffer pour quelques temps encore ce surgeon sud caucasien de l’offensive globale menée contre elle et au-delà d’elle. Ainsi, peut-être les pourparlers actuels sous égide russe aboutiront-ils à une trêve qui sera applaudie mais signera non la fin, mais le début d’une onde de choc. Car ce qui se passe n’est qu’un test… et un début. Le début d’une manœuvre enveloppante infiniment plus vaste, dont la cible est le nouvel « Axe du Mal » d’une Amérique en discrédit moral et politique aggravé et qui ne connaît qu’une posture : la fuite en avant. »
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Jean Vinatier
Seriatim 2020
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