Source pour les deux extraits:
Genèse des marchés, colloque des 19 et 20mai 2008, Françoise Bayard, Patrick Fridenson, Albert Rigaudière (dir)
Extrait 1 : les néo-libéraux de l’entre-deux guerres face au marché par François Denord
« Dans notre vocabulaire contemporain, l’adjectif « néolibéral » désigne simultanément des politiques, une idéologie et un régime économique. Comme politiques, il évoque les vagues de déréglementations et de privatisations menées depuis la fin des années 1970. On pense, par exemple, aux gouvernements de Margaret Thatcher en Grande-Bretagne ou aux présidences de Ronald Reagan aux États-Unis. Comme idéologie, le néolibéralisme suggère les noms de certains intellectuels, à commencer par les prix Nobel d’économie Friedrich Hayek ou Milton Friedman et leurs relais, des think tanks en particulier, ces boîtes à idées qui diffusent auprès des médias et des responsables politiques des projets livrés clefs en main. Comme régime économique, le néolibéralisme renvoie à l’ère de la mondialisation et de la globalisation financière. On l’associe au passage d’un capitalisme industriel et national à un capitalisme financier et mondial. « Politiques néolibérales », « idéologie néolibérale », « régime économique néolibéral » : ces expressions sont devenues si courantes qu’on oublie parfois de se demander en quoi ce libéralisme serait nouveau. Surtout parce que ceux qui les emploient le font le plus souvent de manière péjorative, la vision du marché promue par le néolibéralisme est rarement interrogée.
C’est dans l’entre-deux-guerres que débute son histoire. Des économistes, des patrons et des hauts fonctionnaires jettent alors les bases d’un libéralisme qui se veut une troisième voie entre un « laissez-faire » jugé moribond et une planification économique supposée faire le lit du socialisme. De façon unanime, ils opposent le libre fonctionnement du mécanisme des prix à l’économie planifiée. Reste que leurs manières de penser l’articulation entre le concept de marché et les marchés réels diffèrent souvent. Alors même que les fondateurs du néolibéralisme entendaient proposer une approche scientifique des problèmes économiques, ils bâtissent avant tout une idéologie politique prescrivant des formes d’interventions étatiques compatibles avec le mécanisme des prix. Sa principale originalité aura été d’imaginer l’État comme l’instituteur et le garant de l’économie de marché. En retour, le marché n’est plus uniquement un mécanisme de coordination des agents économiques. Il devient un instrument de « véridiction » à l’aune duquel se mesure la légitimité du pouvoir politique et de son action.
Défendre le marché à l’heure de sa grande remise en cause”
La suite ci-dessous :
https://books.openedition.org/igpde/3927
Extrait 2 : Du régionalisme européen à la mondialisation par Eric Bussière
« La place de cette contribution dans l’économie générale de cet ouvrage apparaît comme inscrite dans une sorte de linéarité. L’histoire économique de l’Occident depuis le Moyen Âge serait celle d’un élargissement progressif d’espaces peu à peu unifiés jusqu’à la mise en place d’un espace global sans frontières et très peu réglementé, à l’image du marché des services numériques. Par-delà d’inévitables accidents de parcours, l’intégration économique de l’Europe serait en quelque sorte l’avant-dernière étape vers la mondialisation.
Le projet européen, dans sa dimension économique, s’inscrit apparemment dans ce modèle. Depuis la fin du xixe siècle, l’espace économique national des pays européens, devenu homogène depuis peu, n’est plus considéré comme pertinent par certains analystes qui considèrent qu’il doit être élargi afin d’acquérir la dimension continentale jugée indispensable. Le discours relatif au fractionnement économique de l’Europe, inspiré par la référence américaine, constitue en effet un thème récurrent de l’européisme. Il s’installe à la fin du xixe siècle, se développe durant l’entre-deux-guerres, puis s’épanouit à partir des années 1950. Le projet de marché commun tel que l’a conçu le commissaire à la Concurrence, von der Groeben, dans les années 1960 vise ainsi à créer un espace économique européen homogène à l’image des espaces nationaux qu’il s’agit d’agglomérer1. Deux décennies plus tard, le discours accompagnant la relance des années 1980 relève de la même problématique : le marché commun reste encombré par une série d’obstacles qui en font un espace encore trop hétérogène. Le programme de « grand marché » lancé à l’initiative du président Delors en 1985 devait permettre de réaliser un objectif recherché depuis 1957.
L’histoire de la construction européenne des cinquante dernières années s’inscrit de fait dans une tendance à l’élargissement des marchés à l’échelle du monde à travers un phénomène d’ouverture progressive au sein de laquelle elle tend à s’insérer. Elle ne serait donc que l’une des étapes sans spécificité ni signification propre vers la globalisation, c’est-à-dire un marché mondial homogène vers la constitution duquel tendrait l’histoire économique depuis l’époque moderne. La réalité est pourtant plus complexe si l’on admet que la construction économique de l’Europe n’est que l’une des composantes d’un projet intégrant également les dimensions sociale et politique. Dès lors, l’histoire de l’unification économique de l’Europe devient un phénomène ambivalent relevant de deux conceptions à la fois concurrentes et complémentaires qui s’affrontent tout au long de son histoire : étape de la mondialisation d’un côté, régionalisme comme mode d’organisation économique du monde de l’autre.
La dynamique de l’intégration : l’histoire a-t-elle un sens ?”
La suite ci-dessous :
https://books.openedition.org/igpde/3907
Jean Vinatier
Seriatim 2021
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