L’édition hier de la seconde tribune de militaires en activité et qui restent donc anonymes, poursuit la publicité des constats et observations perçues et annotées par l’armée : elle couronne, en quelque sorte, le rapport remis par le CRI (Cercle de Réflexion Interarmées) à des parlementaires.
Et maintenant ?
Il apparait que l’armée est en proie au doute, de même que les forces de police. Que l’armée et la police cessent d’être un bloc, est un avertissement sérieux pour l’actuel pouvoir. Nous sommes dans la prémisse ou le prélude à quelque chose. L’entrée militaire sur la scène nationale a tout d’un préambule.
Dans un Sériatim, je rappelais que l’armée était entrée dans l’engagement politique moderne en juin/juillet 1789, et qu’avec le soulèvement populaire, deux forces neuves basculèrent la France dans la Révolution bien au-delà de ce que purent croire les députés du Tiers-Etat quand ils se proclamèrent Assemblée nationale le 17 juin : après tout le Tiers-Etat était une minorité sociale face à deux autres minorités, Clergé, Noblesse, les trois face à plus de 90% des Français, paysans, journaliers et ouvriers ! Ce rappel historique pour rappeler que l’armée est une actrice politique, fondatrice, à l’époque, d’une société nouvelle sans laquelle Napoléon n’aurait pu accomplir son épopée, sans laquelle non plus la République n’aurait pu arriver. Les soldats sont aussi des citoyens mais en treillis.
François Boulo, Juan Branco, Michel Onfray, Emmanuel Todd, Eric Zemmour et d’autres sont des figures intellectuelles montantes depuis les Gilets Jaunes. Elles s’essaient à poser des bases pour une alternative politique et bien vite, le mot de révolution apparait. Pour l’heure, la France est dans des colères et des ressentiments lourds, diffus, sans les convergences. Une révolution étant la disparition des institutions et de la société qui en découle, nous sommes, actuellement, loin de ce stade. Une révolution a besoin de sédimenter donc de temps. Quelque part, le fait que l’atmosphère française soit aussi fébrile et sans appareils idéologiques neufs est plus grave que son contraire.
C’est bien l’incertain que des militaires rappellent aux élus, au gouvernement, à la présidence de la République. Un incertain que la police approuve même si leurs syndicats restent silencieux, un calme qui masque bien des courants sous-marins agités.
Et après ?
Il faut les événements…sans lesquels, rien ne serait audible pour de futurs actes, de potentielles actions. La France de 2021 ne dispose pas, à l’inverse de celle de mai 1958, d’une figure unificatrice ou fédératice comme l’était le Général de Gaulle. L’Homme du 18 juin est revenu au pouvoir car les départements français d’Algérie faisaient face à une guerre d’indépendance, que les appelés du contingent y servaient, que la situation politique arrivait à une impasse. Stricto sensu, le Président Coty pouvait-il appeler un homme non élu à former un gouvernement ? N’oublions pas que la fin de la guerre était très proche (1945) : les résistants, les FFL étaient encore jeunes : il suffisait de peu pour qu’ils renouent avec le feu de l’action….
En 2021, flotte le ressenti d’une France pleine de « Banlieue 13 » (Luc Besson), que du fait des flux migratoires appelés à croitre et du nombre de musulmans, le pays basculerait, à terme, à la fois dans des partitions et dans un « grand remplacement » « ethnoreligieux », le tout dans le cadre de la réduction des frontières, des sociétés urbaines interconnectées, de tendances climatiques défavorables, de nouvelles horizontalités socio-politiques via les réseaux sociaux et d’une souveraineté française qui ne serait plus que de comédie au sein d’une Union européenne rejetant toute finalité politique. Quid de l’identité nationale ?
Sur ce dernier point, la disparition de l’ENA qui renait sous une autre forme, cachait une autre disposition annoncée ce week-end, celle de la fin du corps préfectoral. Ce choix est de loin plus capital que la première nouvelle car elle annoncerait, la fin de la neutralité du fonctionnaire d’État, la mise en place (car nos élites sont américanisées) d’un « spoil systèm » qui ferait que chaque nouveau Président remplacerait toute la haute fonction publique qui ne serait pas de son obédience. La fin de la neutralité de l’État en faveur d’une haute fonction publique fidèle d’abord au parti élu, serait, en soi, un bouleversement considérable mais tout à fait dans la doxa dominante.
Sans s’éloigner du sujet, il convenait de rappeler que ces ébullitions militaires ne surgissaient pas de quelques cercles nostalgiques. Comme le géographe Christophe Guilluy, l’armée via l’opération « Sentinelle » a réalisé un instantané photographique de l’état des Français, des séparations et des inégalités. Qu’est-ce qu’une armée protégeant la patrie peut faire si l’arrière se délite ? qu’est-ce qu’une armée si la patrie devient une nébuleuse ? L’armée a besoin pour accomplir sa mission d’unité nationale sans laquelle, elle errerait et deviendrait mercenaire. A cet égard, je remarquais que les publicités de recrutement n’insistaient plus sur le côté « patriote » ( le mot France est absent) mais davantage sur des valeurs et des défis (se dépasser) pour aller « plus loin », que la République s’effaçait devant le Gouvernement (en gras) qui captait la devise nationale. Il serait intéressant de savoir si les armées, américaine, anglaise font aussi l’impasse sur la « patrie ».
L’après s’annonce donc délicat et compliqué d’autant plus que ni l’Union européenne, ni les États-Unis, ni le Royaume-Uni, ne verraient d’un bon œil une prise politique, surtout avec Joe Biden. L’époque n’est plus celle, par exemple, des colonels grecs de mars 1967 qui avaient l’appui américain, ni du Chili de 1973 là aussi avec le consentement washingtonien. Même si les Français jugent favorablement les tribunes militaires cela signifie-t-il pour autant une approbation d’action de facto ?
Une partie a débuté, quelles en seront les caractéristiques, quelles en seront les formes et les voies, quid des événements…etc ? A suivre.
In Seriatim : l’armée entre en scène
http://www.seriatim.fr/2021/04/france-larmee-entre-en-scene-n5669-15e.html
Jean Vinatier
Seriatim 2021
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