A la veille de la publicité de la décision du Conseil Constitutionnel sur l’extension du passe sanitaire1, cet organe crée par le Général de Gaulle en 1959 pour contrer le Parlement a, depuis, pris de nouvelles dimensions. On peut même écrire qu’au fur et à mesure que l’exécutif se défaisant, les Sages de la rue de Montpensier prirent des aises bien rappelées dans l’article de Ballot-Beaupré paru dans Valeurs actuelles2.
Au-delà des neuf sages nommés pour un tiers, par l’Élysée, par le Sénat et par l’Assemblée nationale, étaient présents de droit les anciens Présidents de la République. Derrière eux, se tiennent toujours des hauts fonctionnaires issus du Conseil d’État….
Aujourd’hui, le Conseil constitutionnel n’a plus les anciens Chefs de l’État : décès, désintérêt, procédure judiciaire. C’est un détail qui a toute sa valeur car un ancien Président de la République, détaché de la magistrature suprême et des contingences politiciennes pouvait peser de son poids pour éviter que ledit Conseil ne dérive. Le plus actif a été Valéry Giscard d’Estaing : ni de Gaulle, ni Pompidou, ni Mitterrand, décédés en cours de mandat ou juste après n’y furent. Jacques Chirac cessa d’y être ne supportant pas…Valéry Giscard d’Estaing ! Quant à Nicolas Sarkozy et François Hollande, entre démêles judiciaires et indifférence, ils sont absents : si Emmanuel Macron n’était plus à l’Élysée en 2022, y siègerait-il ?
Ce rappel historique a son importance : le Conseil constitutionnel, à la grande différence de son équivalent à Karlsruhe n’est pas constitué de magistrats mais de politiques et de personnes dotées de compétences juridiques : c’est assez ambigu d’autant plus que la coulisse est tenue par des hauts fonctionnaires du Conseil d’État qui siège au même endroit que le Conseil, à savoir au Palais-Royal !
Ainsi avons-nous de hautes institutions :
-le Conseil d’État qui remonte à plusieurs siècles et qui servit, à partir de Louis XIV à fournir bon nombre de secrétaires d’État et d’intendants quand lesdits conseillers, par des unions matrimoniales avec des filles de parlementaires pesaient déjà d’un poids considérable dans la monarchie d’alors. Napoléon Ier, recréa le Conseil d’État, tout comme la Cour des comptes qui remontait à Philippe IV le Bel, lui donnant un capacité juridictionnelle complétée en 1987 par la cour d’appel administrative. Fait unique en Europe, le conseil d’État est censé juger l’État ce qui suppose une impartialité et une neutralité exemplaire ce que nous ne vîmes point lors du dernier rapport sur l’extension du passe sanitaire placé entre les mains certes d’un conseiller d’État mais qui est ouvertement militant macronien et maire d’Olivet !
-le Conseil constitutionnel d’organe de contrôle des élans parlementaires est passé progressivement depuis une trentaine d’années à une interprétation personnelle de son point de vue de la hiérarchisation des normes constitutionnelles. Certains diront regretter que le Conseil ne puisse pas s’auto-saisir. C’est une question délicate. Dans l’absolu, qu’un organe supervise la constitutionnalité des lois est regardé comme une sauvegarde des droits fondamentaux des citoyens, empêchant l’État d’aller vers un despotisme. Le danger est d’installer un gouvernement des juges. C’est donc à un équilibre qu’il faut parvenir. Dans la France de la Ve République, tout repose sur le Président de la République. On a souvent reproché à Charles de Gaulle son idée monarchique - dans laquelle son plus critique, François Mitterrand entra totalement - qu’il puisait dans sa lecture historique de la France.
A travers l’institution d’un Conseil Constitutionnel, se renoue un lien avec les volontés capétiennes de fonder une monarchie administrative au fur et à mesure que les Rois étendaient leur autorité : dés le XIIIe siècle, le mouvement s’enclencha de même que les parlements composés de magistrats titulaires de leur office étaient indépendants de jure du pouvoir royal. C’était une garantie d’empêcher un despotisme royal et de perpétuer que le roi « en ses conseils » trouvait ses limites, par les coutumes et les privilèges (qu’il faut voir comme des protections contre un pouvoir excessif). Après les frondes (1648-1653) la monarchie parfaite ou absolue se figera dans un face à face qui craquera tout au long du XVIIIe siècle pour culminer sous Louis XV (discours de la flagellation, réforme Maupeou) et plus encore sous Louis XVI qui généralisera trop tardivement les assemblées provinciales (1788) de nature à devenir progressivement des parlements au sens moderne du terme. Par ses assemblées, il s’agissait d’ôter aux Parlements d’ancien régime toute autorité fiscale pour les remettre entre les mains d’élus locaux réunis en trois ordres inaugurant aussi un mouvement décentralisateur.
De cet échec à la fois administratif et politique à créer un espace électif comme ce ne fut pas le cas au Royaume-Uni3, Napoléon Ier conclura à une centralisation : un organe législatif réduit à la plus simple expression, Conseil d’État bien borné…etc. Les Troisième et Quatrième république (1875-1940, 1946-1958) remirent au Parlement le soin de l’élection du Président de la République et de son éventuelle démission (Mac Mahon) déchéance (Paul Deschanel) et d’une façon générale instaurait la primature du Parlement sur l’exécutif (le sénat disparaissant sous la IVe République). La Ve République en installant un Conseil constitutionnel a voulu assurer la prééminence du Chef de l’État, lui-même après son mandat entrant au Conseil. Le Conseil devenant une clef de voute institutionnelle caractéristique de la méfiance ancestrale du pouvoir royal envers les parlements autant chambre de justice que d’enregistrement de la loi, les rédacteurs de la Ve République ne pensèrent pas et, pour cause, aux conséquences de la construction européenne, deux ans après le traité de Rome et aux répliques sismiques sur le régalien détricoté par la montée en puissance des institutions européennes. En Allemagne, c’est la cour de Karlsruhe qui est en dernier ressort la garante de la liberté allemande quand en France, il est moins clair que le Conseil constitutionnel le soit. Les sages du Palais-Royal semblent suppléer aux affaissements de l’exécutif et du législatif par une extension de son champ interprétatif comme s’ils étaient passés à l’échelle européenne : à l’inverse de Karlsruhe, le Palais-Royal parait davantage soucieux d’un équilibre entre Bruxelles et les institutions de la Ve que d’une défense de notre liberté nationale, de « concilier », selon son jargon, deux normes constitutionnelle l’une française, la seconde européenne qui sans exister (pas de constitution européenne mais des traités) a développé ses institutions.
La dérive du Conseil Constitutionnel est caractéristique de l’écoulement de nos institutions sous couvert d’une Union européenne que certains voudraient réellement supranationale quand la majorité entendrait demeurer entre Bruxelles et les capitales des Etats-membres.
Ne pourrait être réformé le Conseil Constitutionnel que par l’émergence d’une VIe République. Le Conseil Constitutionnel étant le couronnement d’un tout, l’ôter ou en retirer la substance viendrait à abattre la Ve République. L’enhardissement des Sages du Palais- Royal reflète nos déséquilibres confusionnels, politiques, juridiques, sociétaux, prodromes d’une crise plus générale.
Notes :
1-Trois recours :
le premier de la part du gouvernement,
le second par 120 sénateur et 74 députés LFI, PCF, PS, Nouveaux Démocrates et Liberté et Territoires,
le troisième par d’avocats « DejaVu.legal » au nom de « 50 000 citoyens »
3-non sans drame (guerre civile de 1642, changement dynastique de1688)- qui, au moment de 1789 limitait encore strictement la représentation nationale (bourgs pourris de Walpole), il faudra attendre le chartisme et les lois libérales de Peel au XIXe siècle pour que les Communes devinssent au cours des décennies suivantes le reflet général des britanniques.
Jean Vinatier
Seriatim 2021
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