Damien Larrouqué fait pour la vie des idées la recension de l’ouvrage collectif Le choix de la guerre civile : une autre histoire du néolibéralisme de Pierre Dardot, Haud Guéguen, Christian Laval, Pierre Sauvêtre
« Le néolibéralisme est-il d’essence martiale ? C’est la thèse que défendent les auteurs de cet ouvrage et qui s’appuient à la fois sur des expériences historiques (comme le Chili sous Pinochet) et sur l’analyse de textes considérés comme fondateurs. Stimulante, la proposition peine cependant toujours à convaincre.
À partir de la mi-octobre 2019, le Chili a été le théâtre d’une éruption politique et sociale d’une intensité inédite dans l’histoire du pays. C’est à l’aune de ce soulèvement populaire et de la violente répression qui l’a suivi que Pierre Dardot et ses collègues ouvrent leur réflexion théorique consacrée à l’essence martiale du néolibéralisme. La thèse centrale de l’ouvrage pourrait finalement être résumée en une phrase taguée à la sortie du métro Bellas Artes de Santiago en octobre 2019 : « Le néolibéralisme nous tue
Le caractère funeste du modèle néolibéral, dont le Chili de Pinochet a été le précurseur à l’échelle internationale (chapitre 1), ne réside pas seulement dans les conséquences délétères des politiques qu’il justifie. Certes, la privatisation des services publics, la marchandisation de biens universels (santé, éducation, eau), l’imposition des retraites par capitalisation ou encore la dérégulation du marché du travail sont préjudiciables par définition, dans la mesure où elles privent les citoyens de leurs droits les plus fondamentaux, brisent toute idée de solidarité et plongent la société dans son ensemble, et en particulier les classes les plus précaires, dans l’incertitude du futur. Mais, plus fondamentalement, si « le néolibéralisme nous tue », c’est parce qu’il a été pensé à cette fin, ou plus exactement, parce qu’il procède d’une volonté consubstantielle à sa nature : dominer par la guerre civile.
Défendant une thèse radicale, cet essai est le fruit d’un travail collectif entrepris par le Groupe d’études sur le néolibéralisme et les alternatives (GENA), créé à l’automne 2018. Son ambition est d’appréhender, dans une perspective transdisciplinaire, cette nouvelle conjoncture internationale marquée par la victoire électorale de candidats à la fois pro-marché et réactionnaires d’une part, et par la diffusion à grande échelle de modalités de gouvernance autoritaires et répressives d’autre part. L’ouvrage cherche à mettre en cohérence les pratiques coercitives du pouvoir avec une idéologie néolibérale
qui a pour substrat le plus essentiel une conception belligérante et mortifère du monde. Pour les auteurs qui emploient le terme de « stratégie » – qui plus est au pluriel (introduction), il s’agirait bel et bien d’une volonté des pouvoirs publics que de mener, depuis une quarantaine d’années et partout sur la planète, une guerre antidémocratique et antisociale en vue de faire advenir la société pure de marché.
La transmutation du Léviathan
Pour ainsi dire, l’idéologie néolibérale retourne contre elle-même la vulgate hobbesienne, en faisant du Léviathan le suprême belligérant d’une nouvelle guerre de tous contre tous, où prévalent désormais l’individualisme exacerbé, la mise en concurrence généralisée et la prédation contre toutes les ressources, qu’elles soient humaines (uberisation, auto-entreprenariat, destruction du salariat), socio-économiques (privatisation des bénéfices, mais socialisation des pertes), juridiques (contournement des législations et évasions fiscales) ou naturelles (surexploitation). Sous l’auspice de ce néo-Léviathan, s’est ainsi organisée à l’échelle internationale, à partir de la fin des années 1970, la « contre-révolution néolibérale » (p. 27).».
La suite ci-dessous :
https://laviedesidees.fr/Fichu-neoliberalisme.html
Jean Vinatier
Seriatim 2021
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