Le Grand continent publie une conversation avec Jean-Claude Junker, souvent parodié pour son appétence ou pas pour le whisky est indiscutablement plus fin que Mme Von der Leyen. Un jour ou l’autre les Européens devraient « briser les tables de la loi » mais cette direction n’est absolument pas celle prise par l’Allemagne plus que jamais soucieuse de s’en remettre militairement à Washington comme garantie de sa prospérité géo-économique et de sa consolidation de son aire d’influence sur l’ensemble européen, au-delà de l’Union.
Ce point précisé, les propos de Junker sont intéressants:"tout est géopolitique"...et interdépendant. Comme toujours, une fois loin des affaires, les politiques sont moins mauvais car plus libres, dans le commentaire que dans l'exercice du pouvoir.
« Quand on regarde l’an 2021, le retrait américain de Kaboul semble marquer un tournant. Le Président du Conseil européen, Charles Michel, nous avait confié sa lecture à chaud de la séquence ouverte en août. Quelle est votre analyse ?
Ma lecture n’est pas terminée. Les images que nous avons pu voir m’ont rendu triste et perplexe à la fois. Triste parce que l’affaire afghane, si vous me permettez cette expression, s’est terminée très mal, dans la défaite, avec un sentiment de gâchis. Perplexe parce que je crois que cette affaire connaîtra des développements difficiles à anticiper mais qui ne promettent rien de bon pour l’Europe. Elle nous fait entrer dans une nouvelle dimension dont on ignore, à vrai dire, à peu près tout.
Comment avez-vous interprété le positionnement de l’administration Biden vis-à-vis de ses alliés ?
Biden aurait pu se concerter avec ses alliés. Mais l’affaire afghane, en tant que telle, n’a rien changé à la relation des Européens avec les États-Unis. Les prises de parole du président américain nous ont dit une chose : nous avons fait fausse route. L’idée mise en avant par le monde atlantique depuis quelques années, peut-être même depuis la fin de la guerre froide, est arrivée à son terme. L’impératif d’intervention, même pour empêcher le pire, n’est plus d’actualité. L’idée que l’on puisse intervenir à partir de l’extérieur sur le développement interne des sociétés qui ne nous ressemblent pas était mauvaise. Elle n’a fait que produire des échecs.
Avec la prise de Kaboul par les Talibans, les Américains, les Européens, les « otaniens » ont perdu sur deux fronts : celui de la crédibilité vis-à-vis des autres puissances et celui de la confiance en leurs moyens. Il faut partir d’ici. C’est le sens de ce que nous répète le président des États-Unis : nous ferions mieux d’apprendre à gérer nos propres affaires avant de prétendre nous occuper de celles des autres.
Pour ce faire, il faut développer une analyse qui nous soit propre. Plutôt que de parler d’autonomie stratégique je plaide, d’abord, pour que nous mettions en place une autonomie d’analyse, par une étude des positionnements géopolitiques qui doit être beaucoup plus complète qu’elle ne l’est à présent, prenant en considération les intérêts pour être à la hauteur des valeurs.
Qu’est-ce que cette analyse nous dirait de l’état de la relation atlantique ?
Nous avons connu la période de Donald Trump avec qui je me suis, curieusement, bien entendu. Nous sommes passés sous le régime de l’administration Biden. J’ai bien connu Joe Biden, quand il était vice-président de Barack Obama. Il a une plus grande faculté d’écoute que Trump : c’est le moins que l’on puisse dire ! Mais surtout, il connaît beaucoup mieux l’Europe.
Donald Trump avait une idée de l’Europe qui était inexacte. Il était dans un fantasme surprenant : il considérait que l’Union avait été créée dans une sorte de complot contre les États-Unis, conçue pour nuire à leur influence dans le monde. On peut tout dire, mais ce n’est vraiment pas le cas. L’Union a été un projet mené par des atlantistes convaincus. L’essentiel est là.
Voyez-vous une continuité entre les deux administrations ?
Oui, d’une certaine façon, il y a une continuité. Trump – comme Biden – partait de l’idée qu’il était en charge des intérêts américains, que le président des États-Unis et sa politique étrangère devaient répondre aux besoins des classes moyennes. Dès lors, les intérêts des autres n’ont pas beaucoup d’importance. Est-il en cela si différent des chefs d’État européens ? Toutefois, Biden est à l’écoute : nous le voyons aujourd’hui.
Justement, qu’est-ce qui configure essentiellement aujourd’hui la relation atlantique ? »
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Jean Vinatier
Seriatim 2021