« Le développement de l’enseignement de l’histoire à l’école a accompagné celui de l’Etat-nation au XIXe siècle. Aujourd’hui, dans une Europe en paix, et alors que la discipline a évolué, il est nécessaire de réfléchir à la manière de faire émerger la conscience de l’appartenance à un ensemble européen commun. Président de l’Observatoire européen de l’enseignement de l’histoire, président du Comité scientifique de la Fondation Robert Schuman, l’ancien député européen Alain Lamassoure invite les Européens à débattre de leur passé pour construire, à partir de leurs récits nationaux, un destin partagé.
Sans attendre la béatification de Robert Schuman par l’Église, beaucoup considèrent le principal résultat de la construction européenne comme un miracle. Contrairement à ce qui est souvent dit, la première des réussites de cette construction n’est pas la paix : il serait puéril de prétendre que, sans le traité de Rome, une troisième guerre mondiale aurait vu le jour à partir du Vieux Continent. En revanche, la vraie réussite, que l’on peut qualifier de miracle parce qu’elle n’a aucun précédent historique, nulle part, c’est la réconciliation entre des peuples voisins qui s’étaient considérés pendant des siècles comme des ennemis héréditaires.
La paix européenne, une pax europeana profondément originale, n’est pas une simple absence de guerre. C’est bel et bien la paix des cœurs. Nos pères se haïssaient à mort, nos enfants convolent en justes noces. Non seulement plus personne n’imagine un conflit armé entre nos pays, mais une sorte de pacifisme informulé est devenu tellement naturel aux générations actuelles que le simple fait d’associer « Europe » et « paix » les fait bâiller d’ennui. Au point, d’ailleurs, de compliquer la mise en place d’une Europe de la défense, dont nous avons pourtant besoin … parce que le reste du monde, lui, n’est pas du tout vacciné contre la guerre. Mais rien n’est éternel sous le soleil et surtout pas les miracles. Notre devoir est de le consolider et de l’enraciner.
L’histoire naît avec la nation
Cela exige d’abord d’en transmettre le récit et les enseignements à la jeune génération. Donc, par l’enseignement de l’histoire à l’école. L’introduction de l’histoire comme discipline scolaire a été concomitante à la floraison des nations au XIXe siècle. Ce n’est pas un hasard : pour enflammer, exalter ou, au moins, consolider le sentiment d’appartenance à une même communauté nationale, rien de tel qu’un récit fondateur, puisant volontiers dans la légende, voire le mythe. Exaltant les héros nés de la terre ancestrale ou y reposant à jamais. Et démontrant le caractère exceptionnel du destin de la nation. S’agissait-il d’une grande puissance ? Le récit montrait comment elle avait dominé l’Europe, voire le monde, et comment son déclin n’avait été dû qu’à la jalousie de ses adversaires coalisés ou/et à la trahison interne. S’agissait-il d’un petit pays ? La nation avait subi des siècles de domination impériale, pouvant aller jusqu’à un martyre christique sans équivalent, sauvant, par son sacrifice, la civilisation européenne de la barbarie. Exaltation de la gloire passée ou surenchère victimaire inspiraient l’édification de la jeunesse nationale.
Ce terreau s’avéra hélas fertile pour passer du patriotisme de bon aloi aux plus extrêmes des nationalismes. Deux guerres mondiales plus tard, toutes deux nées en Europe, avec leur cortège de tragédies indicibles, suivies de la décolonisation, de la fin de la guerre froide et de la mise en place d’un ordre mondial bâti tant bien que mal sur les grandes valeurs universelles de paix et de respect des droits de l’Homme, le récit du passé ne peut plus du tout être le même.
Raconter le passé à l’âge de la paix : le dilemme »
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Jean Vinatier
Seriatim 2021
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